Estelle Regnier a été consacrée le 5 octobre dernier dans l’ordre des vierges consacrées pour le diocèse d’Amiens. Elle a été nommée aumônier des hôpitaux d’Amiens et du centre hospitalier d’Albert, comme elle l’explique dans son témoignage mis en ligne par le diocèse.
Pour rappel, comme l’indique le diocèse de Paris sur son site,« à la différence des ordres religieux, l’ordo virginum n’a ni règles ni structures communautaires. Les vierges consacrées sont reconnues par le droit canon, à côté des moniales, religieuses, ermites et membres d’instituts séculiers : “A ces formes de vie consacrée s’ajoute l’ordre des vierges qui, exprimant le propos sacré de suivre le Christ de plus près, sont consacrées à Dieu par l’Évêque diocésain selon le rite liturgique approuvé, épousent mystiquement le Christ Fils de Dieu et sont vouées au service de l’Église.” »
Le diocèse a aussi publié l’homélie de Mgr le Stang à l’occasion de sa consécration :
“Chers sœurs et frères,
En nous retrouvant autour d’Estelle et en présence du Seigneur pour vivre cette consécration, nous sommes à la fois très heureux pour elle et très touchés car nous sentons bien qu’Estelle nous rend témoins du bel amour qui embrase toute toute sa vie. L’intitulé de la célébration – consécration dans l’ordre des Vierges – nous interroge : que se passe-t-il donc dans le cœur d’une personne qui annonce publiquement vouloir faire partie de « l’ordre des vierges » ? Non pas vœu de pauvreté ou d’obéissance, au sein d’une vie communautaire comme habituellement dans la vie religieuse. Mais l’engagement pur et fort à demeurer dans la virginité, à se donner tout entier et par amour, corps et âme, âme et corps, à celui que son cœur aime. Estelle se propose à l’Église pour que soit reconnu définitivement ce qui anime sa vie depuis déjà longtemps, le fait qu’elle elle s’est réservée pour le Christ et lui seul. Elle s’engage au cœur de cette église du Cœur Immaculée de Marie, devant l’autel qui représente le Christ, en présence de l’évêque diocésain qui accueille ce qu’elle se propose d’être jusqu’à sa mort, pour le rayonnement de l’Église tout entière et de l’Évangile qu’elle annonce. Nous pressentons que résonne en vous, chère Estelle, l’exclamation émerveillée de Sainte Thérèse de Lisieux : « Ô Jésus, mon amour… ma vocation, je l’ai enfin trouvée, ma vocation c’est l’amour… (…) Dans le cœur de l’Église, ma mère, je serai l’amour… ainsi je serai tout… ainsi mon rêve sera réalisé ».
La lecture du cantique des cantiques nous a déjà mis dans l’ambiance : « l’amour est fort comme la mort, la passion implacable comme l’abîme, ses flammes sont des flammes de feu ». Paroles d’une femme amoureuse à son Bien-aimé. Paroles souvent lues durant les célébrations de mariage. Car, de fait, l’amour n’est-il pas, d’abord, celui d’un homme et d’une femme. Soyons réalistes. Aussi, la prière de consécration nous précisera que la consécration n’est pas une fuite du mariage, en disant : « C’est l’Esprit Saint, en fait, qui suscite au milieu de ton peuple (Seigneur), des hommes et des femmes, conscients de la grandeur et de la sainteté du mariage, et capables pourtant de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant à la réalité qu’il préfigure : l’union du Christ et de l’Église ». Voilà donc la vocation d’Estelle et des vierges consacrées dans l’Église : Vivre dès maintenant, en votre vie, ce que le mariage annonce : l’union du Christ et de l’Église. Voilà qui nous dépasse, et nous paraît un peu fou, mais peut-il y avoir un amour vrai sans un peu de folie (tout en restant raisonnable, nous dit St Paul) ? Ce qu’il y a de fou dans le monde, ce qu’il y a de faible, voilà ce que Dieu a choisi…
L’Ancien Testament jugeait absurde de rester célibataire et malheureux de ne point enfanter. Jésus osa pourtant valoriser le célibat, le présentant non pas comme une peine ou une malédiction mais comme choix de vie, pour témoigner que le Royaume de Dieu est tout proche. Nombre de ses disciples adoptèrent ce célibat pour le Royaume, devenant libres de toute attache conjugale et familiale, et devenant ainsi itinérant avec Jésus, joyeusement car sans joie, – il n’y a pas de témoignage authentique –. Des siècles plus tard, ce célibat est même devenu la règle de la vie des prêtres dans l’Église latine. Vouloir être prêtre de Jésus-Christ oui, mais en lui donnant tout. Dans votre cas, Estelle, il n’est pas question de recevoir les charges et missions liées au sacerdoce. Vous restez une baptisée, non ordonnée pour un ministère, une baptisée qui dit avec toutes les énergies de sa vie ce que disait Thérèse d’Avila : « Mon Bien-aimé est à moi » ou ce que disait Saint Paul, lui aussi célibataire : « Pour moi vivre, c’est le Christ ». Certains peuvent ne pas comprendre cela et trouver cet engagement dérangeant, tant ce don intégral et exclusif nous dit que Dieu est proche, qu’il touche les cœurs, qu’il appelle à se donner à lui par amour, car Dieu est amour et que l’amour seul est digne de foi. Votre engagement est vécu au plus intime, Estelle, et nous vous accompagnons avec pudeur et délicatesse. Mais il est aussi une provocation publique et une puissante contribution à la mission de l’Église, non pas par ce que vous faites, mais par ce que vous êtes.
