Les articles d’été de Sandro Magister sont décidément fort riches d’enseignement. Il s’est récemment penché sur une controverse (dont j’avais totalement perdu le souvenir, si tant est que je l’aie suivie à l’époque) entre le cardinal Ratzinger et le cardinal Eyt, alors archevêque de Bordeaux, sur le poids respectif des institutions et du rapport à la vérité dans l’Eglise. Alors que le cardinal Eyt insistait sur les institutions, le cardinal Ratzinger répondit alors:
“Ceux qui défendent la doctrine trinitaire, la christologie, la structure sacramentelle de l’Église, le fait qu’elle ait son origine dans le Christ, la fonction de Pierre ou l’enseignement moral fondamental de l’Église, etc., et qui doivent en combattre la négation dans la mesure où celle-ci est incompatible avec l’institution ecclésiale, frappent dans le vide si l’opinion se répand que tout cela [cet ensemble de vérités] est sans importance. Dans ces conditions une institution devient une carcasse vide et elle tombe en ruines, même si extérieurement elle reste puissante ou si elle donne l’impression d’avoir des bases solides.
“C’est pour cette raison que les décisions institutionnelles du magistère ne peuvent devenir fécondes qu’à condition d’être liées à une lutte sérieuse et convaincue pour une nouvelle évidence des choix fondamentaux de la foi”.
Et Sandro Magister de poursuivre, adaptant cette question – en apparence très théorique – la pratique juridique et institutionnelle de Benoît XVI:
“Pour en revenir à l’actualité, lorsque l’on voit Ratzinger à l’œuvre en tant que “pape législateur”, on peut avoir l’impression qu’il a changé d’idée et que les institutions, la législation et les normes canoniques ne sont plus pour lui quelque chose de “secondaire”.
Mais ce n’est pas vrai. À chaque fois que Benoît XVI légifère – par exemple lorsqu’il libéralise la messe selon l’ancien rite romain ou lorsqu’il renforce les mesures contre les “delicta graviora” – il fait tout ce qu’il peut pour mettre en évidence à la fois la base de vérité des décisions qu’il a prises et leur spécificité par rapport aux lois de la cité terrestre.
Lorsque cette “évidence des choix fondamentaux de la foi” fait défaut, il se garde bien de céder aux “provocations de la sensibilité d’aujourd’hui”.
Pour lui l’orthopraxie ne peut pas être séparée de l’orthodoxie, de même que la “caritas” n’est telle qu’”in veritate”.
Le paragraphe final de sa conférence de 1999 à la Sorbonne disait précisément ceci :
“La tentative pour redonner, en cette crise de l’humanité, un sens compréhensif à la notion de Christianisme comme ‘religio vera’, doit pour ainsi dire miser pareillement sur l’orthopraxie et sur l’orthodoxie. Son contenu devra consister, au plus profond, aujourd’hui – à vrai dire comme autrefois – en ce que l’amour et la raison coïncident en tant que piliers fondamentaux proprement dits du réel : la raison véritable est l’amour et l’amour est la raison véritable. Dans leur unité, ils sont le fondement véritable et le but de tout le réel”.”
Ce qui rejoint une idée forte (quoique fort peu originale!) qui anime les rédacteurs de ce blogue: nous ne sortirons de la crise de l’Eglise que par voie d’autorité et de sainteté (je crois que cette expression est de Jean Madiran). Par voie d’autorité, au double sens d’un nouvel apprentissage de l’obéissance et d’un nouvel apprentissage de l’importance de l’exercice de l’autorité, non seulement dans l’Eglise enseignée, mais aussi dans l’Eglise enseignante (on oscille depuis quelques décennies entre un caporalisme insultant pour l’intelligence des fidèles et une laxisme dévastateur). Par voie de sainteté, parce toutes les crises de l’Eglise ont toujours été l’occasion de, et résolues par, une floraison de saints.
Comme le disait Mère Teresa à un journaliste qui lui demandait ce qui allait mal dans l’Eglise: “Vous et moi”. Commençons par nous réformer, par être saints, et alors la crise de l’Eglise ne sera plus qu’un mauvais souvenir!
Bonsoir,
A.
1. Il y a d’abord un déficit “d’autorité intellectuelle appliquée” ; l’autorité, ce n’est pas ce qui est autoritaire, c’est ce qui fait autorité,
– dans l’esprit de celui qui est responsable de son exercice,
comme
– dans l’esprit de celui qui en est à la fois destinataire ET bénéficiaire.
