Discours d’ouverture de l’assemblée plénière d’automne 2025, prononcé le mardi 4 novembre par Mgr Jean-Marc Aveline, Président de la Conférence des évêques de France :
Chers frères dans l’épiscopat,
Chers amis qui nous écoutez sur les ondes de KTO,
C’est, vous l’imaginez bien, avec appréhension et émotion, mais aussi avec confiance et avec joie, que je voudrais vous adresser quelques mots au seuil du travail de notre Assemblée plénière. À vrai dire, nous ne sommes plus sur le seuil, mais déjà dans le hall d’entrée, après cette magnifique séance inaugurale de ce matin, à l’écoute des paroles fortes, courageuses et stimulantes que nous a adressées le Patriarche Bartolomeos. Je désire avant tout rendre hommage au travail inlassable de communion de mon prédécesseur, Mgr Eric de Moulins-Beaufort : nous connaissons, cher Éric, le dévouement total que vous avez déployé dans cette tâche souvent délicate, la sérénité avec laquelle vous l’avez accomplie, parfois au milieu de tempêtes, et l’attention que vous avez portée à chacun d’entre nous. Votre présidence restera dans les mémoires : elle a imprimé une impulsion de fond à l’Église de France, dont nous continuerons de recueillir les fruits. Pour tout cela, nous vous renouvelons nos chaleureux remerciements.
Tout au long de cette semaine, nous allons devoir aborder bien des sujets, tenter d’élaborer bien des discernements, échanger entre nous et avec des experts sur la situation du monde, de notre pays et de notre Église, afin de pouvoir définir quelques orientations et prendre quelques décisions. Mais le plus important, nous le savons tous d’expérience, c’est de pouvoir vivre tout cela ensemble, unis au Christ dans la prière, à l’écoute de sa Parole, dans une collégialité simple et fraternelle, sans cesse renouvelée et interpellée par ce que l’Esprit souffle à nos oreilles à travers la vie, la vitalité, la créativité, mais aussi parfois la souffrance, l’impatience et parfois la sainte colère du peuple qui est à Dieu et dont il nous a confié la charge afin que « tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tm 2, 4).
Je voudrais, pour ouvrir nos travaux, vous proposer d’abord quelques réflexions générales sur notre mission épiscopale aujourd’hui. Ce sont des choses que nous savons mais qu’il convient de se redire simplement, puis souligner quelques enjeux des chantiers que nous aurons à travailler cette semaine. Je commencerai donc par quelques réflexions, d’abord sur le service de la communion, puis sur la docilité à l’Esprit Saint, et enfin sur la passion du salut.
Le service de la communion
Nous le savons bien : considérée du point de vue de la foi, l’Église n’est pas simplement une institution qui s’ajouterait à d’autres dans l’espace public et dont l’avis ne devrait être pris en compte qu’en proportion du nombre de ses adeptes ou de sa capacité de mobilisation dans un rapport de forces. Vue de l’intérieur, l’Église est tout autre chose : elle est un mystère. Son message n’est pas la résultante démocratique des opinions de ses membres. Dire de l’Église qu’elle est un mystère, c’est dire qu’elle est une action que Dieu lui-même accomplit pour le salut du monde, non seulement par des personnes que son Esprit rassemble (et qui ont toujours à se convertir), mais aussi par des institutions que son Esprit suscite (et qui ont toujours à se réformer). Elle est en quelque sorte dans le Christ, dit le concile Vatican II, « le sacrement universel du salut » (Lumen gentium 48). Son but n’est donc pas d’assurer sa propre survie institutionnelle mais bien plutôt de se tenir au service de la relation d’amour de Dieu envers le monde (Jn 3, 16).[1]
Dans la prière et la vie quotidienne d’un évêque, le service de la communion de l’Église est omniprésent. Il est, le plus souvent, une grande source de joie, car l’évêque, tel un jardinier parcourant sans relâche le territoire du diocèse qui lui a été confié, se réjouit de la diversité de tout ce qui pousse, soit que lui-même ou ses prédécesseurs l’aient planté, soit que d’autres graines, poussées par les vents imprévisibles de l’Esprit, aient trouvé où s’enfouir, prendre racine et s’épanouir. Et le jardinier qu’est l’évêque sait qu’il lui faut arroser et prendre tout particulièrement soin des fleurs qui poussent non pas sur les plates-bandes bien aménagées, mais plutôt de façon inattendue, dans les caniveaux des ruelles les moins favorables et apparemment les moins hospitalières.
Mais s’il fait le plus souvent sa joie, le service de la communion est aussi pour l’évêque un tourment. Saint Cyprien, en son temps, l’avait fortement éprouvé. Meurtri par les divisions qui secouaient l’Église de Carthage, il pressentait qu’il lui faudrait aller jusqu’au martyre pour sceller par son sang son engagement pour l’unité, que sa plume, pourtant vigoureuse, n’avait pas obtenu : « Le Christ nous a donné la paix, il nous a prescrit d’être unis et en parfait accord, il nous a commandé de ne faire subir au pacte de l’amour et de la charité ni altération ni violence. On ne peut se prétendre martyr si on n’a pas gardé la charité qui unit les frères. »[2] La devise de notre Pape Léon fait écho aujourd’hui à cette réflexion de Cyprien !
