Avec une acuité particulière depuis Vatican II, se pose la question de l’utilité de la foi et de la vie chrétienne, si on reconnait que les non chrétiens peuvent aussi avoir accès au salut. Le rapport foi salut, déjà envisagé par saint Paul, a donc, selon le pape émérite, été approfondi depuis le concile, non sans poser de nombreuses questions. L’une d’elle n’est pas des moindres : à quoi bon être chrétien et vivre en chrétien si l’on peut se sauver sans la pleine adhésion à la foi ?
Outre le fait que cette question signifie une conception biaisée du salut et de la foi, puisqu’elle entend l’adhésion au Christ par la foi et les œuvres, d’abord comme moyen de salut “pour soi”, avant d’exprimer le désir amoureux qui fait tendre vers Dieu, elle pose également la question fondamentale du lien intime du fidèle à la mission même du Christ, c’est-à-dire au Christ Lui-même.
Benoît XVI répond en situant l’homme au cœur de la mission amoureuse salvifique du Christ.
Le chrétien n’est pas chrétien pour lui-même, mais avec le Christ, pour les autres.
Source Le Salon Beige
Le pape émérite Joseph Ratzinger-Benoît XVI a été interrogé par le jésuite et théologien belge Jacques Servais, dans le cadre de la conférence intitulée: «Au moyen de la foi. Doctrine de la justification et expérience de Dieu dans la prédication des Exercices Spirituels», promue par la Rettoria del Gésù à Rome, entre le 8 et le 10 Octobre 2015. L’entretien écrit et donné dans la langue maternelle du pape, l’allemand, a été lu dans le cadre de la conférence de Rome, par le préfet de la maison pontificale et secrétaire personnel du pape Benoît XVI, Mgr Georg Gänswein. Le texte a été traduit par Jacques Servais et revu par le pape émérite. Benoît-et-moi l’a traduit en français. Extrait :
“[…] Dans les Exercices Spirituels, Ignace de Loyola n’utilise pas les images vétérotestamentaires de la vengeance, contrairement à Paul (comme on le voit dans la deuxième lettre aux Thessaloniciens); néanmoins , il nous invite à contempler comment les hommes, jusqu’à l’Incarnation, «descendaient en enfer» et à considérer l’exemple «des innombrables autres qui y ont fini pour bien moins de péchés que je n’en ai commis». C’est dans cet esprit que saint François Xavier a vécu sa propre activité pastorale, convaincu de devoir tenter de sauver du sort terrible de la damnation éternelle autant d’ «infidèles» que possible. Peut-on dire que sur ce point, au cours des dernières décennies, il y a eu une sorte de «développement du dogme» dont le Catéchisme doit absolument tenir compte?
«Il ne fait aucun doute qu’à ce point, nous sommes confrontés à une évolution profonde du dogme. Les Pères et les théologiens du Moyen Age pouvaient encore être d’avis qu’en substance, tout le genre humain était devenu catholique et que le paganisme existait désormais uniquement aux marges, la découverte du Nouveau Monde au début de l’ère moderne a radicalement changé les perspectives.
Dans la seconde moitié du siècle dernier, la conscience que Dieu ne peut pas laisser aller en perdition tous les non baptisés et que même une félicité purement naturelle n’est pas pour eux une vraie réponse à la question de l’existence humaine – cette conscience a été pleinement affirmée.
S’il est vrai que les grands missionnaires du XVIe siècle étaient encore convaincus que ceux qui ne sont pas baptisés sont à jamais perdus, ce qui explique leur engagement missionnaire, dans l’Eglise catholique d’après Vatican II, une telle conviction a été définitivement abandonnée.
De là découle une double crise profonde.
D’un côté, cela semble enlever toute motivation à un futur engagement missionnaire. Pourquoi devrait-on essayer de convaincre les gens d’accepter la foi chrétienne quand ils peuvent se sauver aussi sans elle? Mais un problème émergea, même pour les chrétiens: le caractère obligatoire de la foi et de sa forme de vie devint incertain et problématique.
