Aux Assises de la tradition le 12 octobre dernier, Jean de Taurrier, président de Notre-Dame de Chrétienté, a donné la dernière conférence qui est publiée dans le dernier numéro de l’Appel de Chartres (n°281, Octobre 2024) :
Vous ne serez pas étonnés de m’entendre conclure ces Assises en vous parlant du dernier pèlerinage traditionnel de chrétienté de Pentecôte. Ce pèlerinage donne un éclairage, me semble-t-il, intéressant sur notre journée, ses interventions et la dimension missionnaire du monde traditionnel.
L’année 2024 aura été exceptionnelle pour Notre-Dame de Chrétienté avec des inscriptions terminées un mois avant le samedi de la Pentecôte, une première pour notre 42ème pèlerinage :
– 18 000 inscrits marcheurs, près de 7 000 non marcheurs (nous les appelons anges gardiens), 371 chapitres (en progression de 17%), près de 2 000 pèlerins étrangers.
– Nous aurions pu être beaucoup plus nombreux mais nous gérons la progression numérique en accord avec les pouvoirs publics.
– L’intérêt autour de ce pèlerinage se constate également par le nombre des internautes assistant à la messe du lundi (plus de 30 000) ou par l’audimat de C News qui retransmettait la messe du dimanche de Pentecôte (avec des chiffres très élevés, très supérieurs aux audiences habituelles).
Tout cela montre bien que la liturgie tridentine répond aux besoins spirituels de nombreux catholiques. Au-delà de la liturgie, ces catholiques viennent chercher une spiritualité, une formation, un enseignement, des rencontres avec des prêtres bien formés. Il est courant désormais de parler des pédagogies traditionnelles de la foi pour décrire cet « éco-système » comme dit le père Danziec.
Il serait peut-être bon de s’interroger pourquoi ces familles, ces pèlerins souvent jeunes font de tels efforts pour venir à ce pèlerinage, parfois pour les provinciaux après un voyage exténuant en car le vendredi soir qui recommence le lundi soir.
Vous le savez bien, Notre-Dame de Chrétienté subit de fortes pressions, souvent des incompréhensions, parfois des dénigrements.
Pour illustrer ces propos, je vous donnerai les réactions des évêques en charge du suivi des communautés ex Ecclesia Dei (et donc de Notre-Dame de Chrétienté) après le pèlerinage.
Je m’étonne d’ailleurs que les personnalités choisies nous soient aussi hostiles. En général, on choisit pour apaiser les différends des personnes bien
disposées, connues pour leur douceur de caractère, leur aménité. Il n’aurait pas été illogique de choisir des évêques ayant montré un intérêt quelconque pour les sujets qui nous intéressent ou de l’empathie pour les personnes attachées à la Tradition.
Ce n’est pas ce qui se passe dans notre Eglise synodale !
Les excellences ayant été choisies agissent comme des pères Fouettard d’un genre particulier puisqu’ils insistent pour être congratulés par les enfants maltraités.
Nos excellences, après le pèlerinage, ont bien voulu nous faire part ce qu’elles pensaient de cet événement.
Rassurez-vous, il ne s’agit pas de se réjouir de la jeunesse de nos pèlerins (la moitié a moins de 20 ans), de l’augmentation impressionnante du nombre de non pratiquants, de l’audience exceptionnelle sur CNEWS, de la venue du cardinal Müller ou même tout simplement de l’absence d’accidents corporels lors d’un des événements majeurs de l’Eglise.
Trois reproches nous ont ainsi été faits même si je suis persuadé, soit dit en passant, que pas une de nos excellences n’avait lu notre livret de pèlerinage, écouté les méditations, les homélies (dont celle très belle du cardinal) et encore moins les différentes prises de paroles.
1) Le premier reproche est un péché mortel, à rajouter certainement à la liste des nouveaux péchés indiqués récemment par le Saint Siège : nous n’avons pas de messes célébrées selon la forme ordinaire pendant le pèlerinage.
