Le jour de la Saint Pie V, 5 mai, Don Davide Pagliarani, Supérieur Général de la Fraternité Saint-Pie X, a répondu aux questions de FSSPX Actualités sur le pontificat du Pape François et les dernières mesures concernant la messe traditionnelle :
Tout récemment, un rescrit du pape François a rappelé que tout nouveau prêtre qui voudrait célébrer la messe tridentine doit obtenir la permission expresse du Saint-Siège. De plus, si une messe tridentine est autorisée dans une église paroissiale, il faut aussi la permission du Saint-Siège. Comment évaluez-vous ces mesures ?
Je pense qu’il n’est pas nécessaire d’être un expert très averti pour saisir la volonté manifeste d’en finir avec la messe tridentine. Ce rescrit de février 2023, de même que la lettre apostolique Desiderio desideravi de juin 2022, ont à la fois pour but de restreindre au maximum l’usage du missel traditionnel, et aussi d’effrayer quiconque voudrait l’utiliser. Dans de telles conditions, je vois difficilement un jeune prêtre avoir le courage de s’adresser au Saint-Siège pour demander la permission de célébrer la messe tridentine. Qu’on le veuille ou non, depuis le Motu proprio Traditionis Custodes, cette messe est pratiquement interdite dans l’Eglise ; comme l’a rappelé encore tout récemment le cardinal Roche, avec le Concile « la théologie de l’Eglise a changé », et par conséquent sa liturgie aussi, puisqu’elle en est l’expression.
Dans ce climat, les membres des Instituts dits Ecclesia Dei vivent un moment d’attente et d’appréhension. On entend dire qu’un nouveau document pontifical les concernant pourrait paraître prochainement. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
J’ignore tout d’un tel document, mais je pense qu’un prêtre ne peut pas vivre son sacerdoce d’une manière épanouie s’il accepte d’avoir constamment une épée de Damoclès au-dessus de la tête ; de même, il ne peut pas vivre sereinement s’il est sans cesse à l’affût des moindres rumeurs. Un prêtre est censé vivre de sa messe sans se demander s’il sera encore autorisé par ses supérieurs à la célébrer demain. Il doit avoir le souci de faire participer les âmes aux trésors qu’il dispense, sans vivre constamment dans la crainte d’en être lui-même privé, ou dans l’attente d’un miracle qui lui permette d’échapper à la situation précaire dans laquelle il se trouve. Je ne pense pas que la Providence veuille cela.
De plus, malheureusement, les membres de ces instituts, comme beaucoup de prêtres désireux de célébrer le rite tridentin, vivent dans une crainte telle qu’ils se condamnent eux-mêmes au silence face à l’actualité de la vie de l’Eglise : car le jour où ils voudraient exprimer quelques réserves à l’encontre de ce qui se passe aujourd’hui, ils savent très bien que l’épée de Damoclès pourrait tomber. Le cardinal Roche est prêt à le leur rappeler à tout moment. Je dis cela en toute charité : cette situation provoque une dichotomie permanente entre la sphère liturgique et la sphère doctrinale, qui risque de faire vivre ces prêtres dans la déception, et de les paralyser irrémédiablement dans la nécessaire profession publique de leur foi. C’est pour cela qu’aujourd’hui, surtout dans certains pays, la réaction contre les folies du mouvement synodal, paradoxalement, provient plus de milieux qui ne sont pas attachés à l’usage du missel traditionnel.
Comment voyez-vous l’avenir de la Fraternité Saint-Pie X ?
Je le vois en parfaite continuité avec ce qu’elle a représenté jusqu’ici. Elle doit être préoccupée de l’actualité de l’Eglise, sans pour autant s’intéresser aux rumeurs, à ce que tel cardinal aurait dit en toute confidentialité à tel séminariste, à ce qui pourrait se produire, à ce qui pourrait nous arriver… Nous devons vivre au-dessus de cela.
Pour le bien de l’Eglise, la Fraternité doit garder et garantir, à ses prêtres et à ses fidèles, la pleine liberté de la célébration de la liturgie traditionnelle. En même temps, la Fraternité doit continuer à assurer la conservation de la théologie traditionnelle qui accompagne et soutient cette même liturgie. Un catholique encore lucide ne saurait renoncer à cette doctrine : son changement au cours du Concile est bien ce qui – pour paraphraser le cardinal Roche – a inspiré la nouvelle messe. Nous avons le devoir de garder l’une et l’autre, avec la pleine liberté de nous opposer aux erreurs et à ceux qui les enseignent. En effet, si la liturgie est par définition publique, la profession de foi qui lui est associée l’est aussi.
En même temps, aujourd’hui plus que jamais, nous devons être conscients qu’au culte traditionnel de l’Eglise correspond aussi une vie morale que nous n’avons pas le droit d’altérer dans ses principes. Au centre de notre religion, Dieu a planté la Croix et le Sacrifice. Personne ne peut se sauver sans la Croix ni sans le Sacrifice, en acceptant, au nom d’un faux amour et d’une fausse miséricorde, toutes sortes d’abominations. Il n’y a qu’un seul amour qui sauve, parce qu’il n’y a qu’un seul amour vrai qui purifie : c’est celui de la Croix, celui de la Rédemption ; celui que Notre-Seigneur nous a montré, qu’il nous communique, et qu’il a voulu appeler « charité ». Mais cet amour ne peut pas exister sans la foi, ni sans ceux qui l’enseignent.
Les bergers deviennent les brebis et les brebis les bergers. Excellent résumé !