En validant les commentaires au cours des dernières semaines, je suis souvent tombé en arrêt sur deux phrases de l’abbé Lobet:
1) L’une affirme qu’un concile oecuménique ne peut être réformé que par un concile oecuménique.
2) L’autre affirme que de nombreux lecteurs de ce blogue – et, si je comprends bien, votre serviteur également – se croient “plus catholiques que le Pape”.
Contrairement à certains collaborateurs d’OV, je ne connais pas personnellement l’abbé Lobet. Je le regrette car l’homme semble, à le lire, à la fois courtois et érudit. Mais, pour l’article que je me propose de rédiger ici, je me félicite de ne l’avoir jamais rencontré. Cela évitera que quelque passion personnelle ou quelque argument ad hominem se glisse dans mon propos.
Car je voudrais répondre sur le fond – de mon petit point de vue de fidèle catholique et de journaliste – à ces deux assertions.
S’agissant de l’idée selon laquelle un concile oecuménique ne peut être réformé que par un concile oecuménique, il me semble qu’elle n’a que l’apparence de la logique.
Ce qui donne à un concile oecuménique sa force dogmatique contraignante pour la foi, c’est la présence, la participation et au minimum l’acceptation du souverain pontife. Un concile oecuménique privé du Pape n’a aucune autorité. Je vois par conséquent mal pourquoi on interdirait à un Pape de préciser ou d’amender telle ou telle disposition d’un concile oecuménique. Par analogie, ce que je viens de dire du Pape doit valoir aussi pour l’épiscopat dispersé et uni à son chef.
Par ailleurs, il n’est pas évident que les principes généraux d’interprétation des conciles oecuméniques soient valables pour Vatican II qui a explicitement déclaré, par la bouche de Jean XXIII comme par celle de Paul VI, vouloir procéder différemment des autres conciles (notamment en s’abstenant de condamnation).
Je note au passage ce paradoxe surprenant: le seul concile oecuménique de l’histoire de l’Eglise à s’être voulu non condamnateur est très souvent utilisé comme une arme de condamnation contre des catholiques qui veulent rester fidèles à la foi de leur baptême.
Je m’empresse d’ajouter que l’abbé Lobet est loin d’être seul à penser que Vatican II ne pourrait être critiqué, ou même interprété avec autorité, que par un hypothétique Vatican III. Paul VI lui-même a déclaré que Vatican II était à certains égards plus important que le concile de Nicée. Mais je confesse que ce propos me semble incompréhensible. Je ne sais pas à quels égards cette phrase pourrait être vraie. Je ne vois dans la foi catholique rien de plus important que les dogmes relatifs à la Trinité et à l’Incarnation. Si l’on prend la phrase de Paul VI au pied de la lettre, il faudrait comprendre que la déclaration sur les moyens de communication sociale est plus importante pour la vie de l’Eglise que la foi en la divinité de Jésus. A qui fera-t-on croire que Paul VI pensait une absurdité pareille? Et à qui fera-t-on croire que cette doctrine “baroque” s’imposerait à tous les fidèles sous peine d’exclusion de l’Eglise?
Bref, il ne me semble pas que l’obéissance catholique interdise de critiquer un concile oecuménique. L’infaillibilité ne garantit pas que les formulations soient nécessairement les plus adéquates. Elle assure – et c’est déjà énorme – que l’Eglise ne nous forcera jamais à croire quelque chose de faux. Il va de soi que la critique ou les questions doivent toujours être respectueuses – car nous sommes tenus de croire que le Saint-Esprit nous enseigne par un concile oecuménique -, mais cela n’impose pas de taire ses interrogations.
Mais, surtout, je ne vois pas comment l’on pourrait prendre Vatican II comme un bloc, comme Clemenceau disait de la Révolution. Une constitution dogmatique a plus d’autorité qu’une déclaration. L’énoncé d’une doctrine a plus d’autorité qu’une analyse sociologique. La pensée humaine a toujours procédé par hiérarchisation des vérités. Ce n’est pas mettre en doute la virginité de Notre-Dame que de dire que ce dogme est ordonné à une vérité plus haute qui est le dogme de l’Incarnation. Pourquoi ne pourrait-il pas en aller de même pour les paroles de Vatican II?
Mais tout cela est bien connu et je ne crois pas que l’abbé Lobet pense différemment de moi là-dessus. L’obéissance dans l’Eglise n’est pas du caporalisme et elle ne nous dispense pas de réfléchir et d’adhérer non seulement de toute notre âme, mais aussi de toute notre intelligence.
Il y a cependant un point, sur lequel nous serons peut-être pas d’accord. Il a souvent répondu cette première assertion à des articles que j’avais écrits en me demandant comment tel texte de Vatican II pouvait être compatible avec tel enseignement traditionnel.