2. Or, bien souvent, dans l’Eglise comme dans d’autres organisations humaines (même si l’Eglise est une organisation particulière) l’absence ou le déficit effectif d’unité de conception et de décision, d’unité de culture doctrinale et de culture pastorale, d’unité de pensée et d’action, du haut au bas de la hiérarchie, nuit quelque peu à ce que ce qui fait autorité “au sommet” soit considéré comme devant ou pouvant faire autorité “sur le terrain”.
3. Il y a ensuite un déficit de “discipline intellectuelle expliquée” ; la discipline, ce n’est pas ce qui est disciplinaire, c’est ce qui fait que les disciples de Jésus-Christ, au sein même de l’Eglise catholique,
a – n’ont pas à être, comme certains le disent parfois, “profondément respectueux de l’Evangile”, “DONC”, comme les mêmes le font parfois, durablement réfractaires aux documents d’Eglise (porteurs d’un minimum de discipline intellectuelle, dans les deux sens du terme), dès lors qu’ils viennent de Rome ;
b – n’ont pas à s’en remettre, avant tout ni en tout,
– à l’insularité et à la souveraineté de leur “jugement personnel”,
– à la crédibilité ou à la fiabilité, prétendue ou supposée, de leur “libre examen”,
– à “l’inerrance” autoproclamée de leur “sensibilité”,
c – mais ont à s’en remettre, préférentiellement et prioritaitement, à tout le moins sur les questions explicitement et spécifiquement relatives aux fondements et au contenu de la foi catholique et des moeurs chrétiennes, à un Magistère romain qui a vocation à être le garant et le gardien de l’orthodoxie et de la véracité.
4. Le problème, c’est que les uns et les autres, depuis un demi-siècle, ont été encouragés, parfois par la pusillanimité de leurs interlocuteurs épiscopaux, à réfléchir et à réagir en fonction et à partir
– d’une orthopraxie pastorale parfois non visiblement subordonnée à une orthodoxie doctrinale,
– d’une sincérité subjective “instituante” entretenant parfois avec la véracité objective “instituée” des relations placées sous le signe de la fidélité sélective ou de la restriction mentale.
B. Je deviens, d’un seul coup, plus concret : en cet été 2011, certains penseront peut-être au 45° “anniversaire” de l’envoi, par le Saint Siège, du courrier suivant, à l’ensemble des évêques ; malgré, notamment, la parution et la diffusion du Catéchisme de l’Eglise catholique, en 1992, je ne suis pas absolument persuadé que ce courrier, alors fort mal reçu, ait perdu toute son actualité et toute son utilité. Voici ce dont il est question.
” Comme le deuxième concile œcuménique du Vatican, récemment heureusement clos, a promulgué des documents très sages, soit en matière doctrinale, soit en matière disciplinaire, pour promouvoir efficacement la vie de l’Eglise, il incombe à tout le peuple de Dieu une grave charge, celle de faire tous les efforts pour mener à son application tout ce qui, dans cette grande assemblée d’évêques présidée par le Souverain Pontife, a été solennellement proposé ou décrété.
Or il appartient à la hiérarchie, c’est son droit et son office, de veiller, diriger, promouvoir le mouvement de renouveau commencé par le Concile, afin que les documents et décrets de ce même Concile reçoivent une droite interprétation et soient mis en application en observant strictement la vigueur et l’esprit de ces mêmes documents. Ce sont en effet les évêques qui doivent protéger cette doctrine, eux qui jouissent sous leur chef qui est Pierre, de la fonction d’enseigner avec autorité. Et c’est louablement que de nombreux Pasteurs se sont déjà mis à expliquer de manière apte la doctrine du Concile.
Il est néanmoins à déplorer que de divers côtés des nouvelles peu réjouissantes soient parvenues d’abus croissants dans l’interprétation de la doctrine du Concile, ainsi que d’opinions vagabondes et audacieuses surgissant çà et là, qui ne pervertissent pas peu l’esprit de nombreux fidèles. II faut louer les études et les efforts d’investigation plus complète de la vérité, qui distinguent à juste titre entre ce qui est à croire et ce qui est objet d’opinion libre ; mais à l’examen des documents soumis à cette Sacrée Congrégation, il appert qu’un nombre non négligeable de thèses outrepassent facilement les limites de la simple opinion ou de l’hypothèse et semblent affecter en une certaine mesure le dogme lui-même et les fondements de la foi.
Il est à propos de toucher à titre d’exemples certaines de ces thèses et erreurs, telles qu’elles se manifestent par les rapports d’hommes doctes ou dans des écrits publiés.
