D’un lecteur :
Certains évènements, par leur résonance, leur injustice, par l’outrance de leurs principes, avivent les amours blessées. En l’occurence, l’accumulation des coups portés contre notre messe font indéniablement partie de ces saillies de l’Histoire. Le récent rescrit, en particulier, en dépit de sa valeur juridique, de son degré d’autorité, vient ajouter la mesquinerie à la profonde mésestime de l’Eglise envers notre trésor spirituel. Il aiguillonne nos sentiments d’une vive tristesse et nous arrache une expression toute semblable à celle de Phèdre : « Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.1 »
En effet, ce nouveau malheur renforce notre amour pour ce que l’on nomme à raison « la messe de toujours ». Il offre à notre plume une occasion nouvelle d’exprimer sa passion de Dieu, son attachement indéfectible à la liturgie apostolique. N’en déplaise à La Rochefoucauld, dont les maximes n’ont pas été toujours heureuses, l’amour de la justice qui nous anime n’est pas « que la crainte de la souffrance 2 » ; elle est bien plus qu’un mouvement égoïste, qu’un réflexe de l’âme suscité par la peur, car en cette matière nous sommes éprouvés.
Au contraire, notre amour pour la Tradition procède de sentiments positifs. De sentiments peut-être exacerbés, mais après tout, reprocherait-on au cygne mourant de troubler par son chant la nature appesantie ? Notre amour est ardent comme celui de l’Imitation, il « ne connaît point de mesure » et, « comme l’eau qui bouillonne, il déborde de toute part.3» Saint François de Sales avait pour devise « ou aimer ou mourir » ; or ce choix nous a été confisqué, car aujourd’hui nous mourons d’avoir trop aimé.
Oui, nous aimons ! et parfois au mépris de quelques réserves. Nous aimons notre messe, nos sacrements, nos ornements, notre pompe et notre latin ! Nous aimons réciter ces mots que les siècles avant nous récitaient comme nous ; nous aimons prier avec les âmes d’antan, épouser le mouvement de leurs lèvres et suivre la même régularité. Quelque chose de tout cela nous rappelle la communion des saints.
Nous aimons leur rigueur, leur sens, la subtile carnation de leur esprit, cette sensibilité qui nous aide à mieux pénétrer le mystère. Car la Tradition renferme le substrat de l’Humanité, l’essence vivante qui préserve nos usages de la corruption ; « elle seule reflète, en même temps que le rituel des coutumes qui se perdent, l’esprit qui les avait crées.4 »
Enfin, nous aimons par-dessus tout leur esthétique, dans l’acception la plus noble, c’est-à-dire ce qui donne à l’Homme « le désir de ce Beau et de ce Bien qui sont l’origine de toute chose, et encore l’aboutissement de toute chose.5 »
C’est pourquoi, nos rites sont improprement qualifiés d’extraordinaires. Ou plutôt, si on souhaite l’interpréter avantageusement, ils ont l’extraordinaire propriété de nous irriguer de l’amour divin. Aussi affirmons-nous que ce serait un grand bien qu’ils redeviennent l’ordinaire de l’Eglise. Une vieille locution affirmait que le premier dans le temps devenait premier dans le droit6 ; il s’agit d’un principe de bon sens qui justifie cette autre règle que nous appelons de nos voeux : nihil innovetur, quod traditum est 7 !
Ainsi notre amour est inspiré par les plus hautes raisons et mérite le combat que nous livrons. Nous ne devons pas en avoir honte ni en éprouver aucune gêne ; notre lutte est d’ailleurs un signe certain de son authenticité, car « tout chrétien qui se sent disposé aux grands combats vient immanquablement à une abondante dévotion mariale.8 »
Sursum corda
1 Racine, Phèdre, II, 5, v. 689
2 La Rochefoucauld, Maximes, n°78 : l’amour de la justice n’est, en la plupart des hommes, que la crainte de la souffrance
3 L’imitation de Jésus-Christ, Des merveilleux effets de l’amour, Seuil, 1961, p100 4 Listz, Chopin, Archipoche, 2010, p52
5 Henri Charlier, L’art et la pensée, Dominique Martin Morin, 1972, p156
6 Qui prior est tempore, potior est jure
7 Qu’on n’innove en rien, si ce n’est dans le sens de la tradition
8 Père Jérôme, Notre coeur contre l’athéisme, Ad Solem, 2014, p78