Un peu en amont de la nouvelle année liturgique, Mgr Wintzer publie un petit texte sur le site du diocèse de Sens et Auxerre, où il refuse mordicus… de comparer Sens et Poitiers.
« L’arrivée d’une nouvelle année liturgique est l’occasion pour moi de proposer un regard sur le diocèse ; en effet, à quelques semaines près, l’entrée en Avent coïncide avec le terme de ma première année dans l’Yonne.
Plusieurs fois, on m’a posé cette question : « Quelles sont les différences avec le diocèse de Poitiers où vous étiez auparavant ? » Au risque de paraître rugueux – et on voudra bien m’en excuser – je refuse de répondre à cette question.
En effet, elle se présente pour moi comme une tentation, tentation intime. Je peux en effet, en moi-même, être porté à faire des comparaisons ; et sitôt je pressens cela, sitôt je fais tout pour m’en garder.
De manière générale, j’estime que toute comparaison, quel qu’en soit le domaine, est un chemin semé d’ambiguïtés. En fonction de quels critères va-t-on opérer cette comparaison ? Le plus souvent, on s’appuie sur des critères qualitatifs et quantitatifs, et la conclusion sera en termes de « plus » ou de « moins ». En l’espèce, au sujet du diocèse, je pourrais alors dire ce que Sens-Auxerre a de plus ou de moins au regard de Poitiers.
Cette logique appartient au monde ; elle me semble bien loin de l’Evangile et du regard que le Seigneur porte sur chacun. Bien des textes bibliques dénoncent les attitudes comparatrices qui opposent les uns aux autres : vierges sages et vierges folles, ouvriers de la première ou de la dernière heure, talents confiés en plus ou moins grand nombre, etc.
Ce qui compte, c’est qui est chacun, ce qu’il a reçu, et la manière dont il le fait fructifier.
Or, ceci est bien loin de la logique du monde. J’en prends deux exemples. Bien des émissions de télévision mettent en scène des compétitions, depuis la Star academy, en passant par Le maillon faible jusqu’au show qui a rendu célèbre Donald Trump, The apprentice. La vie économique pratique aussi cela, c’est le « benchmarking », qui conduit à exacerber la mise en concurrence et à éliminer les « looser ».
Vivant dans la société telle qu’elle est, ces logiques nous traversent et rejoignent les attitudes de rivalité qui marquent les relations humaines depuis… Caïn et Abel. Il y a alors un devoir moral, un devoir chrétien à ne pas succomber à cela, à résister à ce à quoi la rivalité mimétique veut conduire – on relira à ce sujet René Girard.
Donc, je me garde d’établir des comparaisons. Surtout, d’autres se chargent très bien de le faire à notre place et, en fonction de critères qui peuvent varier selon les idéologies, publient toutes sortes de classements, des hôpitaux, des écoles… des diocèses ? Vous comprendrez qu’il y a des questions auxquelles je ne réponds pas
Ceci dit, attendre des comparaisons entre des diocèses ne relève pas nécessairement de cette logique. De manière plus juste, plus heureuse, il peut s’agir de préciser ce qui caractérise le département, ce qui lui est spécifique. Cela je répugne moins à le faire, pouvant ainsi recevoir confirmation ou correction en fonction du propos que je tiens. On parlera alors de l’AJA, du vignoble, de l’intérêt pour la bonne chère ; d’un département qui conjugue attraction parisienne au nord, et petites villes de province au centre et au sud. Et pour l’Eglise, on soulignera la beauté de certains édifices et le rayonnement de certains lieux, tel Vézelay. Et d’autres choses encore. Les visites pastorales me donnent l’occasion, par les rencontres qui y sont organisées, de mieux percevoir qui est le diocèse, ce que sont ses particularités et ses diversités.
A travers tout cela, je grandis dans la connaissance, dans l’estime, et même dans l’amour. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Être évêque a certes une dimension technique, professionnelle si l’on veut, mais il s’agit, d’abord et avant tout, d’être un témoin de l’intérêt que le Seigneur porte à chacun, de l’amour qu’il lui exprime. Certes, chacun est marqué par son tempérament, par ses origines aussi – un Normand ne livre guère ses états d’âme. Même si l’époque est friande d’effusions, de déclarations enflammées, souvent sans grand lendemain, l’estime, l’intérêt, l’amour peuvent s’exprimer autrement que dans le registre émotionnel.
Je cherche donc à accueillir avec bonheur ce qui m’est donné, sans entretenir cette manière de pensée, qu’à mon âge, je sais vaine : « ailleurs l’herbe est plus verte ». Et je cherche à accueillir avec gratitude celles et ceux que le Seigneur me donne pour que je cherche toujours à me comporter comme leur frère ».
