L’abbé Davide Pagliarani, supérieur général de la Fraternité Saint-Pi X, a répondu aux questions de FSSPX Actualités au sujet de la publication de Mater Populi fidelis.
Extrait l’interview ci-dessous :
FSSPX Actualités : Qu’est-ce qui vous a le plus choqué ?
Tout d’abord, le fait de considérer l’usage du terme « corédemptrice » comme « toujours inopportun », ce qui, dans la pratique, revient à l’interdire. La raison qui est donnée est la suivante : « Lorsqu’une expression nécessite des explications nombreuses et constantes, afin d’éviter qu’elle ne s’écarte d’un sens correct, elle ne rend pas service à la foi du peuple de Dieu et devient gênante 1. »
Or nous ne nous trouvons pas face à un terme exotique suggéré par une voyante après une apparition douteuse, mais bel et bien face à une expression que l’Église utilise depuis des siècles, et dont la signification exacte a été clairement établie par les théologiens. De plus, plusieurs papes ont fait usage de cette expression. Ce qui est paradoxal, c’est que Jean-Paul II lui-même a utilisé ce titre plusieurs fois. Dans son magistère, saint Pie X définit de manière très claire le fondement et la portée de la corédemption de Notre-Dame, même s’il n’utilise pas directement ce terme, mais celui de « réparatrice de l’humanité déchue ».
FSSPX Actualités : Que dit-il exactement ?
Dans son encyclique mariale Ad diem illum (2 février 1904), saint Pie X traite directement et très clairement de la corédemption et même de la médiation universelle de Marie. Laissons-lui la parole :
« Et quand vint pour Jésus l’heure suprême, on vit la Vierge “debout auprès de la croix, saisie sans doute par l’horreur du spectacle, heureuse pourtant de ce que son Fils s’immolait pour le salut du genre humain, et, d’ailleurs, participant tellement à ses douleurs que de prendre sur elle les tourments qu’il endurait lui eût paru, si la chose eût été possible, infiniment préférable 2 ”.
« La conséquence de cette communauté de sentiments et de souffrances entre Marie et Jésus, c’est que Marie “mérita très légitimement de devenir la réparatrice de l’humanité déchue 3 ” et, partant, la dispensatrice de tous les trésors que Jésus nous a acquis par sa mort et par son sang. Certes, l’on ne peut dire que la dispensation de ces trésors ne soit un droit propre et particulier de Jésus-Christ, car ils sont le fruit exclusif de sa mort, et lui-même est, de par sa nature, le médiateur de Dieu et des hommes. Toutefois, en raison de cette société de douleurs et d’angoisses, déjà mentionnée, entre la Mère et le Fils, a été donné à cette auguste Vierge “d’être auprès de son Fils unique la très puissante médiatrice et avocate du monde entier 4 ”.
« La source est donc Jésus-Christ : “de la plénitude de qui nous avons tout reçu 5 ” ; “par qui tout le corps, lié et rendu compact moyennant les jointures de communication, prend les accroissements propres au corps et s’édifie dans la charité 6 ”. Mais Marie, comme le remarque justement saint Bernard, est l’ “aqueduc 7 ” ; ou, si l’on veut, cette partie médiane qui a pour propre de rattacher le corps à la tête et de transmettre au corps les influences et efficacités de la tête, Nous voulons dire le cou. Oui, dit saint Bernardin de Sienne, “elle est le cou de notre chef, moyennant lequel celui-ci communique à son corps mystique tous les dons spirituels 8 ”.
« Il s’en faut donc grandement, on le voit, que Nous attribuions à la Mère de Dieu une vertu productrice de la grâce, vertu qui est de Dieu seul. Néanmoins, parce que Marie l’emporte sur tous en sainteté et en union avec Jésus-Christ, et qu’elle a été associée par Jésus-Christ à l’œuvre de la rédemption, elle nous mérite de congruo, comme disent les théologiens, ce que Jésus-Christ nous a mérité de condigno, et elle est le ministre suprême de la dispensation des grâces. “Lui, Jésus, siège à la droite de la majesté divine dans la sublimité des cieux 9.” Elle, Marie, se tient à la droite de son Fils, “refuge si assuré et secours si fidèle contre tous les dangers, que l’on n’a rien à craindre, à désespérer de rien sous sa conduite, sous ses auspices, sous son patronage, sous son égide 10” 11. »
Cette citation est certes longue, mais elle contient les réponses aux conclusions formulées dans la note doctrinale du DDF. D’ailleurs, il faut noter que cette encyclique de saint Pie X est simplement mentionnée dans une note en fin de texte, mais qu’elle n’est jamais citée. On en comprend aisément la raison : elle n’est pas compatible avec la nouvelle orientation théologique.
FSSPX Actualités : Mais quelle est d’après vous la vraie raison pour laquelle le DDF considère à présent comme « toujours inopportun » le concept de corédemption ?
La raison est tout d’abord œcuménique. Il faut bien comprendre que la notion de corédemption, de même que celle de médiation universelle, sont absolument incompatibles avec la théologie et l’esprit protestants. Ces notions avaient déjà été mises de côté au moment du Concile, après avoir été l’objet d’un débat acharné, alors qu’une partie des pères conciliaires demandaient la définition de la médiation universelle comme dogme de foi.
Cette mise à l’écart inspirée par l’œcuménisme a eu pour effet désastreux une diminution de la foi. En effet, si l’on ne rappelle pas régulièrement l’enseignement traditionnel sur la très sainte Vierge, on finit par le perdre. Autrement dit, ceux qui ont rédigé ce document sont réellement convaincus que l’on a affaire à des termes dangereux pour la foi. Cela est catastrophique.
Le texte, dans son intégralité, répète continuellement que la très sainte Vierge ne doit d’aucune manière offusquer l’unicité et la centralité de la médiation de Notre-Seigneur et de son rôle unique de Rédempteur. Ce souci paraît presque pathologique, une sorte de paranoïa spirituelle, inexplicable chez un catholique. En effet, aucun fidèle instruit des vérités de la foi, qui recourt à la très sainte Vierge et se laisse guider par elle, ne peut courir le risque de trop la vénérer au détriment de Notre-Seigneur. La dévotion mariale, éclairée par la foi, n’a qu’un but : nous permettre de pénétrer davantage le mystère de Notre-Seigneur et de la Rédemption. On l’avait bien compris – et pratiqué – jusqu’au Concile. On est ici face à un cercle vicieux qui confine à l’absurde : on nous met en garde contre un moyen présumé abusif pour atteindre un but, alors que ce moyen nous a été donné précisément pour ce but.
Article complet sur FSSPX Actualités
Le document Mater Populi fidelis du Dicastère de la Doctrine de la Foi (Site Vatican)