Ce rôle de l’évêque comme garant de l’unité de l’Église est inséparable de la maternité de l’Église entière, puisque les baptisés ne peuvent vivre leur vie chrétienne qu’en appartenant à l’Ecclesia mater : « On ne peut plus avoir Dieu pour Père si l’on n’a pas l’Église pour mère. »[3] Dans la belle Préface qu’il a rédigée pour cet ouvrage, notre frère Mgr Claude Dagens relève que ce qui tourmente Cyprien, ce n’est pas d’abord le souci du fonctionnement de l’Église ni la réforme de ses structures, mais que ses invectives émanaient bien plutôt de « l’expérience spirituelle d’un homme qui désire passionnément que la mission de l’Église en ce monde ne soit pas séparée du mystère du Christ, pour que tous les baptisés puissent, en elle et par elle, l’Ecclesia mater, vivre de Lui, notre Seigneur. »[4] Et nous, évêques, ne devons jamais oublier ce lien indissoluble entre le mystère du Christ et le mystère de l’Église, ainsi que le rappelait un grand jésuite français, Henri de Lubac :
Non, si Jésus-Christ ne fait pas sa richesse, l’Église est misérable. Elle est stérile si Jésus-Christ n’y fleurit pas. Son édifice est ruineux, si Jésus-Christ n’en est pas l’Architecte et si, des pierres vivantes dont elle se construit, son Esprit n’est pas le ciment. […] Toute sa gloire est vaine si elle ne la met pas dans l’humilité du Jésus-Christ. Son nom même nous est étranger, s’il n’évoque aussitôt pour nous le seul Nom donné aux hommes pour leur salut. Elle ne nous est rien, si elle n’est pas pour nous le sacrement, le signe efficace de Jésus-Christ.[5]
Lors d’un pèlerinage à Assise, j’avais été interpellé par une inscription relatant comment François, accueilli par Claire dans le petit couvent des sœurs, dont elle lui faisait visiter le jardin déjà bien entretenu, lui avait soufflé à l’oreille ce conseil que je m’efforce de ne pas oublier : « Ne cultive pas tout ton champ ! Sinon, comment pourrais-tu te réjouir de tout ce que Dieu fait pousser sans toi ? » La communion dont l’évêque est le serviteur n’est donc pas limitée à l’hypothétique maîtrise d’un espace dont il serait le gestionnaire avisé et consciencieux : elle n’existe qu’au service de la mission et, à cause de cela, elle nécessite une grande docilité à l’Esprit qui, comme le vent, souffle où il veut. Fondé dans la communion trinitaire et renouvelé à chaque eucharistie, le don de la communion, confié à l’évêque, nécessite de sa part un long et exigeant apprentissage de coopération avec l’Esprit, dans l’amitié du Fils.
La docilité à l’Esprit Saint
Je dois au pape Jean-Paul II d’avoir mieux compris, pour tout ce qui concerne la mission, l’urgence d’une solide théologie trinitaire et notamment d’une pneumatologie. Dans son encyclique du 18 mai 1986 sur l’Esprit Saint, Dominum et vivificantem, publiée quelques mois avant la grande journée de prière, de pèlerinage et de jeûne organisée à Assise le 27 octobre de la même année, le Pape écrit en effet : « Il est beau et salutaire de penser que, partout où l’on prie dans le monde, l’Esprit Saint, souffle vital de la prière, est présent. Il est beau et salutaire de reconnaître que, si la prière est répandue dans tout l’univers, hier, aujourd’hui et demain, la présence et l’action de l’Esprit Saint sont tout autant répandues, car l’Esprit “inspire” la prière au cœur de l’homme, dans la diversité illimitée des situations et des conditions favorables ou contraires à la vie spirituelle et religieuse » (n° 65).
Dès lors, envisagée de façon trinitaire, la mission de l’Église se comprend comme coopération à la mission de l’Esprit dans le monde, en tant qu’elle est elle, assemblée des témoins du Christ Jésus. Et l’évêque est au service de cette tension missionnaire, qui puise ses racines dans les relations trinitaires. Car Jésus n’est pas le Fils sans l’Esprit avec qui il forme « les deux mains du Père », selon la belle expression de saint Irénée de Lyon.[6] L’évêque sait que c’est l’Esprit qui forge ces témoins, les convoquant en Église, d’eucharistie en eucharistie, leur communiquant la grâce à travers l’économie ecclésiale des sacrements, leur faisant le don de la communion et les envoyant en mission pour qu’ils coopèrent avec lui.
Et dans toutes les rencontres où les disciples du Christ peuvent proposer l’Évangile à quelqu’un, c’est toujours l’Esprit, qui, au préalable, a travaillé de l’intérieur le cœur de leur interlocuteur afin que leur annonce puisse être entendue et éventuellement accueillie. Et l’évêque sait aussi, dans sa propre expérience pastorale, que l’Église s’essouffle vite si elle prétend souffler à la place de l’Esprit ! Comme l’apôtre Pierre, elle est chargée d’apporter les clés. Mais c’est l’Esprit qui, de l’intérieur, aura patiemment ajusté la serrure à la clé, afin que celui à la porte duquel le Seigneur, en ses témoins, vient frapper, puisse leur ouvrir et les accueillir pour partager avec eux « le pain et le sel », et peut-être, un jour, vivre la fraction du pain dans l’eucharistie.[7] Ce qui donc favorise la communion entre les membres d’une même communauté, c’est cette docilité au travail de l’Esprit et cette disponibilité à coopérer avec lui.
