Rien de nouveau dans le document d’étude sur l’exercice “œcuménique” de la primauté pétrinienne, mais pour le Card. Grech, le processus synodal sera la “grande occasion” de déclencher les changements. qui remettent en cause l’essence de l’Église.
L’évêque de Rome. Primauté et synodalité dans les dialogues œcuméniques et les réponses à l’encyclique Ut unum sint, tel est le document issu des travaux du Dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens, présenté jeudi 13 juin, lors d’une conférence de presse au Bureau de presse du Saint-Siège.
Le Préfet du Dicastère, le Cardinal Kurt Koch, a d’emblée précisé qu’il s’agit d’un document d’étude qui entend faire le point sur les propositions reçues des experts et des autorités des différentes confessions chrétiennes, après que Jean-Paul II ait ouvert un débat pour parvenir à “une forme d’exercice de la primauté qui, sans renoncer à l’essentiel de sa mission, s’ouvre à une situation nouvelle” (UUS, 95). En 2020, année du vingt-cinquième anniversaire de l’encyclique Ut unum sint, le Dicastère dirigé par le cardinal suisse avait commencé ce travail de synthèse des différentes positions, fruit de dialogues et de comparaisons.
D’après ce qu’indiquent le cardinal et les deux discours mentionnés à distance, la situation concernant la manière de comprendre l’exercice du ministère pétrinien semble être au point mort. Bien qu’il y ait eu une compréhension commune de la nécessité d’une référence universelle unique qui puisse servir l’unité de l’Église, les modalités de cet exercice continuent d’être éloignées les unes des autres.
Interrogé, M. Koch s’est montré clairement embarrassé lorsqu’il a tenté d’expliquer pourquoi le pape François avait repris le titre de patriarche d’Occident, qui avait été retiré par son prédécesseur : “il faut avoir un peu d’imagination pour commenter ce fait”. Il a également noté avec humour que Fiducia supplicans n’a pas causé de problèmes “seulement dans l’œcuménisme, mais aussi dans l’Église catholique ; c’est une grande chose si un continent s’oppose à la décision du Saint-Père”.
L’archevêque Barsamian, qui s’est exprimé à distance au nom de l’Église apostolique arménienne, a clairement indiqué qu’un rapprochement réel entre les catholiques et les orthodoxes n’était pas du tout à l’ordre du jour. Mgr Barsamian a évoqué la référence habituelle au premier millénaire “mythique” de l’histoire de l’Église, s’est montré ouvert aux titres d’évêque de Rome et de patriarche d’Occident, mais a résolument rejeté le “modèle juridique” de la primauté romaine, c’est-à-dire le pouvoir de juridiction suprême et total du pape sur l’Église universelle.
Plus distante encore est l’intervention de Ian Ernest, représentant personnel de l’archevêque de Canterbury auprès du Saint-Siège, qui appelle à une reformulation du Pastor Æternus du Concile Vatican I selon une “ecclésiologie de communion”, c’est-à-dire une primauté de communion qui se réalise au niveau universel avec les autres Eglises, dans la ligne d’une sorte de “synodalité ad extra”, expression rappelée à plusieurs reprises au cours de la conférence de presse.
Jusque là, pourrait-on dire, nihil novi. C’est plutôt l’intervention du cardinal Grech qui a suscité le plus d’inquiétude, en proposant le processus synodal comme le cadre le plus approprié pour mettre en œuvre cette “révision de la papauté”. Le point de référence évoqué par M. Grech était le discours du pape François à l’occasion du 50e anniversaire du Synode des évêques en octobre 2015. François avait expliqué que le pape se tient dans l’Église comme un “baptisé parmi les baptisés et, au sein du collège des évêques, comme un évêque parmi les évêques, appelé en même temps, en tant que successeur de l’apôtre Pierre, à diriger l’Église de Rome qui préside dans l’amour à toutes les Églises”. Une conception clairement insuffisante de la papauté, qui semble représenter le contenu réel de cette problématique “conversion de la papauté” que le pape a proposée dans Evangelii gaudium, 32 ; car le pape n’est pas simplement appelé à présider dans l’amour sur les Églises, mais à diriger l’Église universelle.
Cette référence de Grech suggère que sa proposition de considérer le prochain synode comme l’occasion clé de mettre en œuvre cette révision de l’exercice du ministère pétrinien dans une clé œcuménique ne sera pas un signe avant-coureur de bonnes nouvelles pour les catholiques. Grech a illustré le cadre de cette nouvelle relecture synodale : de même que le Concile Vatican II, dans Lumen Gentium, a été une relecture du Pastor Æternus de Vatican I, le Synode pourrait à son tour être une relecture de Vatican II. Voyons comment.
Le cardinal indique la solution dans “l’ecclésiologie conciliaire quand elle est relue dans l’horizon de la synodalité”, car “on ne peut pas parler de primauté et de collégialité sans les relier à la synodalité”. Le chapitre de Lumen gentium sur le peuple de Dieu, le second, aurait “déconstruit la societas inequalium fondée sur la dichotomie entre Ecclesia docens-discens”. Traduction : selon Grech, avec le Concile Vatican II, la division entre l’Église hiérarchique enseignante et le peuple de Dieu apprenant aurait disparu. Le cardinal a dû s’arrêter au chapitre deux, car le chapitre trois affirme déjà la distinction marquée entre ces deux dimensions de l’Église, en confiant les trois pouvoirs traditionnels d’enseigner, de sanctifier et de gouverner aux évêques, et non aux fidèles. On comprend donc que l’inclusion de fidèles laïcs avec droit de vote au synode dépende de cette ecclésiologie erronée et vise clairement à la promouvoir. Si la “synodalité”, jamais définie théologiquement, a conduit à une attribution erronée aux fidèles baptisés des pouvoirs propres à l’épiscopat, on peut imaginer ce qui se passera avec la réinterprétation synodale de la primauté du pape.
Cette préoccupation est amplifiée par l’affirmation suivante du cardinal, à laquelle il faut prêter une attention particulière : le chemin synodal se fonde sur le
“principe ecclésiologique affirmé par le Concile, (…) quand on comprend l’Église comme le corps des Églises, parce que c’est en elles et à partir d’elles qu’existe la seule et unique Église catholique”.
Cependant, cette déclaration, qui s’inspire de Lumen Gentium 23, est à nouveau incomplète et, en l’état, conduit à des conclusions erronées. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi est intervenue par une lettre Communionis Notio (28 mai 1992), précisément pour expliquer que l’affirmation “l’Église dans et à partir des Églises (Ecclesia in et ex Ecclesiis), est inséparable de cette autre affirmation : Les Églises dans et à partir de l’Église (Ecclesiæ in et ex Ecclesia)” (n. 9). Dans le même paragraphe, la Congrégation explique en effet que l’Église universelle “est une réalité ontologiquement et temporellement antérieure à chaque Église particulière”. C’est donc l’Église qui donne naissance aux Églises particulières, comme une mère donne naissance à ses filles, mais ces dernières sont de véritables Églises particulières, et non des “branches” d’un siège central.
Or, il est bien clair que l’affirmation de l’antériorité de l’Église universelle se reflète dans la manière de comprendre la primauté du pape, précisément comme celui qui a un pouvoir direct de juridiction sur cette Église universelle. Si, en revanche, on affirme simplement que l’Église universelle ne se trouve que dans et à partir des Églises particulières, donc sans antériorité ontologique, il en résultera cette conception de la papauté indiquée par le pape François et reprise par Grech : fidèle parmi les fidèles, évêque parmi les évêques, avec une simple ” présidence dans l’amour ” des Églises particulières, puisque l’Église universelle n’est rien d’autre que la communion de ces dernières. La double omission de Grech – ne pas citer le chapitre III de LG et ne pas interpréter LG 23 de Communionis Notio – révèle assez clairement quel vent soufflera lors de la prochaine session du Synode.