Au lendemain de son élection, Benoît XVI déclarait : « Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant les loups ». Les loups l’ont poussé à renoncer pour installer François, qui attendait son heure. Face à Léon XIV, il semble que les loups soient ressortis.
Invité par le journal La Repubblica dans le cadre d’un colloque sur l’état de l’Eglise, le cardinal-archevêque de Bologne Zuppi, favori du « conclave des médias », s’est livré à une évocation nostalgique du précédent pontificat, laissant apparaître en creux une certaine amertume apparue à la suite du 8 mai 2025.
Le 15 juin, lors de la clôture du colloque La Repubblica delle Idee – organisé par La Repubblica – le cardinal Matteo Maria Zuppi, président de la Conférence des évêques d’Italie, a livré une ode mélancolique vantant les mérites du prédécesseur de Léon XIV. Dès l’ouverture du dialogue avec Francesco Merlo, le ton est donné. Stefano Cappellini, vice-directeur de La Repubblica, introduit les deux invités, évoquant que beaucoup avaient espéré que le débat n’ait pas lieu, car « l’un des invités ici présent aurait pu être retenu par un engagement plus prestigieux dans une autre ville ». La Repubblica, de centre-gauche, rêvait de voir le cardinal Zuppi, son favori, émerger du conclave.
« Un an après notre dernière rencontre, que s’est-il passé ? » demande Francesco Merlo, avant de répondre lui-même : « Il n’y a plus François, et nous sommes ceux qui le regrettent. » Il décrit Léon XIV comme un pontife « froid », un homme qui « fait le pape » sans en incarner l’âme, contrairement à François. Merlo déplore un retour à une liturgie solennelle, perçue comme un recul face à la spontanéité de l’ancien pape. A ce moment précis, tous les regards se tournent vers le cardinal Zuppi, dont l’autorité et la finesse d’esprit auraient pu tempérer ce jugement sévère. Mais le cardinal choisit le silence. Plutôt que de défendre, même par courtoisie, le pape régnant, le patron des évêques italiens se joint au chœur des âmes nostalgiques. « Nous regrettons tous François », déclare-t-il, avant d’énumérer les legs de son pontificat : l’aspect “visionnaire” d’un pape dénonçant une « troisième guerre mondiale par morceaux », l’appel à construire des ponts plutôt que des murs, l’encyclique Laudato si’.
Pendant près de quarante-cinq minutes, le dialogue se borne à une célébration exclusive du pontife défunt, au point d’occulter l’actualité du nouveau pontificat. Léon XIV, premier pape américain, semble n’avoir jamais existé.
Dès avant le conclave, les colonnes du journal regorgeaient d’éloges à l’égard du cardinal Zuppi, le dépeignant comme l’héritier naturel de François, un homme de dialogue, adepte d’une « théologie du consensus ». Vers la fin du débat, Francisco Merlo glisse : « Vous avez été le favori de deux papes, espérons que vous le soyez d’un troisième. » « Espérons-le », répond le cardinal Zuppi.