Les bénédictines du Sacré-Coeur de Montmartre communiquent, reconnaissant des abus spirituels au sein de leur congrégation – notamment du fait d’une ancienne supérieure mise à l’écart en 2013 – et un travail entrepris pour mettre fin aux dérivés et rebâtir la congrégation après deux visites apostoliques en 2004 et 2012 :
“Après de nombreuses années de liens rompus avec l’Institut des Bénédictines du Sacré Cœur de Montmartre (BSCM), plusieurs sœurs sorties ont repris contact avec la prieure générale actuelle.
Un début de relecture du passé de l’Institut a été entrepris les 11 et 12 février 2023, entre des BSCM et plusieurs sœurs sorties. Étayée par des témoignages oraux et écrits, cette rencontre a permis de mettre des mots communs sur tout un système d’emprise, aux conséquences graves et durables, mis en place sur plusieurs décennies par l’autorité de l’époque. A l’issue de ce week–end, d’un commun accord, et dans un dialogue retrouvé, la publication d’une déclaration officielle faisant part de la reconnaissance d’abus subis au sein des BSCM a été décidée.
Toutes celles qui s’associent à cette déclaration sont broyées par l’ampleur des souffrances qu’elles ont subies durant tant d’années : abus spirituels et de conscience, abus de pouvoir et d’autorité, séparation des sœurs d’avec leur famille et leur référent spirituel, violences morales et physiques, menaces, mensonges systématisés, calomnies, climat de peur et de manipulation, humiliation, privation de liberté, absence de discernement vocationnel…
Ces mises en lumière publiques, attendues depuis trop longtemps, suscitent indignation, colère, et douleur. Le caractère tardif de cette déclaration, près de 20 ans après les conclusions de la visite apostolique de 2004, et 10 ans après celles de 2012, manifeste l’ampleur, la puissance et la profondeur de l’emprise. Les responsables actuelles de l’Institut déplorent avec force cette perversion de la vie religieuse durant ces années d’emprise, ainsi que toutes les violences subies et endurées par toutes, qui ont engendré de graves traumatismes, dont les effets perdurent encore chez certaines aujourd’hui. Ces dérives ont causé de nombreux départs de sœurs, dans des conditions trop souvent douloureuses et difficiles, l’autorité de l’époque ne les ayant ni soutenues, ni accompagnées, mais ostracisées.
Ce constat pousse les responsables actuelles de l’Institut à demander pardon à toutes celles qui ont été victimes de ces abus, à leurs familles et proches parfois profondément blessés et désemparés ; et en particulier à Roseline de Romanet (Mère Marie Vianney), empêchée, malgré elle, d’exercer sa charge de prieure générale de 1998 à 2004, humiliée, gravement et durablement calomniée (ainsi que sa famille) auprès des sœurs et de l’Eglise. En même temps, elles la remercient ainsi que toutes celles qui ont brisé le silence, dénoncé les dérives, rencontré l’indifférence ou le mépris, allant même jusqu’à sacrifier leur vocation.
À la suite des conclusions de la visite apostolique de 2012, puis dans l’élan du chapitre général de 2020, l’Institut s’est engagé dans un chemin de réforme et de conversion. Ce chapitre général ainsi qu’une relecture de l’histoire par toutes les sœurs en juin 2021, ont été deux étapes essentielles dans ce processus de renouveau. Plusieurs points d’attention et de vigilance ont émergé en vue de la mise en place d’un juste exercice de l’autorité, d’une formation continue des sœurs, dans le domaine des sciences humaines et du droit canonique ainsi que la mise en place d’un accompagnement humain et spirituel dispensé par des personnes qualifiées.
Le souhait de toutes celles qui s’associent à cette déclaration, est aussi de s’inscrire dans l’intention de prière formulée par le Saint–Père pour le mois de mars 2023 : « faire la totale lumière sur les dysfonctionnements subis afin qu’ils ne se reproduisent pas » (**). Dans les mois qui viennent, les signataires de cette déclaration commune demandent la mise en place d’une commission indépendante et pluridisciplinaire, afin de permettre à l’Institut de mieux identifier, comprendre et analyser l’ensemble des dérives qui ont eu lieu ainsi que d’envisager les contours d’une juste réparation.
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Sœur Marie Elie, prieure générale de la congrégation des BSCM, et le Conseil Général
(*) dont Anne-Sophie B. (anciennement Sr Marie André), Roseline de Romanet (anciennement Sr Marie Vianney), Aurélie M. (anciennement Sr Marie Lucille), Nathalie Brun (anciennement Sr Marie Pauline), Sophie F.B. (anciennement Sr Marie Christophe), Claire Daniel (anciennement Sr Anne Claire), Marie M. (anciennement Sr Marie Astrid), Aurélie Péricard (anciennement Sr Marie Aurélie), Julie R. (anciennement Sr Marie Salomé), Anne-Christine (anciennement Sr Marie Jacques), Céline J.-G., Anne Langlade de Montgros (anciennement Sr Anne Cyrille)
“Une grave lâcheté de l’Eglise”
Ex prieure (1998-2004), Roseline de Romanet a quitté la congrégation en 2004 puis été relevée de ses voeux en 2010; elle explique le contexte de ce communiqué à la Croix et notamment la fabrique du consentement et de la manipulation au sein de la congrégation.
