John Grondelski, Docteur en philosophie (Forham University, l’université jésuite de New York), précédemment doyen associé de la Seton Hall University (New Jersey), collaborateur au National Catholic Register a rédigé un article sur la problématique de l’âge limite des évêques (75 ans). Traduction par Benoît et moi :
Les réseaux sociaux ont bouleversé le monde de l’information en donnant aux gens ordinaires l’occasion de soulever et de discuter de sujets que les médias de l’establishment ne voulaient pas ou ne pouvaient pas aborder. Ils m’ont également permis de découvrir des idées qui méritent d’être débattues, mais qui, parce qu’elles ne font pas partie du cycle de l’information immédiate, ne recevront pas l’attention qu’elles méritent.
Comme l’âge auquel les évêques devraient prendre leur retraite. Un twittos irlandais a soulevé la question de l’âge auquel les évêques devraient quitter leurs fonctions. Le pape François a remplacé l’archevêque de Kansas City, Joseph Naumann, le 8 avril. Mgr Naumann avait atteint l’âge de 75 ans. Le pape a également pourvu le siège de Providence (Rhode Island).
En vertu des changements institués par le pape Paul VI, les évêques doivent présenter leur démission à l’âge de 75 ans, que le pape peut accepter ou différer, mais ils doivent partir à l’âge de 80 ans. La règle de Paul VI ne s’appliquait pas à l’évêque de Rome, titre par lequel François préfère se désigner. Depuis l’entrée en vigueur de cette règle, tous les papes, y compris Paul VI mais à l’exclusion de Jean-Paul Ier, ont quitté ou quitteront la papauté après l’âge de 80 ans.
Mon tweetos irlandais demandait si la règle de Paul VI devait être reconsidérée. Il semble, suggérait-il, que cette règle soit utilisée selon des critères politiques. La démission de certains évêques est acceptée le jour de leur 75ème anniversaire ; d’autres (par exemple, le cardinal Cupich) restent en fonction [à Chicago]. À l’époque où Paul VI a établi cette règle, l’exception semblait être prévue pour les cas où il serait difficile de nommer un successeur, par exemple derrière le rideau de fer. On peut penser qu’il n’y a pas de pénurie de candidats pour la Windy City [Chicago, ndt].
Je souhaite approfondir la question de mon interlocuteur, en particulier à la lumière de la récente maladie grave du pape et de sa convalescence prolongée.
La médecine moderne a allongé la durée de vie, mais l’âge et la maladie continuent de sévir. Les médias, et pas seulement les réseaux sociaux, ont rendu la papauté beaucoup plus visible. Les papes du passé ont pu « ralentir » et se réfugier derrière les murs du Vatican. C’est beaucoup plus difficile à faire aujourd’hui. Les informations qui commencent à circuler après la fin de la présidence de Joe Biden suggèrent qu’il ne s’est pas acquitté de sa tâche de manière cohérente, non seulement au cours de l’année écoulée, mais aussi plus tôt dans son administration, et qu’une grande partie de ce qui a été fait par « Joe Biden » provenait en fait de ses collaborateurs.
Compte tenu de ces informations, est-il juste de poser la question suivante : existe-t-il un stylo papal automatique? Si oui, qui le tient ?
L’assassinat de John F. Kennedy en 1963 a finalement attiré l’attention du Congrès sur la question de la succession présidentielle, aboutissant au 25ème Amendement à la Constitution des États-Unis. À bien des égards, l’amendement était moins immédiatement nécessaire que prémonitoire ; le processus de succession d’un président tué dans l’exercice de ses fonctions était établi et avait déjà été appliqué à quatre reprises. Personne ne remettait en cause la légitimité de LBJ [Lyndon Baines Johnson]. Mais le 25ème amendement était visionnaire. Il envisageait des scénarios futurs dans lesquels la légitimité de la succession serait remise en question. Il prévoyait donc un mécanisme permettant de remplacer un vice-président lorsque le titulaire succède à la présidence, ce qui a été mis en œuvre moins d’une décennie plus tard avec Gerald Ford. Il prévoyait également un moyen de déclarer si un président était frappé d’incapacité, incapable d’agir en tant que président ou de se retirer. (Nous avons eu des papes kidnappés).
Je ne plaide pas en faveur de telles modifications du droit canon. Je suggère qu’il nous faut discuter de ces situations.
Prenons la question de mon tweetos. Les évêques devraient-ils partir à 75 ans, ou à 80 ans « pour ceux qui sont forts » (ou qui ont des amis papaux) ? Je n’en suis pas si sûr. La règle de Paul VI a été considérée comme une norme pratique pour la « retraite » des évêques, un moyen de changer le personnel et d’avoir des hommes dynamiques et engagés à la tête des diocèses. Mais la « retraite » est-elle la bonne façon de voir un évêque ? Est-ce que l’on est un évêque ou est-ce qu’on fait [exerce les fonctions de] l’évêque ? La théologie sacramentaire catholique affirmerait la première hypothèse. Mais si c’est le cas, devrions-nous faire la distinction entre être un évêque et exercer les fonctions épiscopales ?
