Dans la basilique romaine Sainte-Marie-Majeure, une marche du nouveau siège porte l’inscription : “Franciscus P.M.A.X.”. Or, si le “P.” signifie bien Pontifex, le “M.A.X.” ne devrait pas être entrecoupé de points, puisqu’il s’agit d’un seul mot : Maximus.
Une bagatelle, diront certains ; une “bévue”, dit plutôt Gian Maria Vian. Pour l’historien et ancien directeur de l’Osservatore Romano, “l’incident grotesque des initiales P.M.A.X. s’ajoute à l’emplacement incongru de l’ambon, des candélabres et du trône”, nouveaux ajouts qu’il définit comme “incongrus (…) d’un niveau certainement pas à la hauteur du scénario environnant”. Des interventions scellées par cette inscription “plus surréaliste que macaronique”, qui trahit “la négligence ou la distraction des commissaires, vraiment impardonnable”.
Un phénomène qui remonte à la période post-conciliaire mais qui s’est particulièrement intensifié ces dernières années, comme en témoigne un élément – apparemment – marginal constitué de devises et d’armoiries d’évêques, d’abbés et de cardinaux. Pour les non-initiés, la devise est une courte phrase lapidaire, choisie au moment de la nomination, qui est généralement tirée des Écritures ou qui résume en tout cas les aspirations spirituelles du nouvel élu et qui apparaît sous les armoiries, généralement – du moins jusqu’à présent – en latin. Pour être clair, la devise de Mgr Luigi Negri était : “Tu, fortitudo mea” ; Karol Wojtyla, Joseph Ratzinger et Jorge Mario Bergoglio ont choisi respectivement “Totus tuus”, “Cooperatores veritatis” et “Miserando atque eligendo” lors de leur nomination épiscopale.
Les nouvelles générations d’évêques semblent allergiques même à cet usage minimal – basique – de la langue de l’Église. L’Amérique latine apparaît de moins en moins… latine, à commencer par l’actuel préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi, Víctor Manuel Fernández, qui, nommé évêque de La Plata en 2013, a choisi : “En medio de tu pueblo” (“Au milieu de ton peuple” ; voir l’image d’ouverture). Le successeur immédiat du pape François à Buenos Aires, Mario Aurelio Poli, nommé évêque de Santa Rosa en 2008, s’est éloigné du latin en choisissant : “Concédeme Señor un corazón que escuche” (“Accorde-moi, Seigneur, un cœur qui écoute”). L’actuel primat argentin, Jorge Ignacio García Cuerva, a quant à lui choisi : “No apartes tu rostro del pobre” (“Ne détourne pas ton visage du pauvre”). “¡Ay de mí sino evangelizo” (“Malheur à moi si je n’évangélise pas”), s’exclame le cardinal guatémaltèque Álvaro Leonel Ramazzini Imeri (un précurseur, puisque sa nomination épiscopale remonte à 1989).
Il n’y a pas que l’Amérique du Sud, l’Italie aussi perd confiance dans ses racines linguistiques. Mgr Francesco Manenti, évêque de Senigallia (2015), choisit : “Le Royaume de Dieu est près de vous”. La gloire de Dieu est l’homme vivant”, devise Mgr Antonio Mura, évêque de Lanusei (2019), et celle de l’évêque de Trente (2016), Mgr Lauro Tisi, est : “Le Verbe s’est fait chair” (trop difficile de dire : “Gloria Dei vivens homo” ou “Verbum caro factum est”…). L’italien est également présent à Bruxelles, avec le nouvel archevêque Luc Terlinden, dont la devise est : “Fratelli tutti” (il faudrait dire : une devise, un programme). Pour éviter tout malentendu, concédons volontiers l’exception au cardinal Ernest Simoni : “Zemra jeme do-të triumfojë” (“Mon cœur triomphera”), dont l’option pour la langue maternelle n’est due ni au mépris ni à l’ignorance du latin (langue dans laquelle il a célébré la messe par cœur pendant ses longues années de détention), mais à un hommage compréhensible à son peuple albanais meurtri et à son histoire.
Venons-en aux armoiries, que le document – post-conciliaire ! – Ut sive sollicite de 1969 recommandait qu’elles soient conçues “selon les règles héraldiques” (n. 28). Commençons par celui du Card. Fernández, portant une croix et une colombe si minimes qu’elles rappellent une marque commerciale plutôt que des armoiries épiscopales, ou peut-être le logo d’une organisation humanitaire. Un signe “commercial” pour Garcia Cuerva également. Revenons encore à Monseigneur Antonio Mura, dont les armoiries représentent le Bon Pasteur dans une version indéniablement caricaturale.
Avec le cardinal Ramazzini Imeri, nous passons directement du minimal au kitsch : un assemblage de photos décidément maladroit, qui semble avoir été réalisé avec Paint (à ce stade, puisque les armoiries sont autorisées, et certainement pas imposées, il vaut mieux ne pas le faire).
Des détails, certes, mais dans la civilisation de l’image, le support est (aussi) le message : les choix à la mode ou de mauvais goût passent pour de la pauvreté ou de la simplicité ; l’abandon des formes finit par brouiller le contenu, de sorte que le “signe” d’un diocèse catholique devient indiscernable de cette “agréable ONG” contre laquelle François lui-même a mis en garde au lendemain de son élection au trône pontifical. Enfin, la disparition des moindres vestiges d’un dépôt linguistique, culturel et spirituel, par lequel nos ancêtres ont transmis la foi et qui n’est pas un “simple” emballage à jeter, mais fait partie de la beauté multiforme qui a jailli du christianisme et que nous sommes loin d’égaler.
Après l’effondrement du monde antique, ce sont les moines et les clercs qui ont ramassé les fragments et les ont fait briller d’un nouvel éclat, transformant les monastères et les écoles cathédrales en véritables centres de culture et de transmission du savoir. Que seraient devenus la langue latine et le patrimoine classique s’ils avaient adopté la même attitude de complaisance que certains de nos clercs contemporains qui mettent un point d’honneur à abandonner les soi-disant “oripeaux” pour se retrouver à courir après les modes : n’est-ce pas là aussi une forme de mondanité ?