“Ce communiqué est le fruit d’un long, d’un très long travail. Nous avons mis plus de vingt ans à nommer les choses ensemble. Il s’agit de dire la puissance colossale d’une emprise avec ses conséquences multiples et dramatiques et d’un grave dysfonctionnement au cœur de l’Église, d’un manque de responsabilité abyssal.
Ce n’est pas faute d’avoir alerté des hommes d’Église au plus haut niveau, Rome a certes dépêché deux visites apostoliques mais cela n’a pas empêché que vingt années s’écoulent pour que l’on commence à résoudre les difficultés. Que de temps perdu !”
Elle explique aussi ce phénomène d’emprise : “Dans la congrégation nous avons subi une personnalité pour qui le chantage affectif, le mensonge, la manipulation ont été monnaie courante. Cette personnalité est entrée dans la communauté dans les années 1960, elle a beaucoup donné [il s’agit d’une ancienne supérieure, en poste dans les années 1980 et 1990] Mais elle a ainsi acquis une aura qui a permis à ce système d’abus de prospérer. En tant que prieure générale, au nom de l’obéissance et de Dieu, elle nous demandait des choses qui mettaient profondément à mal notre liberté.
Impossibilité d’aller seule chez le médecin, traitements antidépresseurs imposés pour certaines, obsession sur la nourriture, infantilisation en divisant pour mieux régner… Aux chapitres généraux, on demandait aux sœurs de voter pour telle ou telle autre, il n’y avait aucune liberté de choix. Nous avions interdiction de parler de quoi que ce soit à nos familles, […] Tout était guidé par une volonté de pouvoir et de maîtrise“.
Une emprise que ses proches au sein de la congrégation ont aussi subi : “ma propre sœur a vécu dans la congrégation une épreuve indicible. On lui a menti sur notre compte et il lui a été demandé de renier sa famille. Elle n’a pas voulu nous voir pendant près de dix ans. Ce communiqué est donc aussi pour notre famille une reconnaissance du mal commis. Elle fait partie de la congrégation depuis trente-deux ans, aujourd’hui son corps a lâché, elle a dû sortir pour être soignée. Elle a été brisée”.
En tant que prieure, elle a été entravée dans sa tâche : “J’ai été nommée prieure générale très jeune, à 29 ans, en 1998. L’ancienne prieure générale, dont le mandat ne pouvait plus être reconduit après trente ans passés à ce poste, est alors devenue mon assistante, officiellement. Mais j’ai très vite compris que j’étais une prieure potiche placée là pour que l’ancienne puisse continuer de faire ce qu’elle voulait. Elle était dans la communauté depuis trente-six ans.
Très régulièrement, des sœurs missionnées par l’ancienne prieure fouillaient mes poubelles, reconstituaient mes papiers, elles ont même changé la serrure de mon bureau une fois. Certaines sœurs avaient des regards si pleins de haine, je pense que si elles avaient pu, elles m’auraient tuée “.
La première visite bâclée en un mois et demi, elle quitte la congrégation, puis demande en 2010 à être relevée de ses voeux. En 2012, “c’est tout de même un évêque, Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy, qui a entendu la souffrance de mes parents. Mes parents étaient crucifiés de ne plus voir ma sœur, de voir la congrégation s’enferrer sans que rien ne se fasse. C’est lui qui est allé voir les sanctuaires et rencontrer les recteurs, il a monté un dossier et c’est grâce à lui que la deuxième visite apostolique, essentielle, a eu lieu en 2012“. Puis un administrateur apostolique, Mgr Gueneley, a été nommé.
L’ancienne prieure – il s’agit de mère Marie-Agnès, Françoise Jullien à l’état civil – a du s’écarter en 2013, elle s’est installée à Vernon (27) dans un appartement et a tenté de détacher des soeurs. “Aujourd’hui, toutes celles qui ont participé au climat d’abus et de violences au sein de la congrégation ne sont plus en responsabilité. L’ancienne prieure est morte [le 29 octobre] 2016 ne reconnaissant pas les choses, et c’est d’une grande tristesse”.
Elle dénonce “une grave lâcheté au sein de l’Église. Sauf quelques exceptions, l’accompagnement par les autorités de l’Église n’a pas pris la mesure alors que tout était dit et qu’elles savaient. Je me suis heurtée à un réel mépris. On m’a même rétorqué un jour qu’il s’agissait “d’une affaire de bonnes femmes” et que cela allait se résoudre de l’intérieur. C’est affolant. Si nous avions dû attendre que la réforme vienne de l’intérieur… le mal sévirait encore”.
Malheur à l’homme par qui le scandale arrive! Matthieu 27:3-5