D’aucuns trouveront sans doute, et peut-être auront-ils raison, que l’analyse des discours politiques qui va suivre est d’un éternel pessimisme, et inviteront à voir le verre à moitié plein plutôt que l’autre à moitié vide. Néanmoins, comme Cassandre, il n’est pas interdit de se poser la question de la récupération politico-médiatique de la position du Saint-Père par l’intelligentsia européiste au grand complet.
Ce vendredi 6 mai, le pape François a donc reçu le “prestigieux” (en tout cas annoncé tel) prix Charlemagne des mains du maire d’Aix-la-Chapelle. Les catholiques pourraient être flattés et même remplis d’espérance devant un choix qui semble placer leurs valeurs au centre de la construction européenne, à défaut de les voir comme racines.
Cependant, la lecture des extraits des discours des hauts dignitaires du régime de Bruxelles ne laisse pas du tout l’impression d’une reconnaissance, fut-elle implicite, des fondements de l’humanisme chrétien.
L’Osservatore Romano, lui-même, nous livre ce chapelet de morceaux choisis, avec un angélisme troublant.
La situation en Europe aujourd’hui est particulièrement difficile : la montée préoccupante des nationalismes, l’érosion du fondement culturel et moral, le manque de solidarité et l’instrumentalisation des religions. La réalisation d’un processus d’unité semble difficile à préserver et à défendre. On découvre que la mondialisation a le visage de milliers d’êtres humains qui frappent aux portes de l’Union européenne. C’est ce qui émerge des interventions des dirigeants européens qui, face au Pape, se demandent, allons-nous réussir ? Sommes-nous suffisamment forts, unis, humains ?
Pour cela, le maire d’Aix-la-Chapelle Marcel Philipp fait appel «au principe d’humanité et à l’attention de chacun». Le président du Parlement européen, Martin Schulz, souligne à son tour la nécessité de «renforcer ce qui nous unit et non ce qui nous divise», de «refuser la peur», «mauvaise conseillère de la politique». Pour le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, «François, fils d’immigrés, à l’attitude humble et chaleureuse» regarde «l’Europe de l’extérieur», et nous donne des motifs d’espérer quand il affirme que «les difficultés peuvent devenir des promoteurs puissants d’unité».
Les responsables européens ont alors redit “non” aux murs et à la fermeture, “oui” à l’homme, «non à l’intolérance et à la haine, oui à la liberté et à la diversité», a martelé Jean-Claude Juncker, appelant la jeunesse européenne à se lever. Face à la «crise de solidarité» que traverse l’Europe, a dit Donald Tusk en polonais, «le moment est venu de lutter pour l’Europe», «unissons les énergies, les cœurs et les talents pour affronter les multiples crises actuelles», et faisons vivre en Europe, «l’esprit de l’amour et de la liberté», pour qu’elle ne soit pas qu’une union institutionnelle. Aujourd’hui a déclaré le président du Conseil européen, «nous pouvons être orgueilleux de l’Europe».
Nous sommes ici face à un discours politicien, patiné de solidarité sensible, mais ouvertement favorable à une “Europe plurielle” où les nations seraient aussi fondues dans le “grand tout” que les piliers du christianisme dissous dans la soude relativiste d’un “vivre ensemble”, refusant l’enracinement identitaire.
Flatter les chrétiens, en récompensant le “pape de l’espoir”, selon les mots de Donald Tusk, ne serait-ce pas le moyen d’endormir la méfiance de ceux qui, en Europe, sont les plus hostiles au “grand tout européiste” et précisément “anti-humaniste” ?
Martin Schulz « J’espère vraiment que la phrase de Jean Monnet, un des pères fondateurs de l’Union européenne, selon laquelle la construction de l’Europe devrait se réaliser par des actions reposant sur le principe de solidarité, se reflète dans ce que le pape a fait à Lesbos. Si en Europe il y a des chefs d’Etat qui disent être à la tête d’un pays catholique et de ne donc pas pouvoir accueillir des musulmans, alors que le pape va à Lesbos et revient au Vatican avec des familles de religion musulmane pour le mettre à l’abri, ceci est une superbe leçon pour tous ceux qui pensent comme ces chefs d’Etats. Agir avec solidarité, c’est ça ! Et c’était le vrai message des pères fondateurs de l’Union européenne. »
A bon entendeur….
Les médias ont “fait” sur mesure un pape médiatique, gommant soigneusement tout ce qui les gênait, à commencer par les positions du pape François sur la vie. Les responsables de l’oligarchie européenne ne seraient-ils pas en train d’utiliser cette image aseptisée à leurs propres fins ?