Esther Benbassa |
Le lundi 27 août dernier a été déposé à la présidence du Sénat une proposition de loi visant à légaliser le mariage homosexuel. Elle porte la signature de tous sénateurs écologistes (EELV), emmenés par Esther Benbassa : Mmes Leila Aïchi, Kalliopi Ango Ela, Aline Archimbaud, Marie-Christine Blandin, Corinne Bouchoux, et MM. Ronan Dantec, Jean Dessessard, André Gattolin, Joël Labbé, Hélèbe Lipietz – celle-ci nommée, curieusement, parmi les messieurs signataires, ça doit faire genre – et Jean-Vincent Placé.
Ce texte sera-t-il le « bon » ? Celui qui sera discuté effectivement ? Ou le gouvernement Hollande lancera-t-il à son tour un projet ? Pour l’heure, la proposition, qui a été selon l’expression consacrée « envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement », mérite cependant d’être étudiée attentivement, car son exposé des motifs contient des arguments qui seront repris, c’est certain, au cours de la campagne pour le « mariage » gay qui s’annonce.
Voici les points importants de ce que la proposition entend faire légaliser.
- Légalisation du mariage des personnes du même sexe par une modification explicite du code civil.
- Elimination de toute référence au sexe dans les lois régissant le mariage, au profit de termes neutres : époux, beaux-parents etc.
- Adoption splénière ouverte aux couples de même sexe, s’ils sont mariés, adoption simple par les pacsés ou concubins.
- Révision des accords bilatéraux d’adoption à l’étranger pour éliminer les refus opposés aux couples homosexuels par certains pays.
- Ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes, en reconnaissance de la « demande parentale d’un couple de femmes » ajoutée aux conditions exigées pour pouvoir y recourir.
- Transcription à l’état-civil français des actes de naissance des enfants nés par « gestation pour autrui » (mère porteuse) à l’étranger.
La proposition de loi s’abstient volontairement d’introduire plusieurs changements souhaités par les sénateurs EELV, laissant aux « états généraux sur la famille en vue de la réforme du code civil » le soin de débattre de la notion de « parentalité », de la présomption de paternité que « plusieurs associations LGBT voudraient voir remplacée par la présomption de parentalité » (pour que l’« époux » du même sexe soit présumé parent de l’enfant). Les mêmes états-généraux seraient l’occasion de faire légaliser la « gestation pour autrui » (et tant pis pour l’exploitation des femmes pauvres que cela suppose : la pire qui soit…).
Pour ce qui est des raisons avancées à l’appui de la proposition dans l’exposé des motifs, elles visent, sans surprise, les sondages dits favorables au « mariage » homosexuel, le principe de non-discrimination (dont il faut rappeler qu’il a été fortement affirmé par la Cour européenne des droits de l’homme disant qu’à partir du moment où les couples homosexuels avaient accès au mariage civil, ils devaient bénéficier de l’entièreté de ses droit), l’évolution déjà largement entamée des droits des homosexuels avec un pacs qui s’est de plus en plus aligné sur le mariage, le pacs étant présenté comme « un des avatars du mariage ».
Sur le plan de la logique et de l’interprétation du droit comme il va, il n’y me semble-t-il pas grand chose à opposer à cela. Du moins si l’on admet que les intérêts de l’enfant ne sont pas lésés par le fait de grandir auprès d’un couple homosexuel…
Je lis avec intérêt ces paragraphes de l’exposé des motifs (c’est moi qui numérote et qui mets en gras).
(1) Certes, le fait de réserver le mariage à des couples de sexes différents est clairement un dispositif de régulation sociale. En même temps, l’accorder aux personnes du même sexe n’apporte et ne retire rien aux couples de sexes différents. Il convient en ce cas de s’interroger sur la légitimité de ce refus, sauf à considérer que le mariage entre personnes du même sexe risque de mettre irrémédiablement en cause le contrôle social sur les couples et les familles.
(2) Si l’objectif du mariage civil n’est pas la procréation comme l’entendait l’Église, il semble difficile de trouver une raison convaincante d’empêcher la réalisation du mariage souhaité par deux hommes ou deux femmes qui s’aiment. Il faudrait alors préconiser l’interdiction du mariage de couples stériles ou n’étant plus en âge de procréer. En outre, les nouvelles techniques d’aide à la procréation ont révolutionné le rapport des couples à cette dernière, rendant notamment possible à ceux qui le souhaitaient de réaliser un projet familial.