1) Vient d’abord la Révélation sacrée elle-même : il en est qui recourent à la Sainte Ecriture en mettant sciemment de côté la Tradition, ils réduisent aussi l’amplitude et la force de l’inspiration et de l’inerrance bibliques et n’ont pas une idée correcte de la valeur des textes historiques.
2) En ce qui concerne la doctrine de la foi, on dit que les formules dogmatiques sont soumises à l’évolution historique, de telle sorte que leur sens objectif lui-même est soumis au changement.
3) Le magistère ordinaire de l’Eglise, surtout celui du Pontife romain, est parfois si négligé et mésestimé, qu’il est presque relégué dans la région des libres opinions.
4) La vérité objective et absolue, ferme et immuable, n’est presque pas admise par certains, qui soumettent toutes choses à un certain relativisme et ceci pour la raison fallacieuse que toute vérité suit nécessairement le rythme de l’évolution de la conscience et de l’histoire.
5) La personne adorable elle-même de Jésus-Christ est atteinte, lorsqu’en repensant la christologie, tels concepts de personne et de nature sont employés, qui sont difficilement compatibles avec les définitions dogmatiques. Il rampe un certain humanisme christologique, selon lequel le Christ est réduit à la condition d’un simple homme, qui aurait acquis peu à peu la conscience de sa Filiation divine. Sa conception miraculeuse, Ses miracles, Sa Résurrection même sont concédés verbalement mais en réalité sont ramenés à l’ordre purement naturel.
6) De même dans le traité théologique des sacrements, on ignore ou on ne tient pas suffisamment compte de certains éléments, surtout en ce qui concerne la très sainte Eucharistie. Il n’en manque pas qui traitent de la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin en favorisant un symbolisme exagéré, tout comme si le pain et le vin n’étaient pas convertis en le Corps et le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ par la transsubstantiation, mais étaient simplement transférés vers une certaine signification. Il en est aussi qui avancent plus que de raison le concept d’agapes pour la messe, avant l’idée de Sacrifice.
7) Certains préférant expliquer le sacrement de Pénitence comme un moyen de réconciliation avec l’Eglise, n’expriment pas assez la réconciliation avec Dieu offensé Lui-même. Ils prétendent qu’à la célébration de ce sacrement n’est pas nécessaire la confession personnelle des péchés, mais ils se contentent d’exprimer seulement la fonction sociale de réconciliation avec 1’Eglise.
8) II n’en manque pas non plus qui mésestiment la doctrine du concile de Trente sur le péché originel ou la commentent de telle manière que la faute originelle d’Adam et la transmission même du péché sont offusquées.
9) Des erreurs non moindres sont répandues dans le domaine de la théologie morale. En effet certains, non en petit nombre, osent rejeter la règle objective de la moralité ; d’autres n’acceptent pas la loi naturelle, mais affirment la légitimité de la morale de situation, comme ils disent. Des opinions pernicieuses sont proposées sur la moralité et la responsabilité en matière sexuelle et matrimoniale.
10) A toutes ces choses il faut ajouter une note sur l’œcuménisme. Le Siège Apostolique loue tout à fait ceux qui, dans l’esprit du décret conciliaire sur l’œcuménisme, promeuvent les initiatives en vue de favoriser la charité envers les frères séparés et de les attirer à l’unité de l’Eglise, mais il déplore qu’il n’en manque pas qui, interprétant à leur manière le décret conciliaire, réclament telle action œcuménique qui offense la vérité sur l’unité de la foi et de l’Eglise, favorisant un dangereux irénisme et l’indifférentisme, qui assurément est totalement étranger à l’esprit du Concile.
Les erreurs et périls de ce genre, éparpillés sans doute çà et là, se trouvent néanmoins réunis en cette lettre en une synthèse sommaire et proposés aux Ordinaires, afin que chacun selon sa charge et son office prenne soin de les réprimer ou de les prévenir.
Ce Sacré Dicastère prie en outre instamment les mêmes Ordinaires des lieux, réunis en leurs conférences épiscopales respectives, de s’en occuper et d’en référer opportunément au Saint-Siège et de livrer leurs réflexions avant la fête de la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ de l’année courante.
Cette lettre, qu’une évidente raison de prudence interdit de rendre publique, que les Ordinaires et ceux, quels qu’ils soient, à qui ils auront estimé juste de la communiquer, la couvrent d’un strict secret.
Rome, le 24 juillet 1966
A. Card. OTTAVIANI, préfet, Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi.”
Qui a fait quoi de ce courrier, hier ?
Qui ferait quoi d’un tel courrier, aujourd’hui ?
