Dans Res Novae, l’abbé Claude Barthe décrypte le sacro-saint dialogue interreligieux, nouveauté de Vatican II. Il souligne notamment les résultats réels de ce dialogue :
[…] Il a accentué le fait qu’un nombre important de catholiques versent dans le relativisme sentimental et se conforment à l’air du temps. En Occident, le religieux « dur » disparaît à grande vitesse, sauf en ce qui concerne l’islam dont la présence y est toujours plus forte. Mais le religieux qui subsiste dans l’ultra-modernité est individualisé, désinstitutionnalisé et émietté à l’extrême à l’intérieur même de chaque groupe religieux. Il est devenu une sorte de religieux diffus que chacun organise à sa guise et qui convient à la limite aux sans religion[7].
Sans vraiment d’exception. L’affirmation classique que les États-Unis sont une démocratie laïque très religieuse a de moins en moins de pertinence. Les jeunes moins de 40 ans sont moins pratiquants, toujours plus individualistes, y compris chez les évangélistes qui ont constitué une part non négligeable de l’électorat de Donald Trump et qui sont de plus en plus, chez les jeunes, des évangélistes de tradition plus que de pratique. De nombreux protestants américains abandonnent toute religion, de même que beaucoup de catholiques, même si le déclin du catholicisme est masqué par l’arrivée d’immigrés latinos. La Russie elle-même, plus occidentale qu’on ne le croit, se sécularise et s’individualise. La religion orthodoxe, qui a retrouvé une grande puissance et visibilité, n’exerce cependant pas une grande influence sur la société, notamment en ce qui concerne la morale familiale. Et la pratique religieuse est étonnamment basse : alors que Pâques est une fête très importante pour les Russes, 2% seulement d’entre eux ont participé aux célébrations pascales l’an passé, en 2023.
Et cependant, le dogme catholique résiste, aussi peu défendu qu’il soit par ses gardiens hiérarchiques, de même que les croyances des autres religions. Le Pape François d’ailleurs le relève : « On pense parfois que la rencontre entre les religions consiste à rechercher à tout prix un point commun entre des doctrines et des professions religieuses différentes. En réalité, il peut arriver qu’une telle approche finisse par nous diviser. Car les doctrines et les dogmes de chaque expérience religieuse sont différents[8]. »
Ainsi, malgré le relativisme des déclarations de François à Abu Dhabi, à Jakarta et à Singapour, la conscience des différences s’accroît. Le dialogue ne sert donc à rien ? Certains théologiens disent même qu’il est radicalement impossible, tel Marc Boss, un protestant qui, dans « Plaidoyer pour un inclusivisme paradoxal »[9], estime que les théologiens des religions doivent en définitive admettre le caractère purement intra-religieux de leur démarche : ils ne peuvent parler des autres que s’ils veulent bien appliquer aux autres traditions les constructions de pensées qui leur sont spécifiques. Dans le même sens, le P. Remi Chéno, dominicain, cherche à dépasser le pluralisme (toutes les religions sont des chemins divers qui mènent vers Dieu) par une voie dans laquelle les croyants des diverses traditions conviennent de leurs différences indépassables, avec des visions absolument différentes les unes des autres (y compris les mots Dieu, dieux, divinité, qui résistent à une identification d’un monde religieux à un autre)[10].
Justement, si l’Occident est une preuve pour la dissolution du religieux dans le relativisme, l’Asie pourrait être le lieu de réaffirmation de différences indépassables. Il est vrai que le réveil des intransigeances religieuses et de leur prosélytisme – y compris pour le bouddhisme sous la forme de conquête syncrétiste qui lui est spécifique – est en bien des lieux impressionnant. En Inde, où l’hindouisme, religion dominante qui compte aujourd’hui 74,8 % d’une population de 1,40 milliard d’habitants, les dernières élections législatives gagnées par le premier ministre Narendra Modi, chef de file du parti nationaliste hindou BJP (Parti du Peuple Indien), ont mis en lumière l’influence décisive d’un hindouisme agressif et violent, particulièrement en direction de l’islam. Pour la Chine, Claude Meyer[11] parle aussi d’un « renouveau éclatant » du spirituel, du bouddhisme, du christianisme et du monde immenses des religions populaires, tous bénéficiant désormais d’un libéralisme très encadré par le Parti. Il est d’ailleurs possible que les concessions religieuses du Parti soient dues à l’inquiétude provoquée par un islam combatif et parfois terroriste.
Jusqu’au catholicisme qui se soutient admirablement, aussi miné qu’il soit par le libéralisme de l’ultra-modernité et accessoirement par le dialogue qui tente de s’y accorder : en Corée du Sud, il y a eu une augmentation de 50% du nombre des catholiques de 1999 à 2018. Et la Corée du Nord renforce « négativement » cette donnée dans la mesure où elle est en tête du classement sinistre des pays persécuteurs du christianisme, avec emprisonnements, tortures, exécutions. Pour le monde entier, les statistiques font état de plus de 360 millions de chrétiens persécutés, chiffre qui ne cesse d’augmenter : 1 chrétien sur 7 est persécuté sur la planète, 1 sur 5 en Afrique et 2 sur 5 en Asie et Moyen-Orient, où la persécution est telle que le christianisme est en train de disparaître des terres qui l’ont vu naître. Bientôt en Europe ? En Europe déjà, par la marginalisation agressive, la dictature des idéologies dominantes, les agressions et les profanations[12]. Comme depuis l’origine, le caractère absolu du catholicisme s’affirme dans la souffrance et dans le sang de la troupe innombrable des martyrs qui pénètrent le ciel de gloire.