Un changement d’année, fait anodin en soi – ce n’est dans l’absolu qu’un nouveau jour comme un autre – a au moins ce mérite d’être un moment où le flux d’informations et de commentaires s’autorise d’une suspension afin de faire le point sur l’année passée et sur les perspectives de l’année future. Ou de commenter à double tête. Une herméneutique sub ratione mundi (sous la raison du monde) n’a vu et ne voit de ce qui s’est passé et de ce qui va se passer que de très sombres choses. Pas la peine de le rappeler. Mais l’année 2012 est pour moi l’année de la vertu. La vertu (et notamment théologale – foi, espérance, charité) ne resplendit jamais mieux que lorsque tout est sombre. Voilà pourquoi je place mes résolutions sous l’égide de la vertu (charité, espérance, foi, prudence) :
1° Déployer mon énergie pour réconciler d’abord mes frères chrétiens, et ensuite les autres ; pour déployer d’abord le Kerygme, avant de déployer les rationalités qui lui font face ; pour m’indigner d’abord de mon péché, avant de m’indigner du méchant « système » financier. Sans inversion malsaine. Trop de chrétiens dépensent plus d’énergie à défendre les « autres » (les autres religions, les autres cultures, etc…) en délaissant l’amour de ceux qui leur sont les plus proches, voir même en les haïssants (les « tradis », les français « fachos », etc.). Ne pas oublier que la charité s’adresse d’abord à celui qui nous est le plus proche (le prochain). Saint Thomas d’Aquin l’affirme sans ambages : « l’homme aime ceux qui lui sont le plus proches » (Somme de théologie, IIa Iiae, qu. 27, art. 7, reps.) – voilà la véritable puissance de la charité.
2° Rappeler que la charité n’est pas une manière de se laisser marcher dessus, mais une manière de révolutionner le monde, de le voir autrement, de le rendre meilleur ; de ne pas « tolérer » le mal, mais de le combattre ; de ne pas se battre irationnellement, mais de se battre contre l’irrationnalité. Bref, de promouvoir un christianisme combattif et configurateur de monde, plutôt qu’un christianisme qui se laisse déconstruire, marcher dessus, comme les tièdes qui seront vomis. Saint Bernard de Clairvaux, pourtant maitre de douceur et d’humilité, le rappelle : « Nous sommes ici comme des guerriers sous la tente, cherchant à conquérir le ciel par la violence, et l’existence de l’homme sur cette terre est celle d’un soldat. » (Commentaire sur le Cantique des Cantiques, XXVI) – la victoire est déjà nôtre en espérance.
3° Faire du triptyque « prier, penser, aimer » le système de ma pauvre existence, qui deviendra par là vite très riche. Ces trois manières d’exister ne consituent en somme qu’une seule et même chose : la vie surnaturelle de la grâce. Vivre de Dieu, et un peu moins de moi ; vivre de son eau souvent austère, plutôt que du vin enivrant du monde ; car « la grâce ramène tout à Dieu », alors que le monde ramène tout au péché (Imitation de Jésus-Christ, III, 54). L’idée est donc de ramener le monde à Dieu, plutôt qu’à son péché. Comme le fait la foi.
4° Agir dans le concret. La politique est l’art du concret ; sa vertu est la prudence, c’est-à-dire la manière d’articuler les principes universels à une situation donnée. Aussi est-il bon d’avoir des principes, par essence abstraits ; mais plus encore est-il bon de savoir et de pouvoir les articuler dans une situation concrète. Mais l’inverse est juste : lorsque de nombreux faits et de nombreuses situations se reproduisent, il faut savoir en tirer les conclusions justes et véritables par mode de synthèse. L’art politique consiste en ces deux temps : appliquer ses principes dans des situations concrètes, et savoir analyser les situations. Si en effet « le jugement droit consiste en ce que la faculté de connaissance saisit une chose comme elle est » (Somme de théologie, IIa IIae, qu. 51, art. 3, sol. 1), c’est bien sur « ce que sont les choses » que tout le monde se sépare, parce que chacun déforme les faits par son idéologie, ses principes, son histoire propre, etc. Avoir le courage de voir et de dire les choses telles qu’elles sont, même si elles sont génantes, voilà mon dernier vœu, celui de l’homme véritablement prudent.