Qui écrirait puis enverrait un tel courrier, demain ?
Je crois que vous m’avez compris.
Bonne soirée.
A Z
Oui, le problème de Vatican II, c’est le concile, les dégats eut été moins important si les papes avaient légiféré sans le concile.
Pour la question de l’autorité, nous laïcs nous pouvons exprimer respectueusement cela à nos prêtres et évêques si cela est opportun, mais il nous faut surtout prier pour eux, pour qu’il soit revêtus de l’Esprit de force pour assumer une telle charge, un tel service (c’est leur devoir de nous rendre le service de l’autorité).
Pour la sainteté, il est plus qu’urgent de collaborer avec la grâce de Dieu pour qu’Il fasse de nous les saints dont l’Eglise et le monde ont besoin !
Merci pour ce programme bien tracé : au travail !
Message à AZ. Vous avancez masqué. On ne saisit pas la pointe de votre dissertation. On ne voit pas où vous voulez en venir.
En tout cas, moi, je ne le vois. Je ne suis, selon l’opinion de l’abbé Lobet, pas très intelligent vous le savez.
Pouvez-vous nous résumer en deux phrases votre sentiment ?
En tout cas, si vous voulez mon opinion sur ce texte du cardinal Ottaviani – je ne sais s’il est authentique, vous ne citez aucune source – je le trouve magnifique, prémonitoire et d’actualité.
Je le signerais à deux mains.
Bonsoir,
1. Je n’avance pas masqué ; je suis un catholique critique, ni hypocritique, ni hypercritique, ce qui ne veut pas dire que, dans mon esprit,
– tous les catholiques moins critiques que moi sont, à mon sens, adeptes du conformisme,
ni
– que tous les catholiques plus critiques que moi sont, à mes yeux, apôtres du sectarisme.
2. La pointe de ma dissertation, la voici : nous n’en serions pas là où nous en sommes, si nous n’avions pas commencé à subir, dès le milieu des années 1960, les conséquences d’une assimilation de la mise en oeuvre du Concile à un démantèlement de l’autorité et de la discipline intellectuelles, en matière de réception et de transmission du dépôt de la foi, au sein même de l’Eglise.
3. Vous trouverez le texte ici :
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19660724_epistula_fr.html
Bonne réception, bonne lecture, bonne fin de semaine.
A Z
P S : je ne serai pas “le casque bleu de la cathosphère”, mais il y a peut-être un moyen d’enfoncer un coin, bleu comme la paix, entre vous même et l’abbé Lobet, en mettant en avant la notion de “développement homogène”, si j’ai bien compris votre controverse.
On n’a pas à être catholique critique, hypocritique ou hypercritique, mais bien catholique tout court.
je n’ai pas de conflit avec ce pauvre abbé Lobet. Je défends à ma manière la foi catholique telle que je l’ai apprise au catéchisme.
Vous voulez dire Newman, ou Vincent de Lérins, pour nous départager ? J’aime beaucoup le bienheureux Newman et saint Vincent de Lérins. Ils n’ont jamais dévié de la foi catholique.
Quant au texte du cardinal Ottaviani, je suis heureux qu’il soit authentique. Je l’ignorais avant la lecture de votre post. Je continue d’y souscrire à deux mains. Voilà au moins quelqu’un qui n’était pas moderniste !
Et vous qu’en pensez-vous ?
L’arrogance et la condescendance, cher Ferrand, n’ont jamais fait une pensée.
Hélas!
Vincent de Lerins, Newman, ont, en effet, eut, pour leur part, l’audace de penser.
Répéter toujours le même, cela n’équivaut pas à être fidèle à la Tradition.
Mais bon, tant pis pour vous : vous serez toujours amer, aigri, et peut-être même haineux, sous le prétexte faux de défendre la foi catholique. Vous ne défendez en réalité que des certitudes, parce que vous avez peut de tout, et peut-être d’abord de vous-même.
Je ne me reconnais pas dans ce genre de “catholicisme” (si c’en est un).
Le “pauvre abbé Lobet”, au fond, vous plaint.
Je vois que le débat est passionnant.
Un jour quelqu’un m’a dit “La Tradition ? C’est une nappe à laquelle il n’y a pas assez de coins pour que tout le monde tire dessus”.
Je dois avouer avoir été impressionné par ce raccourci philosophique.
C’est le propre d’une période de crise dans l’Église.
Ceux qui liront l’Histoire dans deux siècles comprendront mieux que nous.
En attendant, combien d’incompréhensions, d’animosité, de fractures …. de dégâts à ce qui a vocation surnaturelle.