Ce désir de consécration dans la virginité s’est développé dès les débuts du christianisme de façon assez spontanée, en fait. Agathe, Lucie, Agnès, Cécile… et tant d’autres, connues parce que martyres ou inconnues. Des jeunes femmes qui, dès les premiers siècles chrétiens, n’ont voulu connaître qu’un seul amour : celui de Jésus, et qui lui sont restées fidèles jusque dans la torture, rayonnant de lui dans la société de leur temps, bien moins accueillante que le nôtre au témoignage chrétien. Cet engagement dans l’ordre des vierges s’est peu à peu effacé, à mesure que croissaient les communautés, monastères, béguinages ou congrégations religieuses. Les vierges consacrées des premiers siècles vivaient surtout en famille. Les religieuses se sont ensuite établies en communautés, sous la conduite de supérieures, souvent dans des couvents. Mais à la faveur du Concile Vatican II, qui a valorisé l’arbre des vocations et des charismes que l’Esprit Saint inspire, des femmes ont fait renaître cet ordre des vierges : elles voulaient, par amour de Jésus, lui consacrer leur vie, sans forcément vivre en communauté, mais en restant fidèles à servir leur église diocésaine, dans la charité et la diversité des engagements baptismaux et de la « symphonie des vocations » de chacun des membres du corps qui est l’Église. Des femmes de tous pays ont fait renaître cette vocation, chacune avec ses talents personnels, assumant leur propre subsistance par leur profession, et témoignant de leur don au Christ au milieu du monde. Je suis certain, Estelle, que votre engagement d’aujourd’hui, parle à d’autres femmes autour de vous, désireuses, elles aussi à consacrer toutes les énergies de leur vie, par amour du Christ et de leur Église, sans forcément devenir religieuse.
Vous avez voulu, pour cette célébration, que nous lisions en ce jour l’Évangile de Saint Jean qui nous fait contempler la Vierge Marie au pied de la Croix, recevant du Christ la mission d’accueillir son disciple – c’est-à-dire, chacun de nous -, comme un fils, et nous invitant tous à reconnaître en Marie, celle dont il nous dit : Voici ta mère. La Vierge Marie sera votre conseillère, votre guide, votre sœur et votre mère sur ce chemin. Jeune femme vierge ouverte au don de Dieu, sa vie a été féconde : elle a donné le Christ au monde. Elle a donné Dieu au monde. Sans engagement dans l’acte sexuel, sa vie a eu une fécondité extraordinaire et son oui a permis à notre terre d’accueillir le Sauveur. C’est le « mystère si mystérieux » de notre foi. Marie s’est donnée pour être avec son Fils jusqu’au pied de la Croix, et pour être avec l’Église en ses commencements. Que son ouverture à la grâce et son amour sans limite vous inspirent.
A la suite de Saint Ambroise de Milan, et de tant d’autres évêques, je vais dans un instant accueillir, chère Estelle votre sanctum propositum, la sainte proposition que vous me faites d’accueillir votre engagement à être vierge consacrée. Vous vous sentez appelée et prête à le vivre. Un groupe de chrétiens vous a accompagnée ces derniers mois, et l’a jugé recevable. Dans un instant, des signes parleront d’eux-mêmes : La prostration pendant la litanie des saints du ciel, le voile que vous avez voulu porter, l’alliance à votre doigt, le livre de la Prière des Heures que vous recevrez, le cierge qui vous sera remis, la prière de consécration que je prononcerai, et enfin l’eucharistie qui nous rappellera le sacrifice du Christ et le don de nous-mêmes que nous sommes appelés à vivre à notre tour en vertu du baptême. Tout cela va nous faire entrer davantage dans la profondeur de votre engagement. Tout cela nous ramènera aussi à notre propre engagement de baptisés, d’époux ou épouses, de consacrés ou de ministres ordonnés… Tout nous ramènera à nos fidélités, et peut-être aussi à nos échecs ou à nos sentiments d’avoir manqué à un appel reçu. Et nous serons ainsi humblement ramenés aux appels de Dieu en nos vies, ramenés doucement à la certitude que sa miséricorde est plus grande que tout. Il est l’Époux, et avec toute l’Église, nous sommes l’Épouse, chacun jouant à sa manière et dans son histoire, sa partition d’ami de l’Époux, reconnaissant de l’amitié sans limite de Jésus pour nous, Lui, notre unique Seigneur et Sauveur. Amen.
+Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens