Le samedi des Quatre Temps d’été vient clore le temps pascal :
Les ordinations et la vigile de cette nuit à Saint-Pierre, que nous attestent les documents dès le Ve siècle, voulaient affirmer cette idée romaine, que tout pouvoir ecclésiastique provient de l’Apôtre à qui Dieu confia les clefs du royaume des cieux. Quand, au VIIe siècle, en raison de l’octave solennelle de la Pentecôte, le jeûne des Quatre-Temps d’été fut retardé de quelques semaines, on institua la station à Saint-Etienne sur le Cœlius, au lieu de Saint-Pierre, changement qui d’ailleurs ne rencontra guère de faveur, si bien qu’au XIe siècle on revint à la tradition primitive.
Les six lectures scripturaires qui précèdent le Gloria de la messe se rapportent en partie à la solennité de la Pentecôte, et en partie au jeûne du IVe mois, comme l’appelait saint Léon-le-Grand. Elles représentent une sorte de compromis et une fusion des deux rites. Autrefois, la vigile durait toute la nuit, et on y lisait douze leçons, tant en grec qu’en latin. Mais du temps de saint Grégoire le Grand, on l’abrégea et on la réduisit à de plus sobres limites, qu’elle a conservées dans le Missel actuel.
L’introït est tiré de l’épître aux Romains (V, 5). « L’amour de Dieu s’est répandu dans nos cœurs — Alléluia— au moyen de l’Esprit Saint qui nous a été donné. Alléluia, Alléluia. » Suit le psaume 102 : « Mon âme, et toutes mes ; facultés intérieures, bénissez le Seigneur et son saint Nom. » Pour se faire aimer de l’homme élevé à la grâce de la divine filiation, Dieu a mis dans sa poitrine son propre Cœur, et ce cœur de l’Auguste Trinité, c’est le Paraclet.
Suit la prière litanique : Kyrie eleison ; puis, au lieu d’entonner l’Hymne angélique, on récite la collecte suivante, de caractère délicatement trinitaire. La Sagesse à laquelle on fait allusion, c’est le Verbe de Dieu ; la Providence, c’est le Père éternel. « Dans votre bonté, répandez. Seigneur, nous vous en prions, votre Esprit Saint dans nos âmes ; nous avons été créés par sa sagesse et nous sommes gouvernés par sa providence. Par notre Seigneur. »
La lecture est tirée de Joël (II, 28-32) et rapporte ce passage auquel se référait précisément l’apôtre Pierre dans son premier discours aux Juifs le matin de la Pentecôte. Il s’agit de l’effusion du Saint-Esprit sur l’Église universelle qui inaugure avec l’ère messianique le dernier âge du monde, lequel prépare la parousie finale et la destruction du monde présent.
Rappelons encore, pour l’intelligence du rite vigilial, que dans l’antiquité, chaque lecture était ordinairement suivie du chant d’un psaume responsorial ; ensuite, après l’invitation du prêtre ou du diacre à la prière privée : Oremus. Flectamus genua, les fidèles se prosternaient pour prier en silence chacun en particulier. Le diacre donnait de nouveau le signal de se relever (Levate), pour qu’on accompagnât du cœur la prière sacerdotale. Celle-ci prenait le nom de Collecte parce que le prêtre recueillait en une brève formule les vœux de toute l’assemblée, et, ainsi réunis, les présentait à Dieu.
« Alléluia. » (Ioan., VI, 64.) « L’Esprit donne la vie, la chair ne sert de rien. » — Cela veut dire que la nature seule et abandonnée à elle-même est incapable de mériter pour la vie éternelle. Pourtant si le corps se prête comme un instrument docile à l’âme fidèle enflammée de charité et de zèle pour Dieu, alors la chair elle-même a part aux mérites, à la récompense et à la gloire de l’âme. La psalmodie s’achève par la collecte suivante : « Que le Saint-Esprit nous enflamme, nous vous le demandons, Seigneur, de ce feu que notre Seigneur Jésus-Christ apporta sur la terre et voulut ardemment allumer. Lui qui vit et règne avec vous, etc. »
La IIe lecture (Lévitique XXIII, 9-21) ne se rapporte aucunement au don du Saint-Esprit qui pourtant a orienté toute la liturgie durant cette semaine ; elle devait probablement faire partie de l’ancien groupe de leçons vigiliales pour le jeûne du IVe mois, — l’année commençant en mars, — alors que l’octave de la Pentecôte n’avait pas encore été instituée. La Pentecôte juive, ainsi qu’il est dit dans ce passage du Lévitique, était comme une fête d’action de grâces après la récolte, ce qui correspond très bien au caractère primitif des Quatre-Temps d’été dans la tradition liturgique romaine. Il s’agissait à l’origine d’une classique fête champêtre à laquelle le christianisme donna une orientation religieuse.
On offre au Seigneur les dîmes et les prémices pour attester qu’il est le maître universel et que tout bien nous venant de lui, doit être employé par nous à sa plus grande gloire. Suit le verset alléluiatique tiré des prophéties de Job. « Alléluia ! » J. (Job, XXVI, 13) : « L’Esprit du Seigneur orna les cieux. » La beauté de la création nous révèle l’ineffable amour de Dieu pour sa créature ; aussi est-ce à bon droit que Dante, dans sa Divine Comédie, chanta l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles.
Suit la collecte : « O Dieu, qui pour le remède des âmes, avez ordonné de châtier les corps par un jeûne religieux, soyez-nous propice et faites que nous vous soyons toujours fidèles d’âme et de corps. Par notre Seigneur, etc. » En effet, quand le corps jeûne, le cœur, l’âme, la volonté doivent aussi jeûner, en s’abstenant de tout ce qui offense la sainteté à laquelle nous convie le caractère sacré de fils de Dieu, auquel nous a élevés le Baptême.
La lecture du Deutéronome (XXVI, 1-11) se rapporte également aux prémices de la récolte, qu’on offrait au Seigneur cinquante jours après la Pâque. Il faut pourtant remarquer que la première gerbe d’épis d’orge mûr avait été déjà présentée au Temple le 16 Nisan, c’est-à-dire le second jour de la Pâque juive ; ainsi ces deux sacrifices constituaient-ils comme les termes extrêmes de la sainte cinquantaine pascale, qui reçut plus tard des Hellénistes le nom de Pentecôte, demeuré dans la liturgie chrétienne.
Il est plus facile de recevoir de la main du Seigneur les douleurs que la félicité. La douleur conduit beaucoup d’âmes à la religion, tandis que la prospérité fait oublier Dieu par un grand nombre. Il faut imiter la sainteté de Job qui, avec une égale reconnaissance, recevait de la main de Dieu tant les joies que les peines. Celles-ci ne peuvent jamais paraître désagréables quand on réfléchit qu’elles viennent de manu Domini [31].
Suit le verset alléluiatique. « Alléluia. » (Act., II, i.) « Au moment où s’accomplissait le cinquantième jour, ils étaient tous ensemble. » — Voici l’esprit de charité fraternelle et de concorde, qui est une des conditions les plus favorables pour nous concilier les dons de celui qui s’appelle le Dieu de paix et d’amour.
Suit la collecte : « Nous vous demandons, Dieu tout-puissant, que, instruits par ces jeûnes salutaires et nous abstenant de tous les vices, nous obtenions plus facilement votre miséricorde. Par notre Seigneur. »
La lecture suivante, tirée du Lévitique (XXVI, 3-12), rappelle les promesses faites par Dieu à son peuple, s’il se maintenait fidèle à l’observance de la loi. Il faut remarquer toutefois que, bien que le péché soit ce qui rend malheureux, même matériellement, les hommes (et à un peuple de peu d’intelligence et charnel comme l’étaient les Juifs, on ne pouvait parler d’autre langage que celui du bien-être matériel), le but de la vie n’est pas la félicité d’ici-bas ; bien plus, pour le chrétien la vie présente est comme la continuation de la Via Crucis de Jésus, en attendant la véritable et parfaite béatitude seulement dans le ciel.
Suit l’invocation du Paraclet : « Venez, ô Saint-Esprit », comme le jour de la Pentecôte. Puis on récite la cinquième collecte : « Accordez-nous, nous vous en prions, Dieu tout-puissant, de nous abstenir de telle sorte des aliments charnels que nous jeûnions également des vicesquinous assiègent. Par notre Seigneur, etc. »
La dernière lecture, identique à celle des Quatre-Temps de décembre, qui termine régulièrement l’office de vigile, contient l’histoire des trois jeunes gens jetés par Nabuchodonosor dans la fournaise de Babylone. Ce récit était si populaire chez les premiers fidèles, que nous le voyons encore aujourd’hui exprimé en mille peintures et sculptures des quatre premiers siècles. Le cantique qui suivait, dit des Bénédictions, servait comme de transition entre l’office de la vigile et la messe proprement dite. Pourtant cette fois, en raison sans doute de l’alléluia pascal qui le précède, il a perdu son caractère primitif de chant responsorial, et il est resté comme atrophié, réduit qu’il est à son seul verset initial. Nous le retrouvons en entier aux autres samedis des Quatre-Temps. « Alléluia. Soyez béni, ô Dieu, Seigneur de nos pères, digne de louange dans tous les siècles. »
Le Gloria qui suit était primitivement lui aussi un chant de transition entre la vigile nocturne et la messe. Aujourd’hui il est hors de sa place, puisqu’il sépare la lecture et le cantique de Daniel de la belle collecte qui se rapporte justement aux trois enfants de Babylone délivrés miraculeusement par l’Ange pour les mérites de leur foi héroïque qui leur fit refuser de se prosterner devant l’idole royale et de l’adorer.
« O Dieu qui pour les trois enfants avez rendu douces les flammes du feu, soyez-nous propice et faites que la flamme des vices ne nous brûle pas, nous vos serviteurs. Par notre Seigneur, etc. » Voilà la vraie fournaise qui met à l’épreuve les fidèles de Jésus-Christ : ce sont les passions, le feu de la sensualité, de l’orgueil, de l’amour-propre. Celui qui a la foi passe indemne à travers ces flammes, tandis que celui qui ne l’a pas y succombe.
Suit un passage de l’Épître aux Romains où, en traits rapides mais énergiques, est décrite toute l’essence de la vie chrétienne, c’est-à-dire la régénération au moyen de la foi en Jésus-Christ, l’espérance en l’héritage futur du ciel, qui nous revient en vertu de notre caractère d’enfants de Dieu, et la charité qui est répandue en nous par le divin Paraclet. Après la lecture de saint Paul, on récite le psaume (Tractus) 116, comme il est de règle tous les samedis des Quatre-Temps.
A l’origine, le tractus représentait la forme psalmodique festive de l’Église romaine, avant l’introduction du verset alléluiatique au temps de saint Grégoire. Les messes fériales étaient privées du trait, mais il se retrouve au samedi des Quatre-Temps, parce que primitivement ces messes étaient de véritables messes dominicales, et avaient un caractère festif. Le psaume 116, après les ordinations, a le sens d’un vrai chant d’action de grâces au Seigneur. Au VIIe siècle, la lecture évangélique qui suivait en ce jour le tractus était prise de saint Matthieu (XX, 29-34) et traitait des deux aveugles guéris par le Rédempteur. Mais quand la liturgie des Quatre-Temps se fusionna définitivement avec celle de l’octave de la Pentecôte, on préféra le passage, peut-être désigné déjà antérieurement, de saint Luc (IV, 38-44) qui raconte la guérison de la belle-mère de Simon, la station étant précisément célébrée dans la domus Simonis vaticane.
Cette nuit, la séquence, ne faisant pas partie du verset alléluiatique, n’est pas suivie de l’acclamation finale alléluia.