Il faut encore ajouter une chose : l’Esprit, qui souffle où il veut, n’est en aucune façon assigné à résidence dans le cadre étroit de l’institution ecclésiale. Et pourtant, pour que son dessein salvifique s’accomplisse, Dieu a voulu que, en plus du don de son Fils unique, les disciples de ce Fils, ceux que le Père lui a donnés (Jn 17, 6), soient associés à ce mystère, comme saint Paul en fit l’expérience. C’est la raison pour laquelle l’Église, malgré ses faiblesses, par pure grâce et non pas à cause de ses mérites, est rendue par Dieu « nécessaire » à l’œuvre du salut, recevant mission d’être dans le monde, comme dit le concile, « un sacrement universel de salut » (Lumen gentium 48). Mais cette mission se réduirait en simple propagande si l’Église n’apprenait pas, en travaillant humblement avec l’Esprit Saint, à reconnaître que c’est lui qui, la précédant toujours, prépare le dialogue de salut, en orientant le désir des hommes vers la Bonne Nouvelle dont témoignent les disciples du Christ. Comme l’affirme Gaudium et spes, c’est lui, l’Esprit, qui, « d’une façon que Dieu connaît, offre à tous la possibilité d’être associés au mystère pascal » (22, 5). Combien de fois éprouvons-nous aujourd’hui la justesse de ces phrases lorsque nous lisons les lettres des catéchumènes !
L’Esprit qui souffle sur un diocèse est aussi celui qui souffle dans le cœur de l’évêque, quitte, quelquefois, à lui « souffler dans les bronches », c’est-à-dire à le réveiller et à le secouer, quand le confort de ses habitudes ou la paresse de son caractère l’empêchent d’être réactif et attentif aux appels de Dieu. Je parle d’expérience ! Mon prédécesseur, avant de partir, m’avait donné ce conseil d’une grande sagesse et d’une actualité constante : « Chaque fois qu’on augmente le poids de ta charge, toi, allonge le temps de ta prière. » Sinon – pourrait-on ajouter dans la veine de saint François – comment pourrais-tu te réjouir de tout ce que l’Esprit fait dans le cœur de ton peuple pour rendre encore plus féconde la tâche qui t’a été confiée ? Car te voilà devenu moissonneur de ce que tu n’as pas semé, pour la gloire de Dieu et non pour ta gloriole personnelle ! C’est donc d’abord dans la prière que se forge une certaine docilité au travail de l’Esprit, qui parfois peut bousculer les idées de l’évêque, le prendre par surprise, quelquefois même à revers. Mais l’Esprit prévient et accompagne toujours le cœur du pasteur pour que celui-ci, de docilités en conversions, accepte de se laisser configurer selon le Cœur de Dieu. Comme il est important, pour cela, que des petites fraternités d’évêques permettent entre nous le partage spirituel et l’amitié qui réconforte et aide au discernement !
Car la coopération avec l’Esprit, née dans le silence de la prière, doit aussi se traduire sur un plan pastoral, et donc donner lieu à un travail de discernement dans lequel est mis concrètement en œuvre – voire à l’épreuve ! – le don reçu de la communion.
C’est la raison pour laquelle l’évêque ne peut travailler seul. Ce fut l’une des fortes recommandations du dernier Synode des évêques : favoriser la participation des baptisés à la vie de la communauté ecclésiale, pas seulement en « assistant » à des événements, liturgiques ou autres, mais en « participant », de façon consciente et active, à l’élaboration et à l’évaluation des orientations pastorales où la hiérarchie doit jouer son rôle, non pas de façon isolée ou surplombante, mais en sollicitant le concours du peuple de Dieu. C’est ce que nous essayons de faire, petit à petit, et comme nous pouvons.
La passion du salut
J’aimerais pour finir ces remarques générales évoquer un homme qui, dès son arrivée à Marseille en 2008, m’a beaucoup inspiré. Cet homme s’appelait Étienne Renaud ; il était Missionnaire d’Afrique. Avant de rejoindre la communauté des Pères Blancs de Marseille, il avait dirigé, à Rome, l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques pendant de longues années. Ses années passées au Yémen, prêtre quasi clandestin bénéficiant de l’infaillible hospitalité d’une famille musulmane, avaient été fondatrices de tout son engagement futur. Il s’y référait souvent, et ce souvenir lui permettait de ne jamais désespérer, même quand, plus tard, le dialogue avec les musulmans se fit plus difficile. Fort de ce qu’il avait vécu, il encourageait toujours chrétiens et musulmans à partager leurs expériences spirituelles, à la recherche d’une rencontre en vérité. Et tout cela, chez lui, n’avait rien de théorique ! Pour mieux prendre de la hauteur, il avait besoin de vivre à la base, de partager la vie commune, ordinaire, confrontée aux problèmes concrets des habitants de son quartier, et profondément enracinée dans un tissu de relations qu’il excellait à entretenir. Lui qui avait maintes fois sillonné la planète habitait surtout l’intérieur de son cœur. Jour après jour, il puisait dans la prière et la contemplation la force et le goût d’écouter battre le cœur du monde à travers celui des gens qu’il rencontrait, spécialement tous ces fidèles de l’islam devenus ses voisins de quartier.
