Paix Liturgique donne quelques précisions d’ordre juridique sur la décision du tribunal civil de Lorient qui condamne les persécuteurs de mère Marie Ferréol – et reconnaît la “part prépondérante” de responsabilité du cardinal Ouellet dans les persécutions qu’elle a subi et son préjudice. Certains affirment que le tribunal civil a jugé le droit canonique – il n’en est rien.
“Depuis la décision du tribunal de Lorient contre les persécuteurs de mère Marie Ferréol – y compris le cardinal Ouellet, dont la « part prépondérante » de responsabilité dans le préjudice subi par la religieuse a été reconnue, diverses voix – qui généralement n’ont ni lu ni compris le jugement – s’élèvent pour s’insurger qu’un tribunal fasse irruption dans le droit canon, se mêle des affaires intérieures de l’Eglise etc. Seulement, le tribunal de Lorient n’a jamais prétendu juger le différend canonique, mais bien défendre les droits civils d’une citoyenne française qui a été lésée”.
Des fautes civiles commises en France
Golias dans son numéro 814 réagit à la « note verbale » du Saint-Siège qui accuse la justice française de violer les « droits fondamentaux à la liberté religieuse et la liberté d’association des fidèles catholiques » : en l’occurrence, « le jugement ne porte, ni sur un quelconque problème de discipline, ni sur l’appartenance à un institut religieux, mais sur des règles de droit et de devoir entre n’importe quelle institution ou personne. Les fautes retenues dans cette affaire […] concernent le non-respect de la procédure du renvoi et du devoir de secours par l’association loi 1901 des religieuses de Pontcallec ».
Et de citer Me Cyrille Dounot, canoniste toulousain qui a défendu mère Marie Ferréol au moment de son renvoi définitif : « pour maître Cyrille Dounot, la question de droit est la suivante : ”un cardinal étranger peut-il être puni du fait de fautes civiles commises en France ? En première instance, la justice dit oui, ne reconnaissant pas que l’immunité dont peuvent jouir certains cardinaux s’applique au cardinal Ouellet”.
Par ailleurs, comme le relève encore Golias, « les membres français des institutions catholiques en France sont des citoyens français et relèvent de la loi française ». ”Ils ne sauraient relever d’un autre droit commun, qui s’appliquerait spécifiquement à eux et uniquement à eux, au pénal et au civil‘‘, explique Jacques Robert, juriste et spécialiste du droit public, dans une communication intitulée Loi vaticane et loi française publiée dans la revue internationale du droit comparé en 2014 ».
Le non respect du contrat entre mère Marie Ferréol et les Dominicaines
Comme le rappelle la Croix en 2018 en résumant les principales dispositions du statut canonique et civil des prêtres, le prêtre a signé avec son évêque un contrat synallagmatique – qui emporte des obligations pour chacune des parties.
« Le contrat qui se conclut au moment de l’ordination du prêtre, entre ce dernier et son évêque, s’analyse au point de vue civil en un véritable contrat synallagmatique ou bilatéral tel que défini par l’article 1102 du Code civil : source d’obligations réciproques.
Les obligations de l’une des parties trouvent leur cause dans les obligations de l’autre. Dans un contrat synallagmatique, chacun promet (s’engage) et stipule (obtient un engagement).
Ce contrat ne peut être assimilé à un contrat de salariat ou de louage de service, car il serait alors nul, notamment en vertu de l’article 1780 du Code civil et de l’article 121-2 du Code du travail puisqu’il consacrerait un engagement à vie alors qu’on ne peut louer ses services qu’à temps ».
Le tribunal de Lorient étend cette notion de contrat synallagmatique à l’engagement pris par mère Marie Ferréol au sein des Dominicaines de Pontcallec. On le retrouve dans les premières pages du jugement :
« Le tribunal de Lorient applique l’article 1194 du code civil à la situation : « les contrats obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ». En l’occurrence, « Mme Baudin de la Valette [nom civil de mère Marie Ferréol ] et l’association […] des Dominicaines du saint Esprit […] ont été liées par des obligations réciproques. En échange de [son] engagement dans la communauté, notamment en tant qu’enseignante, l’association s’est trouvée investie envers elle d’un certain nombre d’obligations.
Non seulement l’association en tant qu’entité juridique se devait de respecter ses propres statuts, mais la communauté en tant que membre de la Sodalité des Vierges dominicaines du Saint-Esprit, se devait de respecter sa propre constitution. De plus, en tant que communauté religieuse et en tant qu’association déclarée, elle ne pouvait ignorer ni le droit canonique, ni les règles générales du droit relatives au respect des droits de la défense, outre les droits fondamentaux de la personne, face à une décision grave impactant la vie privée d’une Sœur de la communauté ».
Là encore, un tribunal français semble parfaitement compétent pour examiner le non-respect d’un contrat synallagmatique conclu en France entre des parties tout aussi françaises. Et notamment le préjudice issu de la non-prise en charge des vieux jours de mère Marie Ferréol par sa congrégation, du fait de son renvoi définitif, et parce que à l’époque, la congrégation ne cotisait pas à la CAVIMAC – la sécurité sociale propre au clergé.
Des (ir)responsables religieux qui cherchent à couvrir les pires abus
Certains responsables cléricaux, sûrs de pouvoir manipuler la justice canonique – ou la dévoyer à leur avantage – sont bien tentés de se croire ou de se déclarer inaccessibles à la justice des hommes – à la justice civile en somme. En plus de discréditer un peu plus encore leurs fonctions, ils ouvrent une véritable boîte de Pandore.
Ainsi, dans un diocèse du sud-ouest de la France qui a fermé sa maison de retraite diocésaine, le vicaire général et l’économe refusent la prise en charge en maison de retraite d’un prêtre âgé, handicapé et malade, au-delà du traitement mensuel que son diocèse lui donne (de l’ordre de 500 euros par mois, et de l’ordre de 600 en honoraires de messe, versés par l’évêché en toute opacité). Le prêtre en question disposant d’une maison de famille, attendent-ils cyniquement qu’il la vende (et verse la somme à l’évêché) pour entrer en maison de retraite?
Comme le rappelle le canon 538 précisé par un texte d’application de la CEF en 1986, « aux prêtres retirés seront proposés des logements adaptés et entretenus, soit dans des maisons de retraite, soit dans des immeubles diocésains ou paroissiaux ». Il s’agit d’une contrepartie somme toute logique à l’engagement du prêtre, toute la vie durant, dans son ministère. Mais visiblement certains évêques sont inaccessibles à toute logique et toute charité.