La lecture du saint Évangile est la même qu’au jeudi après le IIIe dimanche de Carême. Jésus entre dans la maison de Simon, et, à la prière des Apôtres, il guérit la belle-mère de celui-ci. Saint François de Sales observe à ce propos que ce n’est pas la vertueuse malade qui demande la santé à Jésus. Il lui est indifférent de se trouver bien ou mal, pourvu qu’elle accomplisse la volonté de Dieu. Ce sont les autres qui obtiennent pour elle la santé. Elle accepte cette grâce avec une égale tranquillité d’esprit, et vite emploie ses forces recouvrées pour recevoir Jésus et les Apôtres dans sa maison, les servant dans tout ce qui pouvait leur être utile.
L’offertoire des samedis des Quatre-Temps est toujours le même : une antienne tirée du psaume 87, en relation avec le caractère nocturne de la messe : In die clamavi et nocte coram te.
La prière qui prélude à l’anaphore est la suivante : « Afin que nos jeûnes soient acceptés de vous, Seigneur, nous vous en prions, faites que nous vous offrions un cœur purifié, grâce au don de ce sacrement. Par notre Seigneur. » Voici exprimée à nouveau cette belle pensée, que nous aussi nous devons nous unir à l’oblation de Jésus, en immolant toute notre nature dans les flammes de l’amour de Dieu.
L’antienne de la Communion contient une dernière allusion à l’octave de la Pentecôte et au temps pascal qui va s’achever. L’alléluia lui-même, au moins selon l’ancien rite grégorien, est prêt à s’envoler et à retourner au ciel : Sed nescis unde veniat aut quo vadat : alleluia, alleluia, alleluia. Ce chant est tiré de saint Jean (III, 8) « L’Esprit souffle où il veut ; tu entends son souffle, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Alléluia, Alléluia, Alléluia. »
II est vrai que le texte grec de l’Évangile parle ici, non du Saint-Esprit, mais du vent. Toutefois, comme Jésus s’est précisément servi de l’image du vent pour expliquer à Nicodème le caractère suprasensible et surnaturel de la grâce de l’Esprit Saint, ainsi l’emploi que fait de ce verset la liturgie romaine au moment où se clôt le cycle de la Pentecôte, n’est nullement arbitraire.
« Que votre Sacrement, Seigneur, nous donne une divine ferveur afin que nous nous délections également et de son accomplissement et de son fruit. Par notre Seigneur. » Ferveur actuelle, goût spirituel, solide profit et avancement dans la voie de la perfection, voilà le triple fruit eucharistique que l’Église nous fait implorer aujourd’hui après la sainte Communion. Très souvent, des âmes s’abstiennent de l’Eucharistie uniquement parce qu’elles n’éprouvent ni ferveur ni goût spirituel. C’est agir comme celui qui ne mangerait pas sous prétexte que son estomac est affaibli. C’est au contraire une raison de plus pour recourir à la nourriture. La ferveur et le goût suivent la sainte Communion et ne sont point une condition essentielle pour y participer. L’Église nous enseigne que pour recevoir Jésus dans l’Eucharistie, même tous les jours, sont seulement requises la pureté de conscience et l’intention droite. Or la parole de l’Église doit nous suffire pour nous faire mettre de côté toute inopportune hésitation. D’ailleurs, en ce qui concerne le goût spirituel, il ne convient pas de s’y attacher par trop, puisque dans la prière il faut chercher non pas tant notre goût que celui de Dieu.
La sainte messe clôt dignement le temps pascal. Désormais la Rédemption est accomplie, et le Saint-Esprit est venu comme pour en assurer définitivement l’efficacité, moyennant le caractère sacramentel qu’il imprime dans l’âme. Telle est la propriété personnelle du divin Paraclet : il accomplit, termine, opère toujours quelque chose de définitif, à l’égal d’une conclusion qui, inévitablement et inébranlablement, sort des prémisses. C’est la raison pour laquelle les péchés contre le Saint-Esprit n’obtiennent, en fait, jamais le pardon : ils représentent l’obstination définitive de l’âme dans la haine suprême contre le souverain amour.
Bienheureux Cardinal Schuster