Magnus Striet (né en 1964) est un théologien catholique allemand. Il est professeur de théologie fondamentale à l’université de Fribourg-en-Brisgau. Il a été interrogé par Katholisch.de, le portail d’information de l’Eglise catholique en Allemagne :
L’année prochaine, on célébrera un grand jubilé, les 1.700 ans du Concile de Nicée. Il faut bien comprendre que l’essence de la foi chrétienne, qui s’est rapidement répandue dans l’Empire romain, n’était pas du tout définie. Quelle est la signification de la personne de Jésus ? Que signifie être baptisé, que signifie être racheté ? Les pères conciliaires ont tenté à l’époque de trouver des formulations qui constituent aujourd’hui encore une sorte de « consensus minimal » de la foi chrétienne. Mais celle-ci est également controversée.
Quels sont les principes centraux de la confession de foi ?
L’affirmation centrale est la suivante : Dieu lui-même s’est fait homme ; Jésus, le Fils, est consubstantiel au Père. Cette affirmation a été précédée de débats théologiques intenses. J’ai toutefois l’impression que cette conviction fondamentale s’estompe de nouveau à l’heure actuelle.
Comment en arrivez-vous à cette impression ?
Les églises se préoccupent beaucoup d’elles-mêmes et des scandales qu’elles produisent. Les questions théologiques centrales ne sont guère discutées. Et le fort anthropocentrisme de la foi chrétienne irrite : peut-on sérieusement croire que Dieu, après 13,8 milliards d’années d’existence de l’univers, s’est lui-même fait homme pour rencontrer l’homme en tant qu’homme ? Le doute ronge. L’homme semble jouer un rôle secondaire plutôt négligeable dans l’univers infini. En même temps, selon nos connaissances, il est en tout cas sur Terre la seule forme de vie capable d’agir de manière aussi rationnelle.
Dans votre livre, vous voulez rendre la confession de foi accessible au présent. Comment cela se passe-t-il par exemple avec la déclaration sur Dieu en tant que « créateur du ciel et de la terre » ?
Pour pouvoir penser la liberté absolue de Dieu, on en était venu, dans l’ancienne Église, à parler d’une création à partir du néant. Le monde n’existe que parce que Dieu l’a voulu. L’astrophysique moderne part certes du principe que le big bang a eu pour base un vide – mais : ce n’était justement pas un « rien ». Au contraire, ce vide existait sous la forme d’une densité d’énergie inimaginable. La question théologique est de savoir si l’on peut situer Dieu par rapport à ce vide de manière à ce qu’il reste toujours un créateur libre. Le Dieu libre, tel que le veut déjà la Bible, est donc le mot de nostalgie de l’homme par excellence, car seul un Dieu libre peut s’intéresser à l’homme.
Comment interprétez-vous l’idée que Jésus, en tant que fils de Dieu, est mort sur la croix pour nous ?
Je prends résolument congé de la sotériologie classique, c’est-à-dire de la doctrine selon laquelle Dieu devait expier ses péchés sur la croix en lieu et place des hommes. Mais il serait merveilleux que Dieu ait eu dès le début la volonté, au moment où une vie semblable à la sienne se manifeste dans son univers, de partager cette vie avec celui qui est à son image et de le rencontrer. C’est aussi pour moi le message fondamental de Noël : Dieu risque tout pour gagner à lui son vis-à-vis libre et pour pouvoir être Dieu pour lui, l’homme.
Dans la Connaissance de la foi, il y a encore d’autres affirmations sur lesquelles certains croyants d’aujourd’hui ont certainement des doutes, par exemple celle de la résurrection et du Saint-Esprit.
Cette année, nous fêtons le 300e anniversaire d’Emmanuel Kant. Kant a parlé du fait que celui qui parle de Dieu et de la foi doit avoir la « probité » de « reconnaître ouvertement ses doutes ». En effet, une foi qui n’a jamais été confrontée au doute doit se demander si elle s’est fermée aux demandes qui fermentent depuis des siècles. Cela concerne en particulier le cœur de la foi chrétienne, la foi en la résurrection. Celle-ci exprime l’espoir que Dieu n’a pas seulement ressuscité le crucifié pour une nouvelle vie. Mais aussi que cet événement est le fondement de la promesse de Dieu selon laquelle il ne veut pas qu’un être humain soit définitivement livré au gouffre abyssal de la mort. C’est une foi magnifique.
Et qu’en est-il du Saint-Esprit ?
Le discours sur le Saint-Esprit est peut-être le plus compliqué qui soit. J’entends par là la présence de Dieu dans le monde, dans la société, dans les conditions sociales. Celui qui se réfère au Saint-Esprit doit s’orienter vers le Jésus historique, le juif de Nazareth, et vers ce qu’il a annoncé comme étant l’esprit de Dieu. Il ne s’agissait pas en premier lieu d’une vénération cultuelle de Dieu, mais de justice dans les conditions sociales, afin que ceux qui vivent en marge de la société gagnent plus de vie, ce qui correspondrait à la présence permanente du Dieu ami de l’homme.
Face à une foi en mutation, est-il envisageable que la confession de foi soit complétée ou modifiée, comme par exemple le Filioque ?
Je ne le vois pas pour l’instant. Je ne pense pas non plus que ce soit nécessaire. Ce qui est à mon avis beaucoup plus intéressant en ce qui concerne la capacité de la foi chrétienne à se transmettre aux générations suivantes, c’est de savoir s’il y a un débat vivant sur la question de savoir si l’on peut encore croire ce que le Credo prescrit. Miser ici sur un magistère qui pense pouvoir donner des directives autoritaires me paraît illusoire. Si les Eglises ne veulent pas se contenter à l’avenir d’assumer une fonction de formation de la communauté comme les clubs sportifs et les groupes de carnaval, elles devront mettre en évidence le cœur de leur marque.
Dans votre livre, vous faites référence au philosophe Hans Blumenberg. Quel est son lien avec la confession de foi ?
Hans Blumenberg est l’un des intellectuels les plus intéressants du 20e siècle. Sa mère était juive, son père catholique. A moitié juif, il a échappé de justesse aux nazis. Après des études approfondies dans la tradition métaphysico-théologique classique du Moyen-Âge, il devient agnostique dans les années 50 et l’un des critiques les plus virulents de la théologie chrétienne traditionnelle. C’est surtout la question de la théodicée qui l’a irrité. Que faut-il penser d’un Dieu pour qui rien n’est impossible, même la naissance d’une vierge, et qui laisse Auschwitz se produire ? C’est pourquoi j’ai choisi Blumenberg comme partenaire de discussion dans mon livre, afin de voir si une interprétation de la confession de foi peut également faire ses preuves par rapport à ses demandes.