Dans le dernier numéro de l’Appel de Chartres, un des article est consacré à Noël : « L’exigence d’un trône de paille. Quelle est donc cette paux qu’annonçaient les anges ? » par un prêtre de l’Institut du Christ Roi.
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » (Lc 2,14) Chaque année, la liturgie de Noël fait entendre cette proclamation angélique. Mais ses termes sont rarement pris au sérieux. La paix promise à Bethléem n’est ni sentimentale ni consensuelle ; elle procède d’un ordre : celui du règne de Dieu fait homme.
L’actualité contemporaine, marquée par l’instabilité, la violence diffuse et l’angoisse sociale, manifeste tragiquement le danger spirituel que Pie XI dénonçait comme la « peste du laïcisme » (Quas Primas, §18). En prétendant bâtir la paix sur l’exclusion de Dieu, les nations ont perdu jusqu’au sens même de ce mot. Le mystère de Noël, loin d’être une parenthèse attendrissante, vient juger cette illusion.
I. L’Incarnation, fondement de la royauté du Christ
La nuit de Noël manifeste au monde le dogme de l’Incarnation : « Le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14). En Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, la nature humaine est assumée par la nature divine. Cette union hypostatique fonde la Royauté du Christ comme un droit réel et universel, selon l’ordre même voulu par Dieu (saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, q. 59, a. 4).
Pie XI enseigne avec clarté que le Christ est Roi « par nature et par droit » (Quas Primas, §7). Parce qu’Il est Dieu, Il possède une souveraineté absolue sur toute créature ; parce qu’Il s’est incarné pour le rachat du genre humain, cette souveraineté s’applique à l’universalité des âmes souillées par le péché originel et à toutes leurs sociétés. Le règne du Christ n’est donc pas relégable à la sphère privée, comme beaucoup le prétendent : « il n’y a lieu de faire aucune différence entre les individus, les familles et les Etats ; car les hommes ne sont pas moins soumis à l’autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée. Il est l’unique source du salut, de celui des sociétés comme de celui des individus » (ibid., §13).
En refusant cette royauté, le laïcisme prétend instaurer une neutralité pacifique ; mais cette prétendue neutralité constitue déjà un choix moral et religieux implicite, celui d’un ordre social organisé comme si Dieu n’existait pas, donc organisé contre Lui : « qui n’est pas avec Moi est contre Moi » (Mt 12, 30).
En réalité, il désagrège l’ordre social en supprimant sa fin ultime. « Les maux qui accablent aujourd’hui l’humanité proviennent en grande partie de ce que la plupart des hommes ont rejeté Jésus-Christ et sa très sainte loi, tant de leur vie privée que de leur vie publique » (Quas Primas, §1). La perte de l’ordre social véritable entraîne nécessairement la perte de la paix.
II. La paix moderne mise à l’épreuve de Bethléem
Le monde contemporain invoque sans cesse la paix, mais il en réduit la portée à une coexistence minimale. Le vivre-ensemble devient un simple vivre côte à côte, où l’absence de conflit tient lieu d’harmonie. Cette paix de surface n’est qu’un équilibre précaire entre volontés désaccordées.
La paix annoncée à Bethléem est d’un autre ordre : elle ne s’accommode pas du désordre, elle le juge et le redresse. Elle est promise aux « hommes de bonne volonté » (Lc 2,14). Or cette bonne volonté n’est pas une disposition vague ; elle est une volonté droite, informée par la charité infusée. Elle suppose une orientation effective de la vie vers Dieu.
De même, la paix chrétienne est d’abord intérieure. Selon la tradition, elle est la tranquillité de l’ordre (saint Augustin, De civitate Dei XIX, 13). Elle désigne l’état d’une conscience, éclairée par la grâce, qui cherche sincèrement à demeurer unie à Dieu. De cette paix intérieure découle la charité envers le prochain, puis, par rayonnement, un ordre social plus juste.
C’est dans ce sens que Pie XII pouvait affirmer avec force, à l’heure où la guerre s’apprêtait à déferler sur l’Europe : « La reconnaissance des droits royaux du Christ et le retour des individus et de la société à la loi de Sa vérité et de Son amour sont la seule voie de salut. » (Summi Pontificatus, 1939). Toute paix qui prétend s’établir en dehors de ce règne demeure illusoire.
III. Se laisser gouverner par l’Enfant-Roi — condition de toute paix véritable
S’ouvrir au mystère de Noël ne consiste pas seulement à contempler l’abaissement de Dieu ; osons-nous nous demander, en vérité, si notre cœur est prêt à Le laisser régner sur chacune de nos décisions ? Il s’agit de consentir à Son règne en nous. Accueillir l’Enfant de la crèche, c’est accueillir Sa loi d’amour et lui permettre de gouverner toutes les dimensions de notre être.
Le Christ veut régner sur nos intelligences, pour les conformer à la vérité ; sur nos volontés, pour les affermir dans le bien ; sur nos cœurs, pour les dilater par la charité ; sur nos corps mêmes, pour en faire des instruments de justice (Quas Primas, §22). Là où ce règne est effectif, la paix promise par les anges commence à s’enraciner dans notre âme.
Cette paix n’est ni l’absence de combat ni la suppression de la croix. Elle est la certitude profonde de marcher, malgré la fragilité humaine, dans l’amitié de Dieu. En cultivant cette amitié, notamment par une pratique généreuse de l’oraison, nous pourrons laisser l’Esprit-Saint convertir notre cœur, et faire de nous de véritables artisans de paix, auxquels le Christ promettra sur la montagne : « Ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9) : grâce magnifique de l’adoption filiale dont parlait saint Paul (Rm 8, 15) !
En définitive, le mystère de Noël est pour tout baptisé un appel à imiter les bergers et les mages pour s’agenouiller auprès d’un Nouveau-né couché sur de la paille ; s’agenouiller pour Lui consacrer notre personne, notre famille, notre société, conscients que la voie qu’Il nous propose passe par la Croix et le renoncement à nous-mêmes. Si nous y sommes prêts, cette paix promise par les anges pour les hommes de bonne volonté ne restera pas lettre morte, mais se réalisera dans nos âmes et, par notre fidélité, dans toutes les composantes de notre société.
Christus vincit,
Christus regnat,
Christus imperat.