S’il y en a qui peuvent se sauver aussi par d’autres moyens, finalement, la raison pour laquelle le chrétien est lié aux exigences de la foi chrétienne et à sa morale n’est plus évidente. Mais si la foi et le salut ne sont plus interdépendants, même la foi devient non motivée.
Ces derniers temps, plusieurs tentatives ont été formulées en vue de concilier la nécessité universelle de la foi chrétienne avec la possibilité de se sauver sans elle.
J’en mentionne ici deux: d’abord, la thèse bien connue des chrétiens anonymes de Karl Rahner. On y soutient que l’acte de base essentiel de l’existence chrétienne, qui s’avère décisif pour le salut, dans la structure transcendantale de notre conscience consiste dans l’ouverture au ‘tout autre’, vers l’unité avec Dieu. La foi chrétienne aurait fait émerger à la conscience ce qui est structurel dans l’homme en tant que tel. Donc, quand l’homme s’accepte dans son ‘être’ essentiel, il accomplit l’essentiel de l”être chrétien’ même sans le savoir de manière conceptuelle.
Le chrétien coïncide donc avec l’humain et dans ce sens, est chrétien tout homme qui s’accepte lui-même, même s’il ne sait pas. Il est vrai que cette théorie est fascinante, mais elle réduit le christianisme lui-même à une pure présentation consciente de ce que l’être humain est en soi et donc néglige le drame du changement et du renouvellement, qui est central dans le christianisme.
Encore moins acceptable est la solution proposée par les théories pluralistes de la religion, pour lesquelles toutes les religions, chacune à sa manière, seraient des moyens de salut et en ce sens doivent être considérés comme équivalentes dans leurs effets. La critique de la religion, du type de celle exercée par l’Ancien Testament, par le Nouveau Testament et par l’Église primitive est dans son essence plus réaliste, plus concrète et plus vraie, dans son examen minutieux des diverses religions. Une réception aussi simpliste n’est pas proportionnelle à la grandeur de la question.
Rappelons récemment en particulier Henri de Lubac et avec lui d’autres théologiens qui ont mis l’accent sur le concept de substitution vicaire (sostituzione vicaria). Pour eux la proexistence du Christ serait une expression de la figure fondamentale de l’existence chrétienne et de l’Eglise en tant que telle.
Il est vrai que de cette façon, le problème n’est pas complètement résolu, mais il me semble que c’est en réalité l’intuition essentielle qui touche l’existence du chrétien individuel.
Le Christ, en tant qu’unique, a été et est, pour tous, et les chrétiens, qui dans l’image grandiose de Paul constituent son corps dans ce monde, participent à cet “être-pour”. Chrétiens, pour ainsi dire, on ne l’est pas pour soi-même, mais plutôt, avec Lui, pour les autres. Cela ne signifie pas une sorte de billet spécial pour entrer dans la béatitude éternelle, mais la vocation de construire l’ensemble, le tout.
Ce dont la personne humaine a besoin pour le salut, c’est l’ouverture intime à Dieu, l’attente intime et l’adhésion à Lui, et cela signifie, vice versa que nous, avec le Seigneur que nous avons rencontré, allons vers les autres et essayons de leur rendre visible l’avènement de Dieu dans le Christ. Il est clair que nous devons réfléchir à l’ensemble de la question». […]”
Cela fait plus de 2000 ans que Dieu s’est incarné pour donner une puissante impulsion à notre rédemption mais nous les membres de la mère Eglise, l’unique Institution du salut créée par Dieu, sommes encore des bébés spirituels.
S’il est possible d’être sauvé sans être un chrétien fidèle c’est-à-dire qui a la grâce de mener une vie évangélique, force est de dire ces cas très rares des gens qui, grâce à la loi naturelle qui est en chacun de nous, ont la grâce de posséder la vertu surnaturelle de la charité sont très très infimes.
Seule l’Eglise catholique, dépositaire et dispensatrice de la charité,
est outillée pour faire acquérir la vie éternelle à certains de ses membres.
