Les débats qui se déroulés entre évêques américains à l’occasion de leur assemblée plénière de printemps à Atlanta, ne sont pas tous marqués par l’unanimité. En matière de défense de la liberté religieuse, le front est uni. Mais en matière d’économie, ce n’est pas le cas.
Sur proposition de Mgr Stephen Blaire, 71 ans, évêque de Stockton (Californie) et président de la Commission épiscopale sur la justice et le développement humain (aux États-Unis), les évêques ont accepté par 171 voix contre 26 que la Conférence épiscopale (United States Conference of Catholic Bishops, USSCB) autorise la Commission à préparer un document, en forme de message, sur la situation économique des États-Unis, et dont le titre serait « Réflexions catholiques sur le travail, la pauvreté et une économie sinistrée ». Mais comme ce document sera soumis à l’approbation de l’épiscopat lors de son assemblée plénière d’automne, c’est-à-dire en novembre prochain et donc après les élections (présidentielle, législatives…), on peut légitimement s’interroger sur son intérêt général et particulier. C’est ce qu’ont essayé de faire comprendre un certain nombre d’évêques hostiles à cet énième document à vocation économique, à mon avis à juste titre, d’autant plus que les prélats opposants ne sont pas des “seconds couteaux”.
L’évêque de Lansing (Michigan), Mgr Earl Boyea, a profité du débat avant le vote, pour placer une première “banderille” sur la Commission, la critiquant pour ses positions publiques hostiles au projet de budget élaboré par le député catholique Républicain du Wisconsin à la Chambre des Représentants et président de sa Commission budgétaire, Paul Ryan. Son rapport de mars 2012 (The Path to Prosperity: A Blueprint for American Renewal – Le chemin vers la prospérité : un projet pour le renouveau américain), avait été critiqué par certains secteurs catholiques de gauche reprenant l’antienne, que nous connaissons aussi en France : « Tout pour les riches, rien pour les pauvres » ; une caricature fabriquée à partir d’une lecture vraiment oblique de ce projet de budget. Passons. Cette critique avait été reprise par des secteurs ecclésiaux, notamment la Commission présidée par Mgr Blaire. D’où cette mise au point très intéressante de Mgr Boyea : « Des laïcs catholiques, notamment des économistes catholiques, ont exprimé des inquiétudes sur ce qui a été perçu comme un acte partisan contre le député Paul Ryan et le budget qu’il a proposé [l’évêque ajoute « perçu comme un acte venant des évêques alors qu’il n’était que celui de la Commission » !]. Nous ne devons être clairs que sur les principes et laisser aux laïcs le soin de les appliquer (…). Cela a été considéré comme partisan et, par conséquent, n’a pas vraiment fait progresser le dialogue dans notre pays profondément divisé (…). Je ne suis pas sûr que nous ayons l’humilité de ne pas nous aventurer dans des domaines où nous manquons de compétence et où nous devrions laisser les laïcs prendre la barre. Nous avons beaucoup plus besoin d’apprendre que d’enseigner dans ce domaine. Nous avons plus besoin d’écouter que de parler. Nous disposons déjà d’un excellent et remarquable Compendium [sur la doctrine sociale de l’Église] ».
Emboîtant le pas de son confrère dans l’épiscopat, Mgr Allen Vigneron, archevêque de Détroit (également dans le Michigan… –, pose une deuxième “banderille”… Sans contester le projet de déclaration, il appelle la Commission à insister davantage sur le fait que « la désintégration de la famille » est un facteur non négligeable dans la décomposition de l’économie, un facteur qui, il est vrai, n’est guère présent dans les analyses économiques de la Commission…
Enfin, dernier dans le tercio des banderilles – dans la corrida classique, il y a trois poses de banderilles, d’où tercio : troisième, tiers en espagnol – l’archevêque Joseph Naumann de Kansas City (Kansas) est entré dans l’“arène” pour soutenir son confrère Mgr Boyea dans sa critique d’une Commission « parfois perçue comme partisane » et qui devrait davantage avoir à l’esprit le principe de subsidiarité qui a été « négligé dans [ses] documents passés ». L’archevêque Naumann a ajouté que toutes les solutions qui mettent l’accent sur l’intégration des gens dans les projets gouvernementaux ont été « tentées depuis des décennies » et ont toutes échoué… « Nous devons parler sur la dette et sur la nature vraiment grave de cette dette. On nous perçoit parfois comme nous contentant d’encourager le gouvernement à dépenser plus d’argent, mais sans moyen réaliste sur la façon dont nous allons rendre cela possible ».
Pour filer la métaphore tauromachique, il est bien dommage qu’il ne se soit pas trouvé dans l’aula épiscopale un matador pour porter l’estocade… J’exagère un peu, je l’avoue. De toutes les manières, il va falloir constituer un comité de rédaction ad hoc, en tenant compte des différentes “sensibilités”, puis soumettre le texte du message à l’assemblée d’automne, qui sera ou ne sera pas adopté mais qui ne sera pas, en définitive, contraignant pour les évêques !