Étienne est décédé le 20 juin 2013. Six mois plus tard, j’étais appelé au ministère épiscopal, et je puisai dans l’expérience de cet ami les ressources spirituelles nécessaires à mon nouveau ministère. En effet, homme de communion s’il en fut, bien au-delà des cercles chrétiens, il était dévoré par la passion du dialogue, au double sens du mot « passion » dans la langue française : d’une part, l’ardeur d’un élan d’amour, d’autre part, la douleur d’une souffrance endurée. Ces deux aspects, l’ardeur et la douleur, se retrouvent en filigrane dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui, et pas seulement à propos du dialogue interreligieux. Que l’on pense aux questions éthiques, si redoutables et si discutées, ou bien aux défis environnementaux, ou encore à la question des flux migratoires, de plus en plus aiguë et clivante, alors même que les mers et les déserts deviennent des cimetières. Et que dire de l’insolence des richesses accumulées par quelques-uns, alors que la corruption et l’injustice accablent sans relâche les populations les plus pauvres sur tous les continents. Dans les pays d’Europe, les mouvements politiques les plus extrémistes, profitant du malaise des institutions qu’ils ont contribué à affaiblir, ne cessent d’attiser le vent de l’exclusion et du rejet. Comment être évêque dans un tel contexte ? Comment vivre dans notre chair la passion du salut que le Christ est venu apporter dans le monde ?
C’est avec cette question que je voudrais aborder maintenant, dans une deuxième partie, quelques enjeux des chantiers que nous aurons à travailler tout au long de cette semaine. Je voudrais d’abord dire quelques mots au sujet de l’enseignement catholique et la question plus large de l’éducation, puis la lutte contre les abus, et enfin, de manière un peu plus longue, la mission de l’Église dans le contexte actuel.
L’Enseignement catholique et l’éducation
Demain, nous accueillerons M. Guillaume Prévost et nous aurons avec lui deux séquences très importantes sur l’Enseignement catholique, préparées avec Mgr Matthieu Rougé. Bien sûr, nous serons attentifs à encourager l’engagement de l’Enseignement catholique dans la lutte et la prévention contre les abus. Ce point est capital dans le contexte actuel, nous ne le savons que trop. Un autre point ne l’est pas moins : c’est celui du rapport entre la pratique de l’accueil de tous et la promotion du caractère propre. Ce sujet est délicat et, en la matière, il importe de partir de l’expérience plutôt que de théories. D’autres sujets, certainement, feront l’objet de nos échanges, et cette séquence est importante afin de consolider le travail conjoint de la Conférence des évêques de France avec le Secrétariat général de l’Enseignement catholique, et pour que nous puissions, si nous le décidons, adresser un message d’encouragement à tous les acteurs de l’Enseignement catholique de notre pays, dans un contexte où celui-ci est fortement remis en question.
Ce travail avec l’Enseignement catholique aura été précédé, en début de matinée, d’une proposition plus large concernant le thème de l’éducation. En effet, nous avons cherché, en Présidence et en Conseil permanent, quel sujet pourrait donner lieu à un grand travail synodal, impliquant de nombreux acteurs, ecclésiaux et extra-ecclésiaux, un travail susceptible d’être utile à notre réflexion pastorale et d’apporter une contribution ecclésiale à l’un des grands défis de notre société. Nous avons donc réfléchi, et il nous a semblé que la question de l’éducation pouvait permettre tout cela.
Nous avions donc demandé à Mgr Benoît Bertrand de préparer un texte afin de solliciter la discussion de ce projet par l’Assemblée plénière. Benoît rédigea, sans savoir que, de son côté, le Pape, lui aussi, était en train de rédiger une Lettre apostolique pour marquer le soixantième anniversaire de la déclaration conciliaire sur l’éducation : Gravissimum educationis. Certes, le texte du Pape, intitulé « Tracer de nouvelles cartes d’espérance » est adressé aux institutions catholiques d’enseignement, mais sa portée va bien au-delà. Il s’agit, préconise le Pape, de recentrer l’éducation sur la personne humaine et sa dimension spirituelle : « Une personne n’est pas un “profil de compétences”, elle ne se réduit pas à un algorithme prévisible, mais [elle est] un visage, une histoire, une vocation. » Et il poursuit : « Dans le contexte éducatif, il ne faut pas brandir l’étendard de la possession de la vérité, ni en ce qui concerne l’analyse des problèmes, ni dans leur résolution. » Bien plutôt, « l’éducation catholique a le devoir de reconstruire la confiance dans un monde marqué par les conflits et les peurs, en rappelant que nous somme des fils et non des orphelins : de cette conscience naît la fraternité. »
Dès ce soir, vous trouverez dans vos casiers le texte élaboré par Mgr Bertrand, et celui-ci nous présentera demain la proposition de travail synodal triennal sur ce thème de l’éducation, que nous avons élaborée en Conseil permanent, afin que nous puissions en discuter et qu’elle puisse être soumise au vote en fin d’assemblée.