Tout cela ne sera possible qu’au moyen de la réforme de notre sainte Mère.
Le concile Vatican 2, en dépit de la référence qu’il constitue, reste encore sur beaucoup de points frappé de l’indigence spirituelle de l’ensemble des membres de notre Eglise.
Si nous reconnaissons la nullité du baptême des nourrissons, nous retournons aux origines de la foi salvatrice en Jésus.
Cela permettrait un véritable baptême d’eau et de l’Esprit Saint.
Mais comment donner aux autres ce qu’on a pas expérimenté soi-même.
Qui se fera un plaisir de ma baptiser ?
il ne faudra pas confondre le fait ”d’être chrétien” et ”d’être baptisé”. Un chrétien n’est pas, il devient; on est chrétien chaque fois que l’on pose un acte évangélique; chaque fois qu’on imite les actes et les paroles de Jésus. Autrement dit, il est difficile d’être chrétien, car ce n’est pas l’appartenance au christianisme ”par le baptême” qui fait de quelqu’un ”un chrétien”; c’est plutôt le vécu, le témoignage, l’exemplarité, l’imitation de Jésus Christ. KARL RAHNER, prêtre jésuite parle de ”chrétiens anonymes”, ceux qui vivent les valeurs évangéliques sans le savoir, eux aussi seront sauvés par le CHRIST. Celui-ci a dit avec clarté: “Les prostitué(e)s vous précéderont dans le Royaume de Dieu” si vous ne vous convertissez pas. Il a ajouté: “Les premiers seront les derniers…”. On se souviendra du “Bon Larron” qui avait négocié le paradis à la dernière seconde de sa vie. Le philosophe Soren Kierkegaard fait ce constat: “Que l’Église le sache, il n’y a pas d’autre chrétien que le Christ…”; Gandhi ne disait pas le contraire: “il n’y a pas encore de chrétiens sur la terre, il n’y a que des baptisés”. Bref, être baptisé ne suffit pas pour être qualifié de ”chrétien”.
Dans le chapitre 25 de Saint Matthieu, Jésus affirme explicitement l’universalité du salut: “J’avais faim, et vous m’avez nourri… Seigneur, quand t’avons nous vu…? Quand vous l’avez fait pour un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait” [sous entendu: même si vous ne me connaissiez pas ]. Les chrétiens n’ont pas le monopole du salut, ils en sont le signe pour les hommes et c’est leur devoir d’en témoigner. Tous les hommes sont dotés d’une conscience qui leur dit le bien et le mal: c’est comme une “marque de fabrique” que le Créateur laisse en nous. Le baptême donne la grâce pour être à l’image du Christ, homme parfait selon le cœur de Dieu, et pour témoigner de Lui. Mais il ne donne pas un “droit d’entrée” auprès de Dieu, où il n’y a plus de sacrements puisque nous “voyons Dieu tel qu’il est ” (St Jean).
“Pourquoi devrait-on essayer de convaincre les gens d’accepter la foi chrétienne quand ils peuvent se sauver aussi sans elle?”
S’il était un peu plus thomiste, il aurait immédiatement rappelé que S. Thomas évoque la difficulté dès la première question de la Somme, en son premier article.
Pourquoi était-il nécessaire d’avoir une doctrine révélée, si Dieu peut être connu par la raison?
Parce que bien peu de personnes s’y consacrent, avec beaucoup de temps et de difficulté, et que les résultats sont mêlés d’erreur.
Donc Dieu a voulu donner un moyen plus rapide, plus sûr, plus universel, afin que l’homme ayant connu la béatitude surnaturelle à laquelle il est appelé, puisse diriger ses pas vers elle.
Donc ce n’est pas impossible de connaître Dieu autrement, mais c’est moins facile, moins certain, ça n’a pas les garanties de la vérité divine.
Cet argument de convenance ad melius esse (plus sûr, plus rapide, sans mélange d’erreur) est repris par le Concile de Trente.