Jean Madiran écrit dans Présent du mercredi 15 décembre :
Un des facteurs de la crise épiscopale date exactement de juin 1966. L’épiscopat français décréta une mise en garde (équivalent moral mais non point canonique d’une condamnation) contre la presse catholique contre-révolutionnaire, dont la revue Itinéraires, coupable de contester «les principes du renouveau entrepris» : manière de parler pour désigner ce qui allait être nommé plutôt «l’esprit du Concile». C’est notre honneur de l’avoir tout de suite contesté. Mais l’important pour ce qui nous occupe aujourd’hui est ailleurs.
Il est dans le fait que les deux fonctionnaires de l’appareil épiscopal chargés de publier cette condamnation, les sieurs Pichon et Etchegaray (ce dernier, futur cardinal ; à l’époque il n’était même pas évêque), déclarèrent mordicus que si elle était rendue publique, c’était parce que nous avions refusé le dialogue proposé par l’épiscopat, « plusieurs évêques avaient vainement tenté de dialoguer » avec nous.
Or c’était un mensonge. Aucun Ordinaire d’un diocèse ne m’a offert ou réclamé un dialogue sur «les principes du renouveau entrepris». Le seul évêque avec lequel j’en ai parlé est Mgr Marcel Lefebvre, il avait quitté le diocèse de Tulle depuis 1962. Je ne vais pas raconter ici l’affaire en détail, je l’ai déjà fait, elle occupe une trentaine de pages dans La révolution copernicienne dans l’Eglise, c’est le chapitre III, la «Lettre à mon avocat sur le poignard et le manteau». Pourquoi à mon avocat ? Parce que l’affaire, de 1966 à 1972, est allée jusqu’au Tribunal de la Rote et même jusqu’au Suprême Tribunal de la Signature Apostolique.
Ce qui importe aujourd’hui, c’est que de 1966 à aujourd’hui compris, le verdict est resté en vigueur, tout ce qui est proche de la pensée catholique contre-révolutionnaire demeure catalogué comme le clan qui refuse tout contact et qui s’enferme frileusement dans une forteresse. Les évêques se sont succédé les uns aux autres par un système de quasi cooptation, ils se sont transmis les mêmes consignes. La pastorale est au «pluralisme», au «vivre ensemble», à l’«ouverture à l’autre», mais cet «autre» n’est jamais nous, puisque nous sommes définitivement classés comme incapables d’un « dialogue » que nous « refusons » quand l’épiscopat nous le «propose».
Tel est mon témoignage. Depuis 1956 et jusqu’en 2005-2007, j’ai exercé des responsabilités publiques certes modestes, mais non pas nulles : frappé cependant de la relégation médiatico-sociologique décrétée par l’appareil épiscopal, je n’ai eu aucune conversation doctrinale avec un évêque diocésain depuis quarante-quatre ans. Une exception pourtant ? Mgr Pierre Veuillot quand il était archevêque de Paris (mais je l’avais connu à Rome sous Pie XII), ce n’était pas pour un dialogue qu’il m’avait convoqué, c’était une rencontre à la Bonaparte, cherchant qui seraient ses hommes pour un règne qu’il annonçait long et que la maladie vint abréger. Je crois que je n’oublie personne quand je dis : aucun évêque, aucun.
La rupture n’est donc pas venue de l’école catholique contre-révolutionnaire. Elle est venue de l’épiscopat, elle a été maintenue par l’épiscopat. On peut en faire divers commentaires. On peut en tirer plusieurs conclusions théoriques et pratiques. Pour aujourd’hui je m’en tiens au fait.
Dans le cadre de la Nouvelle Evangélisation, Mgr Fisichella réussira-t-il à briser cet état de fait ? Certains évêques le souhaitent.