La lutte contre les abus
Jeudi, nous prendrons le temps de continuer le chemin amorcé depuis plusieurs années par notre conférence quant à ce qu’il est convenu d’appeler « la lutte contre les abus ». Car le travail de reconnaissance, de réparation et de prévention est loin d’être terminé, comme l’actualité la plus récente nous le rappelle. Il est vrai que, grâce à l’impulsion donnée par Mgr Georges Pontier et poursuivie par Mgr Éric de Moulins Beaufort, l’Église de France a pris courageusement le chemin de la vérité dans la question douloureuse des abus en tous genres commis en son sein. Peu à peu, nous, évêques de France, avons appris à regarder ces faits d’abord du point de vue des personnes qui en ont été les victimes et qui en subissent les conséquences à longueur de vie. Souvenons-nous de certaines de nos assemblées. Ce déplacement du regard, l’écoute bouleversante de leur détresse et de leur douleur, l’accueil de leur invitation à poursuivre humblement avec elles un chemin de vérité, ont amorcé, pour notre institution ecclésiale, un long et exigeant travail de conversion que nous aurons à poursuivre ensemble, avec les personnes victimes et avec le peuple de Dieu.
Travailler avec les personnes victimes : en rencontrant au début du mois d’octobre de nombreuses personnes victimes, leurs associations et leurs collectifs, cet impératif de travail en commun m’est apparu comme s’imposant à nous dans les années qui viennent. Nous n’irons pas loin sans elles : j’en suis convaincu. En discutant avec certaines d’entre elles, j’ai acquis la conviction qu’il nous faut aussi approfondir la portée théologique de cette crise, ce qu’elle permet de mettre au jour comme failles de nos ecclésiologies, ce qu’elle invite à corriger dans notre théologie et dans l’organisation de notre vie ecclésiale. Après tout, il fallut le courage de Jean XXIII pour contraindre les pères conciliaires à reconnaître les conséquences dramatiques de l’enseignement du mépris à l’égard des juifs de la part d’une Église trop sûre d’elle-même, et ce geste fut fécond, comme on l’a rappelé à propos de Nostra ætate, ouvrant la voie à un profond renouvellement de la théologie missionnaire de l’Église. Peut-être faudra-t-il un courage analogue pour oser reconnaître les conséquences dramatiques du mépris des personnes, mineures ou majeures vulnérables, de la part de clercs et aussi de laïcs, trop sûrs de l’illusoire impunité que leur conférait leur ordination ou leur fonction. Et il n’est pas impossible que, de façon analogue, ce courage soit fécond pour une intelligence renouvelée du mystère de l’Église. Sur ce terrain aussi, nous devons avancer prudemment, humblement, en sollicitant le concours des personnes victimes, leur savoir expérientiel, leur soif de justice et de vérité, leur désir de montrer le Christ, défiguré comme un crucifié, humilié par ceux-là même qui parlent de Lui sans le connaître vraiment, car il y a des choses que ne savent voir que des yeux qui ont pleuré.
En outre, si l’Église a progressé dans l’ordre de la justice, et quand bien même il lui reste encore beaucoup de chemin à faire en ce sens – nous ne le savons que trop – il lui faut aussi avancer sur celui de la miséricorde, car le message évangélique sur lequel elle est fondée met en relation l’une avec l’autre. Il importe donc qu’en assemblée, nous puissions approfondir sereinement ces questions difficiles. Avec le Conseil permanent, nous avons pensé qu’il faudrait pour cela prévoir plusieurs séquences, échelonnées sur deux ou trois assemblées. Cette fois-ci, nous commencerons par un temps de partage en ateliers, prévu jeudi en début de matinée.
Nous ferons également un point sur les perspectives de l’INIRR, avec sa présidente, Mme Marie Derain de Vaucresson, ainsi que sur la situation du Fonds SELAM, avec le président de son Conseil d’administration, M. Gilles Vermot-Desroches. Nous aborderons les différentes questions concernant la mise en place d’un dispositif concernant les personnes qui ont été victimes d’abus à l’âge adulte. Il nous faudra reprendre ce que nous avions déjà travaillé lors de nos dernières assemblées, afin de construire une réelle culture de la protection et l’ancrer pour longtemps dans l’Église. Mgr Thibault Verny, nouveau président de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, pourra nous aider dans ce travail.
La mission de l’Église dans le contexte actuel
Notre pays, nous le savons, traverse une période d’instabilité politique inhabituelle sous la Cinquième République, qui entraîne une perte de confiance envers les institutions, les partis politiques et les élus, alors même que nous sommes déjà entrés dans une période d’échéances électorales multiples, elles-mêmes devenues imprévisibles ! Certes, des blocages politiques surviennent dans bien d’autres pays d’Europe : Mgr Testore, pour l’Italie, pourra sans doute nous en parler demain soir ! Mgr Kockerols aurait pu le faire pour la Belgique, mais, souffrant, il a dû regagner Bruxelles dès aujourd’hui. Ce qui est sûr, c’est que la situation est vécue différemment en France, pour de multiples raisons. Qui plus est, la démocratie elle-même semble être en danger, comme le révèlent la recrudescence de l’antisémitisme et l’attrait exercé par des populismes devenus menaçants, grâce à des propagandes savamment orchestrées.