2) Le second reproche vient de notre « mauvaise théologie des fins dernières ». Le thème 2024 était, en effet, « Je veux voir Dieu » avec des méditations portant sur les fins dernières. Derrière cette soi-disant « mauvaise théologie », nous ferions peur à nos pèlerins en leur parlant de péchés,
d’enfer et de purgatoire.
3) Enfin, troisième reproche : nous ne devrions plus parler de « chrétienté » ce qui montre – toujours selon nos excellences – une mauvaise théologie cette fois-ci « politique » – et une incompréhension des rapports Eglise-Etat de la relation entre l’ordre naturel et surnaturel.
1) La liturgie tridentine :
Notre pèlerinage depuis 42 ans convertit grâce à Dieu, d’abord bien sûr, mais en utilisant la sacralité, la force, la clarté théologique lumineuse de la messe tridentine. Cette liturgie est intrinsèque à notre pèlerinage, essentielle à son apostolat. Vouloir imposer la messe Paul VI lors de notre pèlerinage revient à se désintéresser des principes fondateurs de Notre-Dame de Chrétienté ou bien à vouloir modifier sa charte fondatrice. Selon eux, ne pas avoir de messe Paul VI revient à ne pas aimer le pape, à ne pas vouloir « faire communion ».
La logique qui nous est servie se décline en 3 temps :
1er temps : Le catholique obéit au pape,
2nd temps : Le pape n’aime pas la messe tridentine,
3ème temps : Donc, le catholique ne doit pas aimer la messe tridentine.
Notre-Dame de Chrétienté ne force personne, clercs ou laïcs, à pèleriner vers Chartres. Un catholique n’est pas obligé de faire ce pèlerinage à la Pentecôte. En revanche, si ce catholique veut devenir pèlerin, qu’il soit clerc ou laïc, il doit accepter son cadre, sa spiritualité, sa pédagogie. Tout ceci semble évident, n’est-ce pas ?
Dans le fond nos détracteurs ne veulent pas (ou ne peuvent pas idéologiquement) accepter qu’un pèlerin ou un prêtre, veuille se sanctifier (ou se convertir) grâce à la messe traditionnelle.
2) Une mauvaise théologie des fins dernières :
En écoutant les critiques qui nous sont faites sur notre théologie des fins dernières, j’avais l’impression d’un retour dans le passé, les reproches exprimés n’étant que le retour de vieux débats d’un autre siècle. Ces débats ne sont pas sans intérêt et je ne méprise pas du tout ces questions mais est-il bien raisonnable d’y revenir de manière quasi obsessionnelle.
Dans les années soixante-dix, quatre-vingt, Jean Delumeau, historien des religions, célèbre pour son ouvrage « La peur en Occident », avait forgé le concept de « pastorale de la peur » et voulut réformer l’enseignement trop centré, disait-il, sur l’enfer, le purgatoire, le péché. Il a eu une influence considérable sur les catéchèses de ces années dont nous voyons les fruits aujourd’hui.
Le professeur Guillaume Cuchet nous a récemment expliqué dans ses ouvrages que notre monde avait cessé d’être chrétien en partie après l’abandon post-conciliaire de l’enseignement sur les fins dernières.
« Si tout le monde va au paradis et si le péché n’existe pas, pourquoi se confesser et pourquoi aller à la messe, à quoi sert l’Eglise et l’Incarnation ? » pense le catholique du bout du banc avec une logique un peu lourde mais implacable.
Il me semble que ce reproche sur notre « mauvaise théologie des fins dernières » n’est qu’un recyclage pavlovien des débats des années soixante-dix.
3) Une mauvaise théologie politique :
Quand nous parlons de chrétienté, nous ne demandons pas un retour au Moyen-Âge ou une quelconque théocratie. Nous faisons nôtres les mots de Gustave Thibon dans la préface de Demain la Chrétienté de Dom Gérard (je cite) : « Dans la chrétienté, Dieu descend à la portée de nos yeux et de nos mains. Il s’insère dans les patries et les cultures. L’infini se localise, l’éternel épouse les rythmes du temps. »
Nous voulons œuvrer et prier pour que la religion catholique imprègne de la douce loi de Dieu les institutions, les lois, la société, les mœurs. Dit autrement, nous croyons avec saint Thomas que Dieu se plaît à étendre son règne par les causes secondes et qu’il n’y a pas de christianisme sans chrétienté.