(3) Si le mariage consacre l’amour entre deux personnes, croit-on que des personnes du même sexe ne sont pas en mesure d’éprouver l’une pour l’autre ce sentiment qui n’a pas de sexe ? Retenir cette hypothèse reviendrait à réduire à la sexualité seulement les relations amoureuses entre deux personnes du même sexe.
Il y a là trois points auxquels il faut réfléchir. Le premier s’énonce à peu près ainsi : le mariage des homosexuels ne change rien à la situation des mariages hétérosexuels, l’interdiction n’indiquant qu’une (coupable) volonté de « contrôle social sur les couples et les familles » : ce serait donc une atteinte aux libertés dont les couples hétérosexuels sont victimes du fait même de leur statut privilégié.
Ici il faut répondre avec netteté – et ce ne sera pas facile – que la société, le bien commun exigent que ce contrôle social se fasse effectivement, dans le respect des libertés et des droits des familles qui contribuent à la pérennité de la société, en promouvant celles-ci, en évitant que les enfants deviennent objets de désir, en faisant le maximum pour que leur droit d’être élevés conjointement par leur vrai père et leur vraie mère soit sauvegardé de manière durable.
Le deuxième point, qui frappe, ma foi, très fort mais de manière incomplète, affirme que si le mariage a pour finalité la procréation « comme l’entendait l’Eglise », alors il serait logique d’en exclure les homosexuels.
C’est le point central. Présenté de manière injuste puisque ce n’est pas seulement l’« Eglise » qui affirme cela, mais la raison, et la sagesse multi-séculaire des religions et des peuples. Peu à peu la finalité première du mariage, la procréation, est passée au second plan dans beaucoup d’esprits, même des esprits d’Eglise. Jusqu’à disparaître psychologiquement au fur et à mesure que la contraception, le divorce, l’union libre sont venus dévaluer le mariage.
Il faut bien comprendre à cet égard que si le « mariage » homosexuel dévaluera le mariage qu’on appellera normal, naturel, traditionnel – il faudra se mettre d’accord là-dessus –, le fait qu’on l’envisage procède aujourd’hui d’une dévaluation préalable, qui a déjà eu lieu et qui a fait du mariage instable, infécond par choix, fondé sur le seul sentiment, facile à rompre, une quasi norme sociale.
Autrement dit, le mariage, en oubliant sa finalité, s’ouvre forcément à tous vents. La bataille contre la légalisation du mariage homosexuel en sera singulièrement compliquée. C’est pourquoi, probablement, on l’axera sur le bien et le droit des enfants. La réflexion devrait pourtant aller plus loin.
Passons sur le mariage qui devrait, aux dires des sénateurs, être aussi interdits aux couples stériles ou trop âgés pour procréer. C’est la différence entre la potentialité et l’impossibilité de nature qui compte ici, l’acte homosexuel étant par nature infécond et non par accident.
Troisième point : l’amour. Les adversaires du mariage homo disent-ils que deux partenaires homosexuels sont incapables d’amour l’un pour l’autre au-delà de la relation homosexuelle ? Il me semblerait injuste de dire les choses de façon aussi absolue. Mais il y a un véritable amour entre parent et enfant, entre deux amis proches, entre frère et frère ou frère et sœur, etc., et il n’ouvre aucun droit au mariage. Ce n’est pas l’amour, pour profond qu’il soit, qui fonde l’institution du mariage. Pas n’importe quel amour. Pas n’importe quelle union.
Il est important de comprendre que c’est bien sur l’existence de rapports physiques que les homosexuels qui demandent l’accès au mariage fondent celle-ci, rapports physiques dont on a préalablement exclu toute notion de finalité. On revient aussitôt au point numéro 2.
Non, le mariage ne consacre pas uniquement l’amour-sentiment entre deux personnes : il est un engagement, une alliance, une communion de personnes dans laquelle l’homme et la femme entrent en vue de plusieurs biens : il consacre et affirme la volonté de rechercher toujours le bien de l’autre – amour vrai –, quoi qu’il arrive, fidèlement et jusqu’à la mort, en vue de la procréation et de l’éducation des éventuels enfants qui naîtront et dont le bien sera alors l’œuvre commune de l’homme et de la femme qui leur auront donné le jour.
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