Peut-être nous faudra-t-il, en décembre prochain, à l’occasion du cent-vingtième anniversaire de la Loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, analyser en profondeur l’histoire de notre pays, penser à nouveaux frais la place des religions dans l’espace public, rappeler les modalités fondamentales de l’exercice de la liberté religieuse dans un État laïc. La séparation permet, en effet, un dialogue dans lequel chaque partie porte sa part de responsabilités, notamment – et nous l’avons éprouvé à plusieurs reprises, que ce soit à Notre-Dame de Paris, à Nantes, ou ailleurs – dans la gestion du patrimoine religieux. Chacun doit pouvoir assumer librement, selon ce que prévoit la Loi, sa part de responsabilité.
Peut-être nous faudra-t-il aussi, dans le sillage de l’imposant débat qui réunit, le 17 janvier 2004 à l’Académie catholique de Bavière, le cardinal Joseph Ratzinger et le philosophe Jürgen Habermas, avoir le courage de dénoncer, grâce à la raison, les pathologies de la religion, lorsque celle-ci préfère la contrainte à la liberté, et, dans le même temps, dénoncer, grâce à la religion, les pathologies de la raison, lorsque celle-ci choisit d’ignorer la dimension spirituelle de l’humain ou cherche à la confiner dans l’espace privé.
Peut-être faudra-t-il, en outre, déceler dans le présent de notre histoire de France les résurgences parfois inattendues de fractures, de troubles et de séductions qui ont nourri les dérives identitaires dans notre pays et qui, comme le bacille de la peste à la fin du roman de Camus, dorment « dans les meubles et le linge », attendant « le jour […] où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse »[8]. Si le désir d’identité est parfaitement légitime, l’extrémisme identitaire en est une caricature dangereuse. Comme nous en faisons l’expérience dans notre travail pastoral, et spécialement dans l’accueil des catéchumènes, ce désir d’identité taraude le cœur de nombreux jeunes et nous devons le considérer positivement, le comprendre et le nourrir, afin qu’il ne soit pas récupéré pour servir d’alibi à de dangereuses crispations identitaires. L’enjeu est grand et complexe, et nous oblige à une écoute attentive de ce qui s’exprime à travers ces aspirations, afin de les ouvrir à la nouveauté du Christ, à la liberté de l’Évangile et à la catholicité de l’Église. Ne pas vouloir écouter ce que l’Esprit souffle à notre oreille à travers la soif de ces jeunes serait nous éloigner nous-mêmes de la Tradition, car celle-ci est vivante, mais laisser le désir de ces jeunes se déployer en marge de la communion ecclésiale serait mettre en péril la croissance de leur foi, car celle-ci repose sur la succession apostolique.
Ce contexte d’instabilité qui caractérise actuellement notre pays s’inscrit sur fond de difficultés économiques et sociales qu’il ne peut qu’aggraver, – et nous l’observons tous les jours – portant ainsi préjudice à l’ensemble de nos concitoyens et surtout aux plus fragiles. Les personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont de plus en plus nombreuses dans notre pays. La situation est grave et interpelle fortement notre Église. C’est même, pour nous, l’une des plus grandes priorités dans les années qui viennent. Nous en parlerons sûrement lorsque nous recevrons vendredi les responsables du Secours catholique, même si leur venue est aussi liée aux problèmes structuraux graves que traverse actuellement le Secours. Mais j’aimerais relire avec vous ici ce que le pape Léon XIV a écrit dans sa première exhortation apostolique, Dilexi te :
Même les chrétiens, en de nombreuses occasions, se laissent contaminer par des attitudes marquées par des idéologies mondaines ou par des orientations politiques et économiques qui conduisent à des généralisations injustes et à des conclusions trompeuses. Le fait que l’exercice de la charité soit méprisé et ridiculisé, comme s’il s’agissait d’une obsession de quelques-uns et non du cœur brûlant de la mission ecclésiale, me fait penser qu’il faut toujours relire l’Évangile pour ne pas risquer de le remplacer par la mentalité mondaine.
