Donc le sénat a voté cette loi régulant le port des signes religieux dans les crèches. Les journalistes et les bloggeurs catholiques bienpensants s’exclament de cette “nouvelle atteinte au droit des gens”, sans prendre le temps de réfléchir précisément à la question, et à la spécificité de ce qui est visé par cette loi : l’ « autre loi », l’islam dans sa forme politique.
Nul besoin de « se voiler la face » (sans jeux de mots ?) : cette loi vise principalement les dérives de l’islam, et la recrudescence de soucis qu’il pose à notre société, de l’extrémisme islamiste à la burqa, en passant par les soucis posés dans les crèches (récemment l’affaire de la crèche Babilou) et la recrudescence de foulards islamistes dans les rues françaises, rendant certains quartiers réellement et visiblement communautaires – il y a des endroits où l’on ne voit quasiement aucune femme non voilée, ceci est un fait. Je vous encourage à venir prospecter en banlieue par vous-mêmes (évidemment, pas à Neuilly…).
Donc les « bloggeurs catho » s’en prennent à cette loi (par exemple ici), en procédant à des comparaisons avec le christianisme ; et les bonnes sœurs ? et les prêtres en col romain ? (comme si les prêtres avaient attendu ces lois pour l’enlever, leur col romain), etc. Mais prennent-ils en compte les différences structurelles et historiques qui s’appliquent entre l’islam et le christianisme à propos de cette question ?
Différences historiques, en ce que la laïcité est un concept forgé à partir du XVIIème ciècle dans des conditions de guerre de religion intra-chrétiennes (entre protestants et catholiques) en Europe, aboutissant à la religion civile (chez Rousseau) ou à l’étatisation de la religion (chez Hobbes). La thèse de Rémi Brague, dans le récent – et excellent – travail intitulé la loi de Dieu, consiste à montrer que la question de la séparation entre l’état et la religion est une fausse question : le christianisme n’a pas de « loi », parce qu’ « il donne à l’homme la possibilité de devenir à lui-même une loi » (contrairement aux autres religions) ; Nous sommes images de Dieu, « en ce que nous nous mouvons par nous-mêmes », c’est-à-dire que nous sommes autonomes (autos-nomos : se donner une loi à soi) dit saint Thomas d’Aquin, et encore, en termes métaphysiques : « Dieu accorde à l’homme d’avoir accès à la dignité de cause de soi », dit-il autre part.
Différences structurelles. Car l’islam est-il vraiment une religion, tel que l’entend l’occidental rompu à plus de 1500ans de domination chrétienne ? Rémi Brague, dans un excellent entretien, pourtant dans le même blog qui dénonce cette loi sur la laïcité (comme quoi les textes ne sont pas forcément bien lus, même par ceux qui les publient), pose la question franchement : « Une doctrine qui vous dit tout ce que vous pouvez et devez faire, ce n’est plus une religion, c’est une loi. Au Moyen Âge, les médiévaux appelaient l’Islam – ainsi que les deux autres religions – lex, la loi. Ca me semble plus juste. C’est une manière de vivre plus que de croire. ». Une loi et une manière de vivre, les expressions viennent bien d’un des plus fins connaisseur de l’islam qu’ai produit l’occident ces dernirèes années.
Il est donc impossible, pour des raisons structurelles et historiques, de mettre sur le même pied l’islam et le christianisme. Enfin, Rémi Brague nous livre une dernière réflexion capitale, dans ce même sens, en se demandant si, finalement, il est possible d’affirmer béatement, et sans analyse préalable, que nous partageons le même Dieu entre chrétiens et musulmans. ; par exemple
« Il faut être extrêmement prudent et regarder ce qu’il y a derrière les mots. Quand ils disent « Dieu est miséricordieux, » parle-t-on de la même miséricorde que celle du Dieu des chrétiens ? Allah n’est miséricordieux qu’envers ceux qui croient en lui et hait les incrédules (Coran, XL, 10) : il y a une différence, non ? »
Il y a une différence ? Tout autant, donc, que doit l’être la laïcité dans son application. D’où mon appel pour une refonte conceptuelle de la laïcité. (vous aurez de nombreux éléments de réflexion ici durant les mois qui viennent à ce propos).
© Vivien Hoch, pour Itinerarium
Voir :
Rémi Brague, Du Dieu des chrétiens, et d’un ou deux autres… (2008)