J’espère que mon confrère et collègue (et ami !) de Paris, Daniel Hamiche ne m’en voudra pas de lui “piquer” ce sujet – pour dire vrai, un long et passionnant article – qui aurait pu trouver sa place aussi sur Americatho. Daniel y écrivait par ailleurs voici peu, tout en le regrettant, qu’un élu étatsunien au prochain conclave était « peu probable » en citant deux “papables”, les cardinaux Dolan et Burke, et je ne crois ni le trahir ni trahir un secret en pensant que l’ami Daniel, tout en respectant l’archevêque de New York inclinait un peu plus vers l’archevêque émérite de Saint-Louis… Mais baste, voici aujourd’hui que le vaticaniste Sandro Magister, bien au fait des secrets et “embrouilles” de la Curie, publie une longue et fine étude sur son blogue Chiesa et sous le titre « Un Américain à Rome, vers la chaire de Pierre » et, c’est à noter, sans le point d’interrogation auquel on s’attendait – que ce soit dans la version française, italienne, espagnole ou anglaise de l’article… Sandro reprend une partie de mon analyse sur la candidature “Scherer”, ce montage de la “vieille garde” de la Curie dont le commandant est le cardinal Angelo Sodano, doyen du Sacré Collège mais… non électeur ! Sandro dirige ses projecteurs sur deux personnalités américaines – les cardinaux Dolan et O’Malley – et soutient que « le tabou d’une Église catholique américaine identifiée à la première superpuissance mondiale, et donc incapable de jamais donner un pape, a disparu ». Une affirmation qui pourrait sembler surprenante après les déclarations du cardinal australien Pell et, plus intéressant, du cardinal étatsunien Wuerl tenant, tous les deux, pour impossible d’élire un Pape issu de la « superpuissance »… On peut, aujourd’hui, se demander si ces deux déclarations n’étaient pas de la nature de ces “leurres” que les avions de chasse lâchent quand ils sont poursuivis par ses missiles ? Il faut lire le crayon à la main l’article de Sandro tout en se disant que même si un Pape américain, de la sorte de Dolan, n’était pas élu cela n’écarte absolument pas l’hypothèse que les cardinaux américains – presque tous pour dire le vrai – pourraient bien être, en tout cas, les “faiseurs de Pape” lors du conclave…
Le pari le plus facile à faire est que le prochain pape ne sera pas italien. Mais pas non plus européen, africain, ou asiatique. Pour la première fois dans l’histoire bimillénaire de l’Église, le successeur de Pierre pourrait venir des Amériques. Ou, si l’on veut hasarder une prévision plus précise : de la “Grande Pomme”.
Timothy Michael Dolan, archevêque de New York, 63 ans, est un grand costaud du Midwest au sourire radieux et à la vigueur débordante, précisément cette « vigueur du corps et de l’esprit » que Joseph Ratzinger a reconnu avoir perdue et qu’il a jugée nécessaire pour son successeur, afin que celui-ci puisse bien « gouverner la barque de Pierre et annoncer l’Évangile ».
Le titre du programme du futur pape se trouvait déjà dans l’acte de renonciation de Benoît XVI. Et bon nombre de cardinaux se sont rapidement souvenus de la vivacité visionnaire avec laquelle Dolan avait développé précisément ce thème, dans son italien « primitif » – le mot est de lui – mais pétillant, au cours du consistoire de l’an dernier, alors que, archevêque de New York, il était sur le point de recevoir la pourpre.
Ce consistoire du mois de février 2012 avait fait l’objet de nombreuses critiques. Cela faisait des semaines qu’étaient publiés des documents brûlants provenant des bureaux du Vatican ou même, pour certains d’entre eux, très confidentiels, de la table de travail du pape, le but étant de combattre publiquement l’avidité, les conflits, les méfaits d’une curie à la dérive.
Et pourtant, bon nombre de nouveaux cardinaux créés à cette occasion par Benoît XVI étaient des Italiens, des cardinaux de curie et, pire encore, ils étaient très liés au secrétaire d’État, Tarcisio Bertone, universellement considéré comme le principal coupable de la mauvaise gouvernance.
Le pape Joseph Ratzinger ajusta le tir peu de temps après, au mois de novembre, en procédant à six autres nominations cardinalices, toutes extra européennes, dont celle de l’étoile montante de l’Église d’Asie, le Philippin de mère chinoise Luis Antonio Gokim Tagle.
Mais la fracture restait intacte. D’un côté, il y avait les féodaux de la curie, défendant avec acharnement leurs centres de pouvoir respectifs. De l’autre, il y avait l’œcoumène d’une Église qui ne supporte plus que l’annonce de l’Évangile dans le monde et le lumineux magistère du pape Benoît soient obscurcis par les tristes descriptions de la Babylone romaine.
Cette même fracture caractérise également le conclave qui va commencer. Dolan est le candidat type qui représente le tournant purificateur. Il n’est pas le seul mais il est certainement le plus représentatif et le plus audacieux.
Toutefois, du côté opposé, les magnats de la curie font barrage et contre-attaquent. Ils ne poussent pas en avant l’un des leurs, car ils savent que, s’ils agissaient ainsi, la partie serait perdue dès le départ. Ils essaient de percevoir l’atmosphère du collège cardinalice et parient eux aussi sur un endroit éloigné de Rome, au-delà de l’Atlantique, non pas dans la partie nord mais dans la partie sud de l’Amérique.
Ils regardent en direction de São Paulo, au Brésil, où se trouve un cardinal né d’émigrés allemands, Odilo Pedro Scherer, 64 ans. Bien connu à la curie, celui-ci a passé plusieurs années à Rome, où il a été le collaborateur du cardinal Giovanni Battista Re lorsque celui-ci était préfet de la congrégation pour les évêques, et aujourd’hui il fait partie du conseil cardinalice de contrôle de l’IOR, la “banque” du Vatican, fonction dans laquelle il a été confirmé il y a quelques jours et pour laquelle il a Bertone comme président.
Scherer est le candidat idéal pour cette manœuvre tout à fait romaine et curiale. Peu importe le fait qu’il ne soit pas populaire au Brésil, même parmi les évêques. Lorsque ceux-ci ont été appelés, il y a deux ans, à élire le président de leur conférence, ils ont rejeté sans appel sa candidature. Et peu importe qu’il ne brille pas en tant qu’archevêque de la grande ville qu’est São Paulo, la capitale économique du pays.
L’important, pour les magnats de la curie, c’est qu’il soit docile et gris. L’auréole progressiste qui entoure sa candidature est d’origine purement géographique, mais elle peut aussi servir pour inspirer à quelques cardinaux naïfs l’envie d’élire le “premier pape latino-américain”.
De même que, lors du conclave de 2005, les voix des cardinaux de curie et celles des partisans du cardinal Carlo Maria Martini s’étaient regroupées sur l’Argentin Jorge Bergoglio, dans une vaine tentative de blocage de l’élection de Ratzinger, cette fois encore une union du même genre pourrait se produire, regroupant sur le nom de Scherer des cardinaux de curie et des progressistes, ainsi que le très petit nombre des derniers anciens pro Martini, de Roger Mahony à Godfried Danneels, l’un et l’autre faisant aujourd’hui l’objet de critiques en raison de leur conduite fuyante dans le scandale des prêtres pédophiles.
Le pape qui plaît aux cardinaux de curie et aux progressistes est, par définition, faible. Il plaît aux premiers parce qu’il les laisse agir comme ils le souhaitent. Et aux seconds parce qu’il fait une place à leur rêve d’une Église “démocratique”, gouvernée “d’en bas”.
Il n’est donc pas surprenant qu’un représentant bien connu du catholicisme progressiste mondial, l’historien Alberto Melloni, ait exprimé dans le Corriere della Sera du 25 février le souhait que le prochain conclave élise non pas un « pape shérif » mais « un pape pasteur », qu’il se soit moqué du cardinal Dolan et qu’il ait justement cité, comme étant, à son avis, les plus « capables de comprendre la réalité » et de déterminer « le résultat réel du conclave », quatre des principaux cardinaux de curie : les Italiens Giovanni Battista Re, Giuseppe Bertello, Ferdinando Filoni « et bien évidemment Tarcisio Bertone ».
C’est-à-dire exactement ceux qui sont en train d’orchestrer l’opération Scherer. À ces quatre viendrait s’ajouter le cardinal de curie argentin Leonardo Sandri, dont on laisse entendre qu’il sera le futur secrétaire d’État.
Pour une curie ayant de telles idées, l’hypothèse de l’élection de Dolan suffit à elle seule à faire naître la terreur. Mais si Dolan était élu pape, il imprimerait également une secousse à cette Église faite d’évêques, de prêtres, de fidèles qui n’ont jamais accepté le magistère de Benoît XVI, son retour énergique aux articles du Credo, aux fondamentaux de la foi chrétienne, au sens du mystère dans la liturgie.
Doté d’un grand talent pour la communication, Dolan est un ratzinguerien à 100 % en matière de doctrine, mais aussi en ce qui concerne la vision de l’homme et du monde et le rôle public que l’Église est appelée à exercer dans la société.
Aux États-Unis, il est à la tête de ce groupe d’évêques partisans de la “discrimination positive” qui ont marqué la renaissance de l’Église catholique après des décennies de soumission aux cultures dominantes et de faiblesse face aux scandales de plus en plus nombreux.
En Europe et en Amérique du Nord – c’est-à-dire dans les régions où le christianisme est le plus anciennement implanté mais aussi le plus déclinant – aucune Église n’est plus vivante et plus en progrès que celle des États-Unis et aucune n’est plus libre et plus critique vis-à-vis des pouvoirs terrestres. Le tabou d’une Église catholique américaine identifiée à la première superpuissance mondiale, et donc incapable de jamais donner un pape, a disparu.
En réalité, ce qu’il y a d’étonnant dans ce conclave, c’est que les États-Unis disposent non pas d’un, mais bien de deux vrais “papabili”. Parce que, en plus de Dolan, il y a l’archevêque de Boston, Sean Patrick O’Malley, 69 ans, un vrai capucin à bure et barbe.
L’appartenance de ce dernier à l’humble ordre de saint François ne constitue pas un obstacle à son accession au pontificat et n’est pas sans précédents illustres, puisque le grand Jules II, le pape de Michel-Ange et de Raphaël, était lui aussi franciscain.
Mais ce qui est le plus important, c’est que Dolan et O’Malley ne sont pas deux candidats opposés l’un à l’autre. Les voix qui se portent sur l’un peuvent, si nécessaire, se reporter sur l’autre, parce qu’ils sont tous les deux porteurs d’un unique projet.
Par rapport à Dolan, O’Malley a un profil moins clair en ce qui concerne la capacité de gouvernement. Cela pourrait le rendre plus acceptable pour certains cardinaux et lui permettre de passer ce seuil décisif des deux tiers des voix, soit 77 sur 115, qui pourrait au contraire rester infranchissable pour l’archevêque de New York, plus énergique et, pour cette raison, beaucoup plus craint.
Le même raisonnement pourrait être appliqué à un troisième homme, le cardinal canadien Marc Ouellet, lui aussi très ratzinguerien et riche de talents semblables à ceux de Dolan et O’Malley, mais encore plus indécis et timide que ce dernier en ce qui concerne les décisions opérationnelles. Dans un conclave où beaucoup d’attentes porteront sur la remise en ordre du gouvernement de l’Église, la candidature d’Ouellet, même si elle est prise en considération par les cardinaux électeurs, apparaît comme la plus faible des trois qui proviennent d’Amérique du Nord.
Le fait que, depuis Rome, le conclave imminent puisse porter ses regards au-delà de l’Atlantique signifie qu’il prend acte de la nouvelle géographie de l’Église.
Le cardinal Ouellet a été, dans sa jeunesse, missionnaire en Colombie. Le cardinal O’Malley parle l’espagnol et le portugais à la perfection et il a toujours eu comme activité prioritaire la pastorale des immigrés hispaniques. Le cardinal Dolan est le chef des évêques d’un pays qui a rejoint les Philippines en tant que troisième pays au monde pour le nombre de catholiques, derrière le Brésil et le Mexique. Et un tiers des fidèles présents aux États-Unis sont des “latinos”, un chiffre qui s’élève déjà à la moitié en ce qui concerne les moins de 40 ans.
Il n’est pas étonnant que les cardinaux d’Amérique latine soient prêts à voter pour ces confrères d’Amérique du Nord. Et avec eux d’autres prélats de poids, comme l’Italien Angelo Scola, l’archevêque de Paris André Vingt-Trois, et l’Australien George Pell.
Une fois fermées les portes du conclave, de nombreuses voix pourraient se porter sur Dolan dès le premier tour de scrutin. Peut-être pas 47 comme pour Ratzinger au premier tour de 2005, mais en tout cas une bonne quantité.
La suite est inconnue.
C’est vrai qu’aux U.S.A. nous exprimons ouvertement,et sans compromis, notre catholicite. Mais en meme temps nous manquons d’une qualite essentielle: nous ne sommes pas HUMBLES! Nous voyons le monde par reference a nous memes. Nous n’avons pas la modestie des europeens. Nous pensons avoir la vocation a diriger le monde. Nous sommes convaincus que notre maniere de voir les choses est la meilleure et que naturellement, tout le monde doit se plier a notre vision. Je dirais que nous voyons tout en AMERICAINS d’abord, puis en CATHOLIQUES. Nous sommes un peuple tres imbu de lui-meme. Je crains qu’un Pape US aie une vision trop etroit de la dimension universelle de l’Eglise. Demandez-nous combien de continents existent. Nous vous repondrons qu’il y en a sept. C’est notre facon particuliere a nous de voir le monde. Pour le moment, un Pape avec une comprehension ordinaire de l’unite de l’Eglise dans la diversite serait preferable a un US. Cela etant, Notre Seigneur Jesus et l’Esprit Saint guident les Cardinaux. Nous accepterons le Pape qui sera elu, fut-il US ou non. Prions pour le Conclave.
Reconnaître qu’on n’est pas humble, c’est déjà être humble !