Le Christ n’a pas voulu de royaume temporel mais Sa grâce passe par nous. Quas Primas (l’encyclique de Pie XI de 1925 dont nous fêterons en 2025 son centenaire au pèlerinage) garde toute son actualité en nous disant que « le Christ veut régner sur nos esprits, nos intelligences et nos volontés ».
« La chrétienté est le développement naturel de la sainteté » disait le père Calmel et c’est bien parce que nous avons la vie théologale en nous qu’elle débordera dans la vie temporelle et la christianisera.
En disant cela, nous ne faisons que rappeler très classiquement le Catéchisme catholique et le Magistère constant de l’Eglise, malheureusement peu enseignés de nos jours. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique de 1992 rappelle au n°2105 (que nous aimons particulièrement à NDC) que (je cite) « le devoir de rendre à Dieu un culte authentique concerne les hommes comme les sociétés ».
Alors, pourquoi ce mauvais procès ? Pourquoi ces incompréhensions ?
Là aussi, mon explication sera très simple.
Cette fois-ci, il faut remonter aux années trente (en 1926). L’Action Française de Charles Maurras était condamnée par Pie XI pour une vision naturaliste de la politique. Je constate que pour nos évêques formés dans les années soixante-dix/quatre-vingt, leur « logiciel de lecture » (comme on dit aujourd’hui) reste bloqué et associé dans un réflexe (je me répète) pavlovien « Traditionalisme = Intégrisme = Notre-Dame de Chrétienté = Maurras ».
Si demain nous voulons commencer à nous comprendre et à nous parler, il serait utile de guérir de ces conditionnements et préjugés.
Y a-t-il une fatalité à ces mauvaises relations épiscopales en France ? Pas toutes les relations épiscopales, Dieu soit loué ce qui me permet de remercier ici les évêques qui restent bienveillants et charitables. Que demandons-nous ? Nous demandons simplement à faire l’expérience de la Tradition. Est-ce intolérable dans notre Eglise synodale ?
Combien de temps encore va-t-on devoir entendre les couplets « Delumeau/Maurras » et ne pas pouvoir se parler normalement !
En quoi nos critiques contredisent-elles l’article 212 §2 du Code de droit canonique qui précise que (je cite) « Les fidèles ont la liberté de faire connaître aux Pasteurs de l’Église leurs besoins surtout spirituels, ainsi que leurs souhaits. »
De nombreux fidèles se sanctifient grâce au rite tridentin, rite millénaire de l’Eglise latine. Comment peut-on accepter que l’Eglise persécute de nos jours des prêtres dans certains diocèses français tout en encourageant au même moment les rites amazoniens ou zaïrois ? Qui comprend encore ces positions ?
J’espère, et je pense, que des manifestations comme ces Assises aideront à apaiser les esprits en permettant d’entendre la voix de ceux que l’on ne veut pas écouter dans l’Eglise.
L’Eglise n’a jamais eu peur des discussions, des controverses théologiques. Pourquoi ne pas inviter lors de nos discussions de l’an prochain des contradicteurs qui seraient disposés à débattre avec nous ? Pourquoi ne pas réfléchir à la proposition de la Fraternité Saint Vincent Ferrier de créer une circonscription ecclésiastique pour l’ancien rite latin pour les fidèles attachés aux pédagogies traditionnelles ? Ces sujets, et il y en a bien d’autres, méritent des réflexions et des discussions. Je vois nos Assises comme ce lieu de discussions dont nous avons grandement besoin dans l’Eglise.
Dans l’adversité actuelle nous ne manquons ni de courage, d’espérance ou d’obstination avec à l’esprit ces mots de Charles Péguy que nous aimons particulièrement sur la route de Chartres « Demander la victoire et ne pas vouloir se battre, je trouve que c’est mal élevé ».
Demandons également au Bon Dieu de nous aider à toujours rester charitables dans nos combats terrestres pour la plus grande gloire de Dieu.
Je vous remercie de votre attention en cette fin de journée.