Paix Liturgique consacre une lettre aux remous autour de la suppression de la traditionnelle messe du 15 août à Notre Dame de l’Epine, un village près de Brionne dans le diocèse d’Evreux (27) et son report le 14 août – ce dont le maire s’est ému en prenant la parole dans l’église après la messe et dans la presse locale. Depuis des siècles, la messe du 15 août était, dans sa commune du nom de son église bâtie pour la sainte Vierge, la fête à la fois sacrée et communale du village – une tradition bafouée par son nouveau curé qui a refusé aussi que le maire trouve un autre célébrant.
Une illustration de plus de l’effondrement de l’Eglise en France qui se coupe de ses racines pour suivre d’illusoires modes imposées par d’autres maîtres (aujourd’hui, la synodalité) et qui abandonne elle aussi – comme presque toutes les autres institutions avant elles – les villages de France qui ont fait sa grandeur et sa gloire – et lui ont légué ses lieux de culte, au temps de la civilisation de la messe en latin.
“Une des raisons de l’effondrement de la pratique religieuse après le dernier concile a été le mépris des dévotions populaires et même, plus largement, le mépris du catholicisme populaire, celui des petites gens qui n’étaient pas ces chrétiens d’élite en phase avec l’esprit du Concile, qui pensaient renouveler le visage de l’Église. On sait le résultat. Et malgré cela, plus de cinquante ans plus tard, les derniers membres du clergé des diocèses ruraux conservent la même mentalité.
Cette histoire s’est passée en août dernier, au nord de l’Eure, 12 km au nord de Bernay – et autant à l’ouest de Brionne – se trouve le village de Notre-Dame-d’Épine, qui tire son nom d’une grande épine et d’une église Notre-Dame, bâtie au XVIe siècle à son emplacement, église bien entretenue. Il y a 78 habitants dans la commune et, depuis toujours, le jour de l’Assomption qui est aussi la fête patronale du village, un banquet rassemble les habitants et les fidèles – souvent deux à trois fois plus nombreux que la population du village. Mais pas cette année, puisque la messe du 15 août 2023 a eu lieu le 14, malgré les démarches du maire auprès du nouveau curé, le père Denis Diouf.
La révolte du maire
A la fin de la messe, le maire a pris la parole pour protester. L’Éveil Normand du 15 août justement revient sur cette prise de parole : « le maire, Sébastien Cavelier, a pris la parole à la fin de la messe, pour partager son regret que celle de l’Assomption, ait eu lieu le 14 et non le 15, comme le veut la tradition”.
Les traditions se perdent. C’est un constat que fait avec grand regret le maire de Notre-Dame-d’Épine, après que l’évêché d’Évreux lui ait annoncé que cette année, la traditionnelle procession du 15 août ainsi que la messe se dérouleraient la veille, à 18 h. « Ils ne savent donc pas qu’à Notre-Dame-d’Épine, la fête de l’Assomption est réellement une tradition qui remonte à plusieurs siècles ? Que dans l’église dont le magnifique retable est inscrit au patrimoine est orné d’un tableau de 1667 qui représente l’Assomption ? », s’exclame Sébastien Cavelier, maire de Notre-Dame-d’Épine.
La Vierge est la patronne du village dont il porte le nom, et les habitants, y compris des villages alentour, ont l’habitude de venir à cette fête du 15 aout. Les pratiquants participent à la procession et à la messe puis tout le monde se retrouve, avec d’autres habitants du village, à la salle des fêtes pour un important moment de convivialité, de liens et de retrouvailles.
« Ces fêtes du 15 août ont toujours eu lieu au village, aussi loin qu’on s’en souvienne, et la célébrer le 14 n’a aucun sens. Fêtons-nous Noël le 23 décembre ou la fête nationale le 15 juillet ? », s’interroge le maire du village.
Mais rien n’y a fait, l’évêché n’a rien changé, une messe ayant déjà été prévue à Brionne le 15.
“Notre église est une des mieux entretenues du canton, ce n’est pas l’histoire d’un maire qui fait sa Diva. Derrière cette fête, il y a toute une histoire qu’il est important de connaître, que ce soit à Brionne ou à Évreux. Il s’agit de la culture locale de nos villages. Je défends mes administrés, je le souligne, je ne parle pas de paroissiens. Moi, le message que je reçois c’est que les traditions se perdent, et vous savez ce qu’on dit, un pays qui ne respecte plus ses traditions est un pays qui part à la dérive. »
Il ajoute que lorsqu’il a souligné que l’église du village était une des mieux entretenues du canton, les responsables ecclésiastiques lui ont rétorqué que c’était normal, puisque depuis la loi de 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État, les édifices religieux sont à la charge des communes. « C’est compliqué pour nos petites communes rurales, on fait de gros efforts pour y arriver », s’insurge-t-il, tout en précisant que « lors d’un inventaire récent, près de 5 000 églises en France tombent en ruines ou vont être détruites. J’estime que ce doit être du donnant-donnant. On entretient notre église, on a notre fête patronale du 15 août ! »
Le curé : « C’est de l’esprit de clocher »
La paroisse de Brionne, Notre-Dame de la Risle, est le résultat de la fusion de trois anciennes, issues de regroupements – Brionne (6 clochers), St Vincent St Augustin du Plateau (9 clochers) et Sainte-Marie (10 clochers). L’abbaye du Bec Hellouin se trouve sur son périmètre – bien qu’en déclin, c’est le seul endroit où il y a des messes de semaine.
Cette grande paroisse de 25 clochers fait partie du « secteur Ouest 5 » d’après l’annuaire diocésain – qui ne semble pas avoir grand souci de Notre-Dame de l’Épine et même de l’Assomption. Le père Denis Diouf, ordonné au Sénégal, a été 6 ans curé de Louviers (2009-2015) et six autres comme administrateur de la paroisse de Val-Iton. Il remplace, à Brionne – après un an d’interrègne – un autre curé fidei Donum, un rwandais, Wenceslas Munyeshyaka, suspendu en décembre 2021 après qu’il ait reconnu un enfant né en 2010, et finalement renvoyé de l’état clérical en mai 2023.
Dans l’article que l’Éveil Normand lui consacre le 24 décembre 2022, trois mois après son installation, il affirme tout miser sur Brionne, le chef-lieu, et déplore le peu d’empressement de ses paroissiens à aller dans d’autres églises que celles de leur village : « la messe du samedi à 18 h, à tour de rôle dans les autres communes de la paroisse, lui plait aussi particulièrement, même s’il aimerait que les fidèles restent moins attachés à l’église de leur village et poussent davantage les portes de celles d’à côté. « J’ai un peu senti l’esprit de clocher et ce serait bien que les gens sortent de cet esprit, car les communautés sont des regroupements ».
Le maire : « Ce n’est pas de l’esprit de clocher, mais notre identité vivante »
Nous avons joint le maire de Notre-Dame de l’Épine, qui dit n’avoir reçu aucune réponse du curé – et une fin de non-recevoir de celui-ci quand il a appris, une semaine avant, que la messe du 15 août allait avoir lieu le 14, et qu’il est allé le voir. Brionne se trouve à 12 kilomètres de sa commune, « et ce n’est pas un problème de transport, il y a des messes où les bénévoles vont chercher le prêtre et le ramènent », confie-t-il.
« Je suis allé le voir quand j’ai appris le changement de date – sur les premiers plannings qu’on a reçu, la messe était bien au 15 août, comme elle l’a toujours été. Le curé m’a opposé une fin de non-recevoir, et je regrette son manque de culture locale. Notre conversation tournant à l’aigre, je lui ai fait remarquer que les musulmans fêtaient la fête de l’Aïd le jour de l’Aïd, pas deux jours après ou avant – il n’a rien répondu ».
Sébastien Cavelier, qui a pris la suite de son père à la tête d’un village de 78 âmes dont la messe du 15 août « rassemble facilement 150 personnes, les gens de Brionne même viennent, et des villages alentour – ils étaient à peine 50 le 15 août à Brionne », déplore l’attitude du prêtre. « Ce faisant, il crée du dégoût – des habitants ne voulaient pas venir le 14 août, et même des bénévoles de la paroisse étaient verts… déjà, dans les campagnes, on ressent une sorte d’oubli, cela nourrit un sentiment de révolte. Il ne faut pas s’étonner si la pratique religieuse dévisse… ».
Il y aurait-il pour le curé de Brionne et pour l’évêque d’Évreux des fidèles plus prioritaires que d’autres, parce qu’au chef-lieu, à quelques mètres de son presbytère, et des chrétiens de seconde zone, dans les villages ?
« Tous les ans, après la messe, la commune organise un repas ou un vin d’honneur au moins. Tous viennent et se mélangent, les catholiques, les non pratiquants, j’y ai même vu des protestants – c’est un moment d’échange, de partage, où on apprend à se connaître et le respect. C’est aussi une tradition, c’est le cœur de notre identité vivante – notre commune tire son nom d’une église construite pour Notre-Dame, le 15 août, c’est notre fête ».
Insensible à ses arguments, « le prêtre a dit que c’était aux communes d’assumer la charge des églises. La nôtre est très bien entretenue, et pour une commune de 78 habitants, ce n’est pas facile ». Le budget atteint 80.000 euros – une paille, à peine l’aménagement d’un square dans une grande ville ou le pavage d’une rue. « A un moment, faut être réaliste, s’il faut mettre plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’euros par an pour une église ouverte au culte une ou deux fois par an, beaucoup de maires ruraux vont laisser tomber ».
Pourtant il ne demande pas grand-chose : « on fait beaucoup pour l’entretien, alors pour moi ça doit être donnant-donnant, deux trois messes par an et le 15 août le 15 août, ce n’est pourtant pas la lune… ».
Pas question que le maire trouve un autre célébrant.
Alors le maire de Notre-Dame de l’Épine a proposé au curé, le père Diouf, de trouver lui-même un célébrant – un prêtre du même diocèse qui a été en poste dans cette même paroisse il y a quelques années. Refus net : « il a exigé de donner son autorisation et m’a découragé en disant que ça allait semer la zizanie dans la paroisse ». Cléricalisme quand tu nous tiens… même pour un prêtre du même rite et du même diocèse, ancien titulaire de la paroisse...
Il conclut qu’il laisse le temps au nouvel évêque de s’installer – Mgr de Cagny, ex-recteur du séminaire de Paris, a été nommé le 2 juin mais ne sera installé que le 9 septembre – avant d’aller le voir. « Une église, c’est l’histoire du village – et ici, c’est tout notre patrimoine, notre identité vivante, ce n’est pas une question d’esprit de clocher, mais de défendre ce que nous sommes. Les historiens ont prouvé à de nombreuses reprises qu’un pays qui se détourne de son identité et de ses traditions, il part à la dérive. Je regrette que le diocèse semble aussi devenir insipide, à l’image d’une société où tout le monde se fout de tout, où il n’y a plus de racines… je préfère qu’on soit intelligents et qu’on travaille ensemble pour faire perdurer nos traditions et nos villages ».
Et dire qu’il y a des prêtres prêts à célébrer, que certains font, tous les dimanches, des dizaines voire des centaines de kilomètres pour répondre aux besoins des fidèles… qui se tournent vers eux, faute de célébrants – et faute de possibilité ou de volonté des diocèses de leur en donner !
L’Église est désormais « une Église synodale qui est à l’écoute », comme chacun sait. Sauf des catholiques de Notre-Dame-d’Épine. Ou comme dans la plupart des diocèses de France l’on trouve normal de faire venir en masse des prêtres venues D’Asie, de Pologne ou d’Afrique en refusant par ailleurs de faire appel aux nombreuses ressources locales parfaitement ” en règle avec l’Eglise” au motif qu’elles ne partageraient pas assez les folies de nos pasteurs…