Du prochain Jubilé des pauvres, Fratello, à la mi-novembre, au dernier Jubilé de l’année, celui des prisonniers, à la mi-décembre, nous devrons y être attentifs. Les jeunes de France le savent bien, et nous l’avons bien senti lors des magnifiques journées du Jubilé des jeunes l’été dernier ! Comme par instinct, ils ont compris que c’est en passant par la porte du service des pauvres que l’on a le plus de chances de trouver le chemin du sens de la vie et – souvent – celui de la suite du Christ ! C’est à nous de les y aider, et d’aider ainsi notre pays à ne pas sombrer dans le désespoir. « Il se passe quelque chose en France ! », s’exclamait cet été le cardinal Pietro Parolin, un brin admiratif, en discutant avec des jeunes professionnels lors du Jubilé. Et le Patriarche nous a rappelé ce matin combien l’Église qui est en France était estimée et attendue. Cela n’est pas pour nous une source d’orgueil : notre Église est certes vénérable par les fleurs de sainteté que son terreau de prière a permis d’éclore au soleil de la grâce, mais elle est aussi vulnérable car les pécheurs que nous sommes savent bien ses travers, ses lenteurs, ses complicités et même ses reniements, qui reviennent à nos oreilles à chaque chant du coq ! Mais il y a toujours, inlassablement, la main tendue du Christ à Simon Pierre et l’unique question qui compte pour cheminer avec Celui qui est le chemin, la vérité et la vie : « m’aimes-tu ? »
Je voudrais également, m’appuyant sur les mots vigoureux du Patriarche ce matin, souligner la gravité de la situation internationale dans laquelle nous nous trouvons. Elle concerne l’Europe, notamment à travers la guerre en Ukraine et les menaces russes contre d’autres pays de notre continent : Mgr Ihor Rantsya, pour l’Ukraine et Mgr Andris Kravalis, pour la Lettonie et les Pays Baltes, nous en parleront sans doute demain soir. Mais cette « troisième guerre mondiale par morceaux », comme l’appelait le pape François, n’en finit pas d’allumer de nouveaux foyers dans le monde, au gré des appétits insatiables des grandes puissances. La liste serait trop longue des pays actuellement en proie à la violence et à la guerre, du Soudan à la Birmanie, des Grands Lacs africains à la mer de Chine, des plaines du Sahel et du Sahara occidental aux montagnes de l’Afghanistan et du Pakistan, de la région du Proche-Orient à celle des Caraïbes, etc. Et dans ce contexte, nous ne devons pas négliger le fait que la persécution des minorités religieuses, en particulier celle des chrétiens, persiste dans le monde entier. Lors de son intervention à l’ONU le 29 septembre dernier, Mgr Gallagher, responsable de la diplomatie du Saint-Siège, a rappelé que « plus de 360 millions de chrétiens vivent dans des régions où ils subissent des discriminations importantes » qui se sont intensifiées ces dernières années, alors que « la communauté internationale semble fermer les yeux sur leur sort. »
Nous le savons – nous a dit le Patriarche ce matin – la crise que traverse notre monde ne se limite pas aux tensions politiques, aux guerres ou aux déséquilibres économiques. Elle plonge plus profondément dans une blessure spirituelle. […] Lorsque Dieu disparaît du regard humain, la terre devient un bien à exploiter, l’autre un rival à craindre et la vie elle-même une marchandise. […] C’est de cette amnésie spirituelle que naissent la violence, la peur et l’injustice.
Au début du mois de juillet, Vincent Jordy, Benoît Bertrand et moi avions décidé, vous le savez, de nous rendre le plus rapidement possible en Terre Sainte, avec le P. Christophe Le Sourt. Nous souhaitions, en effet, que le premier geste de notre nouvelle présidence soit de rendre visite à l’Église-mère de Jérusalem, dans la situation difficile qu’elle traverse actuellement. Nous voulions surtout écouter, essayer de mieux comprendre une situation pour le moins complexe, sans plaquer nos idées préconçues et sans céder aux pressions de ceux qui militent pour une cause ou pour l’autre. En rendant visite à quelques communautés chrétiennes, à Taybeh, à Bethléem, à Aïn-Karem, etc., nous avons pris conscience de l’extrême difficulté dans laquelle elles se trouvaient. En rencontrant divers acteurs israéliens et palestiniens, en rendant visite au Forum des familles d’otages à Tel Aviv, nous avons perçu que les artisans de paix se trouvent des deux côtés.
Le cardinal Pizzaballa nous a chaleureusement accueillis et guidés tout au long de cette visite, courte mais dense. Depuis lors, la situation a beaucoup évolué, même s’il est trop tôt pour parler de paix. « Nous ne sommes pas naïfs – expliquait récemment le cardinal Pizzaballa – nous savons que la route jusqu’à un accord final sera longue avec beaucoup d’obstacles. Nous devons donc être réalistes, mais nous pouvons commencer à écrire une nouvelle page et à construire quelque chose de nouveau. » Quoi qu’il en soit de l’avenir, notre petite délégation est revenue avec la conviction qu’il était nécessaire que nous réfléchissions avec vous, en assemblée, à la façon dont l’Église qui est en France pourrait apporter sa contribution pour aider la mission des chrétiens de Terre Sainte. Cette mission, le cardinal Pizzaballa la décrit ainsi : « Nous devons créer des lieux de paix et de sérénité dans lesquels les gens peuvent échanger sans se sentir menacés. Nous, chrétiens, ne sommes pas une menace. Nous allons travailler à plusieurs niveaux : d’abord humanitaire (nous devons soutenir les habitants de Gaza autant que nous le pouvons) ; ensuite, nous avons besoin de faciliter les rencontres interreligieuses, pas entre les élites, mais avec les communautés. Et troisièmement, nous devons dire les choses telles que nous les voyons, dire la vérité, sans honte. »
J’ajoute que, au retour de notre visite, nous nous sommes dit, et nous avons partagé cela avec le Conseil permanent, qu’il serait sans doute judicieux que la Conférence des évêques de France, à cause même des liens ancestraux qui lient la France et la Terre Sainte, puisse soutenir l’existence de communautés, consacrées ou laïques, à proximité des lieux saints de Terre Sainte. Ce sont des lieux de passage et de brassage, des lieux propices aux rencontres et aux dialogues, des lieux où peuvent mûrir les semences de la paix. Nous y reviendrons donc à la fin de notre assemblée. Mgr William Shomali, évêque auxiliaire du Patriarcat latin, sera présent avec nous. Le cardinal Pizzaballa, qui regrette de ne pouvoir venir, a enregistré une petite vidéo à notre intention. Nous avons prévu une veillée de prière pour la paix lors de la procession aux flambeaux samedi soir, et le lendemain, avant la messe de clôture, une méditation nous sera proposée conjointement par Mgr William Shomali et Mgr Ihor Rantsya. Nous terminerons ainsi notre assemblée sur une note de prière et de communion par-delà nos frontières.
