Dans First Things, Joseph Shaw consacre un article au pape Léon XIV et Traditionis Custodes, suite aux révélations sur les vrais résultats de l’enquête romaine auprès des évêques :
Peu après la publication de Traditionis Custodes en 2021, je me suis rendu à Rome en ma qualité officielle de président d’Una Voce International, le regroupement des associations Una Voce ou Latin Mass Society à travers le monde. Je souhaitais trouver la réponse à une question simple : pourquoi le pape François avait-il publié ce document, restreignant la messe traditionnelle au point d’envisager sa suppression ? Le Dicastère pour la doctrine de la foi avait organisé une enquête auprès des évêques du monde entier sur la messe traditionnelle et préparé un rapport résumant les résultats. Le pape François a écrit, dans la lettre aux évêques qui accompagnait Traditionis Custodes, que « les réponses révèlent une situation qui me préoccupe et m’attriste, et me convainc de la nécessité d’intervenir ».
Cependant, la récente publication par la journaliste Diane Montagna de la section finale présumée du rapport du DDF sur l’enquête apporte un éclairage très différent sur les choses, en particulier sur l’opinion des évêques concernant le motu proprio Summorum Pontificum de 2007 du pape Benoît XVI, qui accordait une plus grande liberté dans la célébration de la liturgie antérieure à 1962. Les auteurs du rapport résument leurs conclusions comme suit :
Certains évêques préféreraient un retour à la situation antérieure de l’indult afin d’avoir un meilleur contrôle et une meilleure gestion de la situation. Cependant, la majorité des évêques qui ont répondu au questionnaire affirment que modifier la législation relative au MP Summorum Pontificum causerait plus de tort que de bien. Tout changement, qu’il s’agisse de supprimer ou d’affaiblir le MP Summorum Pontificum, porterait gravement atteinte à la vie de l’Église, car il recréerait les tensions que le document avait contribué à résoudre. Comme le dit l’archevêque de Milan : « J’ai l’impression que toute intervention explicite pourrait causer plus de tort que de bien : si la ligne de la MP Summorum Pontificum est confirmée, cela provoquera de nouvelles vagues de perplexité parmi le clergé (et pas seulement parmi eux). Si la ligne de la MP Summorum Pontificum est rejetée, cela provoquera de nouvelles vagues de dissidence et de ressentiment parmi les partisans de l’ancien rite. » Il est donc préférable de poursuivre dans la voie déjà empruntée, sans provoquer de nouveaux bouleversements.
Summorum Pontificum a été perçu par les évêques comme une amélioration, et non comme une détérioration : le mot utilisé par la DDF est « apaisé », un terme également employé dans une réponse à l’enquête d’un évêque français, selon le rapport de Montagna. De nombreuses citations tirées des réponses individuelles des évêques, également présentées par Montagna, vont dans ce sens. Un évêque américain a fait remarquer :
« Je crois que beaucoup de ceux qui se sentaient séparés de l’Église et s’étaient tournés vers des communautés extra-ecclésiales se sont sentis à nouveau accueillis au sein de la structure de l’Église grâce à Summorum Pontificum. »
Un évêque anglais a écrit :
« Beaucoup de personnes qui y assistent sont des pèlerins troublés et qui souffrent beaucoup, et je crois que la « normalisation » de leur expérience liturgique au sein de la vie de l’Église renforce son unité. »
Un évêque des Philippines a écrit :
« Je suggère que la forme extraordinaire soit autorisée telle quelle et que le principe de Gamaliel soit appliqué » (voir Actes 5, 38-39).
Ces révélations concordent avec ce qui m’a été dit en 2021. Plusieurs sources ont déclaré que les propos du pape ne pouvaient se justifier que par l’opinion minoritaire des évêques qui ont répondu à l’enquête. Il est bien sûr possible que cette opinion minoritaire ait été fortement défendue par un grand nombre d’évêques et qu’il y ait eu un grave problème pastoral, même si rien de ce que j’avais recueilli auprès de mes propres sources à travers le monde n’indiquait quoi que ce soit de ce genre. Celles-ci m’ont dit que là où des problèmes existaient, ils étaient essentiellement de nature pratique plutôt que théologique, tels que les horaires des messes et les rotations du clergé, c’est-à-dire des problèmes ordinaires découlant de la coexistence de différentes communautés.
Dans la mesure où il existe des voix dénonçant Vatican II au nom de la « véritable Église » (comme l’affirme la lettre aux évêques), elles constituent un phénomène extrêmement marginal dans les communautés traditionnelles en règle avec leur évêque. Cela s’explique non seulement par le fait que le nombre de personnes partageant ces opinions est infime, mais aussi parce qu’elles considèrent les communautés traditionnelles qui acceptent l’autorité du pape et de l’évêque comme irrémédiablement compromises et s’en excluent donc. Les lecteurs trouveront peut-être cela étrange, mais j’ai vu cela se produire. L’autorisation épiscopale pour une messe agit sur les fanatiques les plus extrêmes comme l’ail sur une bande de vampires.
Le pape Léon voudra naturellement résoudre les problèmes créés par Traditionis Custodes. Comme beaucoup d’autres, j’ai supposé qu’il chercherait un moyen d’assouplir les restrictions, qui font clairement plus de mal que de bien, sans pour autant rejeter ouvertement le pape François. Il pourrait ainsi publier des directives définitives sur la manière dont Traditionis Custodes doit être compris, ou simplement donner de nouvelles instructions à ceux qui sont chargés de sa mise en œuvre.
La publication de ces documents rend une solution diplomatique plus difficile, car il est désormais difficile de voir comment la suppression de la messe en latin a été faite de bonne foi. Le rapport met le pape Léon au défi de faire au pape François exactement ce que la DDF avait averti le pape François de ne pas faire à Jean-Paul II et Benoît XVI en renversant leur politique : les « délégitimer ». Il serait peut-être juste que le pape François subisse le sort qu’il a réservé à ses propres prédécesseurs, mais il s’agit là d’un schéma malheureux que le pape Léon voudra briser plutôt que prolonger.
Dans le même temps, cela augmente la pression sur le pape Léon pour qu’il fasse une concession sur la messe traditionnelle, et cela contredit l’affirmation selon laquelle les catholiques attachés à cette liturgie sont largement considérés par les évêques comme portant atteinte à l’unité de l’Église. La diffamation dont ont été victimes des dizaines de milliers de catholiques, qui souhaitent simplement pratiquer leur culte comme leurs prédécesseurs, constituait, à sa manière, une menace plus grande pour la préservation de la messe traditionnelle que les obstacles juridiques à sa célébration introduits par le pape François.
Les enjeux ont été relevés, et le pape Léon doit prendre une décision.