Dans sa toute nouvelle lettre pastorale, outre des louanges pour Mgr Aveline, au chapitre de ses “certitudes” si vite acquises – il n’est évêque de Perpignan que depuis un an et demi, Mgr Scherrer, jusqu’alors à Laval, donne quelques leçons de communion ecclésiale et de liturgie, avec évidemment une citation du Pape François pour être ”in”, et tant qu’à faire une attaque contre les réseaux sociaux, tellement à la mode :
“Personne ne s’étonnera de m’entendre dire qu’un évêque, ce doit être avant tout un homme de communion. C’est la mission qui lui incombe en premier, celle de favoriser les liens les plus forts qui permettront aux fidèles de son diocèse, comme aux hommes et femmes de bonne volonté, de vivre entre eux, autant que faire se peut, la douceur et la paix d’une heureuse harmonie. Et c’est à ce premier point qu’il se rend particulièrement sensible au gré des visites qu’il effectue sur le terrain paroissial. Si je puis me permettre une image : il y a dans le cœur d’un évêque comme une « tête chercheuse » qui se laisse naturellement et spontanément attirer vers les relations qui favorisent la communion. Et lorsque cela se produit, c’est la joie qui envahit son cœur de pasteur. A l’inverse, le cœur s’attriste et s’assombrit au contact de relations discriminantes, peu respectueuses de la liberté d’autrui, et elles sont plus nombreuses qu’on l’imagine.
Et je m’autorise ici une première remarque : fréquenter une paroisse parce que la liturgie nous attire ou que les sermons entendus nous parlent davantage est acceptable à condition qu’il s’agisse de préférence et non d’exclusion. Saint Paul l’a constaté lors de son passage à Corinthe : « Il m’a été rapporté à votre sujet qu’il y a entre vous des rivalités. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi j’appartiens à Paul, ou bien j’appartiens à Apollos, ou bien moi j’appartiens à Pierre, ou bien moi j’appartiens au Christ ». Et Paul d’ajouter : « Le Christ est-il donc divisé ? » (1 Co 1, 11-13).
La mise en garde de l’apôtre est suggestive et toujours aussi éclairante pour les temps d’aujourd’hui : pour nous dire que la foi catholique s’exerce toujours dans l’Église et non dans un groupe d’affinités. Sinon, les communautés finissent par faire le jeu du Diviseur jusqu’à en devenir « clivantes », pour employer un néologisme entré depuis peu dans le langage courant. De la même manière, s’il est indéniable que la liturgie ouvre des espaces de joie dans la vie des pasteurs, elle peut a contrario emprisonner les libertés lorsqu’elle devient un espace de théâtralisation des sensibilités de chacun, un lieu de revendications de
« pouvoirs ». Elle conduit alors à diviser les communautés au lieu de rassembler les personnes dans la communion de l’amour.
Communion et fraternité vont de pair, bien sûr. Et les deux conditionnent la bonne santé d’une communauté paroissiale. Aussi, je m’autorise une deuxième remarque. Qui, en effet, n’est pas frappé aujourd’hui par la violence des débats politiques ou des débats de société, notamment à travers les réseaux sociaux ? Chacun essaie d’imposer ses idées avec véhémence sans même prendre le temps d’écouter son interlocuteur. Or cela se vérifie également au sein de nos réseaux d’Église où des chrétiens, sur un ton parfois injurieux, cultivent les outrances de langage à l’encontre de ceux qui ne partagent pas leurs points de vue. Dans son Exhortation apostolique sur la sainteté Gaudete et exultate, le Pape François s’en était personnellement inquiété au point de tirer le signal d’alarme.
Je le cite au n.115 :
« Les chrétiens aussi peuvent faire partie des réseaux de violence verbale sur internet et à travers les différents forums ou espaces d’échange digital. Même dans des milieux catholiques, on peut dépasser les limites, on a coutume de banaliser la diffamation et la calomnie, et toute éthique ainsi que tout respect de la renommée d’autrui semblent évacués. Ainsi se produit un dangereux dualisme, car sur ces réseaux on dit des choses qui ne seraient pas tolérables dans la vie publique, et on cherche à compenser ses propres insatisfactions en faisant déferler avec furie les désirs de vengeance. Il est significatif que parfois, en prétendant défendre d’autres commandements, on ignore complètement le huitième : “Ne pas porter de faux témoignage ni mentir”, et on détruit l’image de l’autre sans pitié ».
Si j’insiste à ce point sur la communion et la fraternité, c’est parce qu’elles constituent ni plus ni moins le terreau fertilisateur de la mission. Il n’y a pas d’évangélisation pleinement féconde qui ne s’alimente à la source de la communion fraternelle. Je le disais en début d’année à l’occasion des vœux à la Maison Diocésaine : nous vivons dans une société fracturée où l’aspiration à la fraternité et à la solidarité n’a jamais été aussi intense. Et c’est bien là que notre témoignage est attendu. Quand on lit les Actes des apôtres, on voit que la priorité de l’Église des premiers chrétiens n’est pas d’abord le culte ; elle s’organise à partir d’un essentiel : les relations fraternelles amoureusement tissées et sans cesse recréées lorsque les égoïsmes les fracturent (cf. Ac 2, 42). Nos pastorales, en ce sens, doivent être inventives en promouvant la culture de la rencontre, autrement dit en donnant le champ libre à la spirale vertueuse de la réciprocité qui construit la communion et apporte la joie”.
Jusque là, les fidèles de Laval avaient pu juger sur pièce, tant les leçons de communion, que de gestion ou de fraternité – Monseigneur Scherrer a laissé un souvenir plus qu’ambivalent, entre persécution des religieuses de Saint-Aignan de la Roë, les aspects religieux masquant difficilement les jalousies financières, gestion du diocèse aléatoire , et s’attaquant vers la fin de son mandat à un prêtre traditionnel – le ramdam fait par Monseigneur dans la presse a doublé le nombre de ses fidèles. Le diocèse de Perpignan est pauvre – face à l’appel du fonds SELAM, il est l’un des rares à avoir versé des revenus immobiliers…
Né à Versailles et ordonné prêtre à Aix, Mgr Scherrer ignore aussi probablement l’histoire compliquée des Pyrénées-Orientales, aux marges de la France, en proie à des clivages intercommunautaires profonds, des maux économiques réels – les années de sécheresse n’arrangent rien, et pourtant si près de la réussite et de l’autonomie du reste de la Catalogne, au sud des Pyrénées. Il est à craindre que Mgr Scherrer, en se détournant des tâches d’un évêque – susciter des vocations, maintenir le maillage paroissial, étancher la foi populaire si forte sur les rives de la Méditerranée, soutenir les dévotions catalanes… ne veuille vider la mer à la petite cuiller et laisse son diocèse dans le même état que celui de Laval. Brisé et en désordre, avec un successeur condamné à panser les blessures et refermer, difficilement, les failles.