Jean-Paul II est resté pape malgré sa fragilité croissante parce qu’il considérait qu’être évêque, c’était être un père spirituel. Les pères ne cessent pas d’être des pères ou même de faire des choses paternelles lorsqu’ils atteignent 80 ans. Ce qu’ils peuvent faire peut être limité, mais ce qu’ils font encore est paternel. Jean-Paul II a résisté à l’idée que l’identité et la fonction soient facilement séparables. Et je dirais que c’était sa conviction profonde, qui remontait aux années 1960 quand, dans Amour et Responsabilité, il insistait sur le fait qu’être prêtre était une « paternité spirituelle ». Si un homme ne se voyait pas comme une personne aimante donnant la vie de cette manière, il ne serait qu’un vieux célibataire observant une discipline.
Il en va peut-être de même pour François. Peut-être qu’il ne met pas autant l’accent sur la « paternité spirituelle », mais – comme Jean-Paul II – il montre la valeur continue d’une personne, en dépit de l’infirmité et de la maladie. Mais même ici, il semble qu’il faille revenir sur le point de la « paternité spirituelle ». On peut démontrer la valeur de la personne âgée et en situation d’incapacité sans qu’elle reste nécessairement dans sa position si cette position est principalement une fonction. Mais si cette position est avant tout une identité, par exemple « père spirituel », c’est une toute autre équation.
De nombreux catholiques ont été déconcertés par la démission de Benoît XVI. Faut-il renoncer à la papauté avant que Dieu lui-même ne la déclare sede vacante ?
Même ceux qui, pour des raisons de principe ou d’idéologie, étaient heureux de voir Ratzinger partir, ont trouvé comme une dissonance cognitive dans les apparitions conjointes d’un pape et d’un pape émérite. À bien des égards, Benoît s’est sagement mis à l’écart, dans la vie de prière.
Mais cela nous ramène à la question « identité versus fonction » : Sont-elles si facilement divisibles ? Soyons honnêtes : peu de catholiques s’investissent autant dans leur évêque diocésain que dans le pape. Certains ecclésiologues peuvent s’en offusquer, mais c’est ainsi et cela nous apprend peut-être quelque chose sur le sensus fidelium.
Ce que je veux dire ? Deux choses.
Primo, le fait que les gens ne pensent pas à leur propre évêque comme ils pensent au pape peut expliquer pourquoi les gens ne ressentent pas le même bouleversement lorsqu’un évêque local démissionne que lorsque le pape le fait – et, par conséquent, pourquoi ils ont plus facilement accepté la règle paulinienne de l’âge. Mais, si nous devons croire que le pape est ce qu’il est en vertu de sa primauté au sein du collège des évêques, la règle de la « retraite » devrait-elle être différente pour eux et pour lui ? Peut-être. Peut-être pas. Je pose la question. Si le pape peut « faire son choix » [pick and choose] de l’âge de 75 ans, comment ne pas tomber dans une ecclésiologie que le Vatican déclare avec insistance opposée à Vatican II : le pape en tant que PDG qui embauche/licencie les directeurs de franchise épiscopaux ?
Secundo, si (comme je le pense aujourd’hui) la différence de traitement entre l’évêque de Rome et les autres évêques est non justifiée, devrions-nous mettre les évêques au rancart parce qu’ils ont atteint un certain âge ? En disant cela, je reconnais que nous courons le risque de périodes prolongées pendant lesquelles les évêques diocésains « ralentissent » et sont moins actifs avec leur troupeau. Mais c’est également le cas de la papauté. Pourquoi est-ce un problème à Rochester mais pas à Rome ? D’autre part, un évêque de Raleigh « ralenti » peut être assisté par un évêque coadjuteur. Une telle chose serait-elle possible à Rome ? (Ou est-ce de facto ce que le vicaire papal pour Rome fait de toute façon ?
En cette année anniversaire de Nicée, il convient peut-être de se demander comment les églises orthodoxes – qui ont en fait de vrais évêques – traitent la question de l’âge, de la fonction, de l’infirmité et de la « retraite ». Je n’en sais rien.
Je ne recommande aucune ligne de conduite particulière. Mais, à ce stade de la papauté de François, alors que les cardinaux réfléchissent à l’avenir de l’Église, et à la lumière de la question de mon tweetos, je veux soulever la discussion, en notant les incohérences que nos règlements actuels mettent en évidence. Comme le 25ème amendement, il s’agit peut-être d’un moment de grâce, d’un kairos, pour réfléchir plus largement à ce que signifie la succession papale dans le monde et à l’époque où nous vivons.