Sur les réseaux ces jours, on peut relire le texte de l’appel du RP Paul Donceur à Edouard Herriot en octobre 1924.
En août 1914, le gouvernement suspend les lois anti-congrégationnistes de 1901 et 1904 pour permettre le retour des exilés, ainsi ce sont plus de 9000 religieux qui seront mobilisés pendant la Grande Guerre (Plus de 1500 perdront la vie, 1200 seront blessés). Mais en juin 1924, le président du Conseil, Edouard Herriot rétablit ces lois iniques entrainant notamment l’expulsion des Congrégations. Quelques mois plus tard, RP Paul Donceur, jésuite et aumônier militaire plusieurs fois décorés, remonte au front avec cet appel historique « Pour l’honneur de la France, nous ne partirons pas » tiré à 100 000 exemplaires.
Alors M. Herriot a fait le grand geste d’ouvrir tout larges les deux bras encore sanglants de la France et a donné à tous les misérables leur pardon ! Par la porte ouverte on a voulu faire passer tous les coupables et tous les lâches, les insoumis, les déserteurs et les traîtres… S’ils reviennent pour servir et réparer, j’applaudis !
Mais cette même porte ouverte aux frontières, le même M. Herriot, du haut de la tribune française, il nous la montre, à nous, rentrés le 4 août 1914 pour la bataille…
Eh bien, non, nous ne partirons pas ! Pas un homme, pas un vieillard, pas un novice, pas une femme ne repassera la frontière, cela jamais !
En 1901, quand a été votée la loi infâme, j’étais tout jeune Jésuite, — il y avait quatre ans que mon père, un vieil officier d’Afrique, m’avait conduit en pleurant au noviciat de Saint-Acheul, — j’ai fait comme les autres et j’ai pris le train pour la Belgique, honteusement. J’ai vécu douze ans en exil, de vingt deux à trente-quatre ans, toute ma vie d’homme. Mais le 2 août 1914, à 4 heures du matin, j’étais à genoux chez mon supérieur : « C’est demain la guerre, ai-je dit, ma place est au feu ! Mon supérieur m’a béni et m’a embrassé. Par des trains insensés, sans ordre de mobilisation (j’étais réformé), sans livret militaire, j’ai couru au canon jusqu’à Verdun. Le 20 août, à l’aube, à la recherche des blessés du 115e, j’avançais au-delà des petits postes quand, tout à coup, je fus enveloppé par le craquement de vingt fusils et je vis mon camarade étendu de son long contre moi sur la route, la tête broyée. Le poste allemand était à trente pas ! J’ai senti à ce moment que mon cœur protégeait tout mon pays : jamais je n’avais respiré l’air de France avec cette fierté, ni posé mon pied sur sa terre avec cette assurance !
Je ne comprends pas encore comment je ne fus pas tué alors, ni vingt fois depuis. Le 16 septembre, j’étais fait prisonnier devant Noyon en plein combat ; en novembre, j’étais de nouveau en France, et en décembre je retrouvais le feu avec la plus belle des divisions, la 14èmede Belfort. Avec elle, je me suis battu trente mois, jusque devant Mézières, le 11 novembre 1918. J’ai été trois fois blessé, je garde toujours sous l’aorte un éclat d’obus reçu dans la Somme, et pour avoir commis le crime de rester chez moi, vous me montrez la porte ! Vous voulez rire ! M. Herriot.
Mais on ne rit pas de ces choses.
Jamais pendant cinquante mois, vous n’êtes venu me trouver, ni à Tracy-le-Val, ni à Crouy, ni à Souain, ni au fort de Vaux, ni au Reichsackerkopf, ni à Maurepas, ni à Brimont, ni à la Cote 304, ni au Mort-Homme, ni au Kemmel, ni à Tahure. Je ne vous ai vu nulle part me parler de vos « lois sur les Congrégations », et vous osez me les sortir aujourd’hui ?
Vous n’y pensez pas !
Ni moi, entendez-vous, ni aucun autre (car tous ceux qui étaient en âge de se battre se sont battus), ni aucune femme, nous ne reprendrons la route de Belgique.
Cela, jamais !
Vous ferez ce que vous voudrez ; vous prendrez nos maisons, vous nous ouvrirez vos prisons — il s’y trouve en effet des places laissées vides par qui vous savez !
Mais partir, comme nous l’avons fait en 1902 ? Jamais !
Nous avons aujourd’hui un peu plus de sang dans les veines, voyez-vous. Et puis, soldats de Verdun, nous avons appris ce que c’est que de s’accrocher à un terrain. Nous n’avons eu peur ni des balles, ni des gaz, ni des plus braves soldats de la Garde ; nous n’aurons pas peur des embusqués de la politique.
Et je vais vous dire maintenant pourquoi nous ne partirons pas.
Ce n’est pas de courir au diable qui nous effraie. Nous ne tenons à rien, ni à un toit, ni à un champ. Jésus-Christ nous attend partout et nous suffira toujours, au bout du monde.
Mais nous ne partirons pas parce que nous ne voulons plus qu’un Belge, ou qu’un Anglais, ou qu’un Américain, ou qu’un Chinois, ou qu’un Allemand, nous rencontrant un jour loin du pays, nous pose certaines questions auxquelles nous répondrions, comme jadis, en baissant la tête : « La France nous a chassés ! »
Pour l’honneur de la France ; entendez-vous ce mot comme je l’entends ? pour l’honneur de la France, jamais nous ne dirons plus cela à un étranger.
Donc nous resterons. Nous le promettons à nos morts, et à vous aussi, camarades ».
Paul Doncœur, Officier de la Légion d’Honneur.
Rappelons qu’à cette époque a été créé la Ligue des droits religieux ancien combattant (DRAC) par Dom Moreau moine de Ligugé dont RP Paul Donceur sera un des animateurs.
La DRAC, sous sa nouvelle appellation Défense et renouveau de l’action civique, poursuit son action notamment par l’organisation notamment d’un concours d’éloquence. L’association se fixe comme objectif de “remettre à l’honneur les fondements spirituels, moraux et civiques de la civilisation chrétienne : honneur et fidélité, souci de la vérité et de la justice, respect de la dignité de la personne et des lois naturelles, courage et dépassement de soi, humilité et générosité“.
Lire aussi l’article consacré à ce sujet sur le site du diocèse de Nantes