Je suppose qu’il comprenait que je réclamais la suppression de ces passages de Vatican II. Si ce n’est pas cela, je ne vois pas comment sa pensée pouvait répondre à la mienne.
Mais il faut que je dise, au moins une fois, que rien n’est plus éloigné de ma pensée. Je connais à peu près correctement mon catéchisme et je sais bien que je fais partie de l’Eglise enseignée. Je ne prétends pas avoir la moindre autorité doctrinale. Ce que je demande, c’est simplement que l’autorité compétente (qu’il s’agisse du Pape, d’un nouveau concile oecuménique ou de l’épiscopat uni à son chef, peu m’importe) m’explique avec autorité – m’enseigne, au sens fort du mot – comment rendre les deux doctrines compatibles.
Rien ni personne ne peut nous forcer à penser en dehors du principe de non-contradiction. Prenons l’exemple de la liberté religieuse. Je ne prétends pas que la doctrine de Dignitatis humanae s’oppose nécessairement à celle du Quanta Cura. Je dis, en revanche, que je ne sais pas comment les rendre compatibles. Il est d’ailleurs possible qu’il n’y ait pas à les rendre compatibles et qu’elles ne soient toutes deux (ou seulement l’une d’entre elles) que des prises de position conjoncturelles. En tout cas, je crois qu’il est de mon devoir de fidèle de signaler qu’après plus de 15 ans à travailler la question, je n’arrive toujours pas à résoudre cette difficulté. Il est fort possible que cela tienne à mon esprit borné, mais cela ne change pas grand-chose au problème. Et je crois que c’est aussi mon droit d’attendre de l’autorité légitime qu’elle réponde à cette difficulté.
(à suivre)
Excellente analyse que je partage de toute la force de ma raison.
M. Ganimara, vous dites “Rien ni personne ne peut nous forcer à penser en dehors du principe de non-contradiction”. Bien d’accord mais c’est précisément ce que prétend faire l’abbé Lobet, qui est le roi du deux poids deux mesures. Laissez donc cet idéologues préhistorique dormir du repos éternel. Dans 20 ans on ne parlera plus des gens comme lui, cette génération sera balayée.
en ce qui concerne la liberté religieuse,on lit dans les évangiles que c’est Jésus Christ qui a appelé les apôtres ,qu’Il est venu chercher les brebis perdues,dans les Actes que Saint Paul a été interpelé par le Christ sur le chemin de Damas etc..Si quelqu’un dit “je ne vois pas Dieu nulle part”: tout Chrétien peut expliquer ce qu’il voit et être suivi, mais il faudra toujours l’action de l’Esprit Saint pour une conversion sinon il agit comme un gourou dans une secte et occupe une place qui n’est pas la sienne, qu’il présente son disciple à Jésus comme André a présenté Simon à Jésus
Cher Monsieur,
je vous remercie pour ce long article, auquel figurez-vous je souscris. J’ai toujours écrit ici même que les textes d’un Concile Oecuménique (et, bien entendu, leur version authentique, en l’occurrence latine) ne peuvent être modifiés que par un autre Concile Oecuménique. Ceci est une règle commune du droit et de la Tradition, tenant évidemment compte du fait que les textes en questions ont été ratifiés et promulgués par le pape de l’époque (Paul VI).
Quant à l’interprétation, c’est évidemment autre chose : un pape peut proposer une interprétation plus ou moins restrictive de tel ou tel texte, ou – ce qui semble vous inquiéter -, veiller à la cohérence a priori problématique de tel ou tel texte conciliaire avec un texte antérieur du Magistère romain. Et vous avez raison de dire que, selon leur genre, les textes conciliaires sont plus ou moins contraignants : une constitution engage plus l’Eglise, et plus durablement, qu’un décret; un décret, plus qu’une déclaration (celle-ci étant davantage circonstantielle).
Si je me suis permis d’intervenir quelquefois sur ce blog, c’est que j’y lis de temps à autres de propos très mal éclairés à ce sujet (je ne parle pas de vos propos) : sous prétexte que le Concile Vatican II s’est lui-même qualifié de “pastoral”, on l’enverrait à la poubelle sans autre forme de procès, alors que c’est une qualification qui n’a rien de technique et que certaines de ses constitutions sont dogmatiques! C’est à ce propos que j’ai quelquefois tenté de rappeler la tradition herméneutique de l’écclésiologie traditionnelle, que je répète encore : les textes d’un Concile Oecuménique ne peuvent être modifiés que par un autre Concile convoqué par le pape. L’interprétation des texes est ouverte, et est le fait du Magistère ordinaire de l’Eglise (le pape et les évêques) et des théologiens…
Merci à Vini et à l’abbé Lobet pour ces éclairages sur le Concile Vatican II et son articulation avec les conciles antérieurs.
Idem mon avis sur B.Lobet que celui de L. Warnotte ci dessus