Je conclus. La période qui nous sépare de notre dernière assemblée aura été marquée par le départ vers la maison du Père du pape François. Comment ne pas se souvenir avec émotion du dernier geste du vieux pasteur, prenant sur ses dernières forces pour bénir et saluer, au matin de Pâques, son cher peuple de Dieu, avant d’aller se présenter devant son Seigneur, pécheur pardonné et appelé, Miserando atque eligendo ? Quel exemple pour notre propre ministère ! L’Église a ensuite vécu comme une immense retraite, avec le collège des cardinaux, pour supplier le Seigneur d’indiquer celui qu’Il avait déjà élu dans son cœur. Le 8 mai 2025, ce fut le pape Léon XIV qui nous a été donné comme pontife et pasteur. Je voudrais ici rappeler ses premières paroles que je vous propose comme guide et chemin pour les années qui s’ouvrent devant nous : « La paix soit avec vous tous. C’est la paix du Christ ressuscité, une paix désarmante, humble et persévérante. Elle vient de Dieu, de Dieu qui nous aime inconditionnellement ».
C’est au nom de cette paix que nous sommes appelés à mobiliser toutes nos forces, au service du Christ et de son Évangile. Il n’y a pas d’autre motif à l’espérance qui nous anime : elle n’est pas un espoir placé dans nos forces, notre ingéniosité et nos prospérités réelles ou supposées, elle est certitude de la victoire déjà remportée par Dieu qui nous a aimés « jusqu’au bout » (Jn. 13, 1). Nous le savons d’expérience : dans l’exercice de notre ministère, mieux vaut une pauvreté offerte qu’une prospérité satisfaite ! Nous ne trouvons pas l’inspiration de notre action dans la conformité aux seules exigences de l’époque, même si certaines sont légitimes. Nous n’avons pas à agir par peur de ce que certains pourraient dire de nous. Nous n’avons pas à nous laisser gagner par la crainte de vouloir nous rendre plus acceptables pour sauvegarder notre droit à exister. La présence du Christ ressuscité et de sa paix, nous donne la vraie liberté, celle des enfants de Dieu. Et Dieu n’aime rien tant, comme le confiait saint Grégoire, que la liberté de son Église !
Cette liberté, que le Christ nous a acquise au prix de son sang, est la mère de notre force d’âme. Si, pour reprendre l’expression du bienheureux Pierre Claverie, notre confrère martyr, notre place est « au chevet » de l’humanité souffrante, c’est pour y déployer ce courage de l’espérance qu’aucun mal ni aucune épreuve ne peuvent intimider : c’est ce courage qui nous donne de dialoguer, de consoler, d’accompagner, tout simplement pour servir Dieu qui « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique » (Jn 3, 16). Toute la mission de l’Église s’enracine dans cet amour dont elle est la servante, désarmée et désarmante. Là est la source, me semble-t-il, de notre ministère de communion. Là est l’aiguillon de notre témoignage. Nous savons combien notre monde, à commencer par notre pays, en a besoin.
Que Dieu bénisse nos travaux et nous aide à accomplir humblement cette belle mission.
Merci !
+ Jean-Marc Aveline
[1] Cf. Jean-Marc Aveline, Dieu a tant aimé le monde. Petite théologie de la mission, Paris, Cerf, 2023.
[2] Cyprien de Carthage, L’unité de l’Église (De Ecclesiæ catholicæ unitate), Paris, Les Éditions du Cerf, 2006, « Sources chrétiennes » n° 500, ch. 14, p. 217.
[3] Ibid., ch. 6, p. 189.
[4] Claude Dagens, « Préface », p. XII.
[5] Henri de Lubac, Méditation sur l’Église, Troisième édition revue, Paris, Aubier, 1954, p. 188-189.
[6] Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, Paris, Cerf, 1984, IV, 7, 4, p. 425. Hans Urs von Balthasar a développé ce thème dans le troisième chapitre intitulé « Les deux mains du Père » du troisième tome, « L’Esprit de vérité », de La Théologique, Bruxelles, Culture et Vérité, 1996, p. 159-209. Voir également : Gilles Émery, « Missions invisibles et missions visibles : le Christ et son Esprit », dans Saint Thomas et la théologie des religions, Revue thomiste, janvier-juin 2006, p. 51-99.
[7] J’avais été particulièrement touché par la lecture du beau livre de ce dominicain parti vivre en Afghanistan, Serge de Beaurecueil, Nous avons partagé le pain et le sel, Paris, Cerf, 1965.
[8] A. Camus, La peste, Paris, éd. Gallimard, 1950, p. 278.
