Les propos de Roselyne Bachelot sur la nécessité de raser les églises du XIXe, qu’elle considère comme “fragiles” et “sans intérêt” – alors qu’il s’agit aussi du patrimoine le plus répandu dans nos campagnes, et le mieux représenté, ont eu le mérite de jeter un pavé dans la mare et de susciter diverses initiatives. Voici une réponse bretonne à la députée – et ex-ministre – angevine, sur le média catholique breton indépendant Ar Gedour.
L’ancienne ministre de la Culture Roselyne Bachelot a affirmé dans son dernier livre, paru le 5 janvier dernier, qu’il est impossible de conserver toutes les églises, en raison du budget que leur entretien nécessite.
« Les édifices construits au XIXe siècle se révèlent d’une consternante fragilité et leur simple sécurité mobilise des budgets exorbitants », ce qui rend, selon elle, « impossible » la conservation de chacune d’entre elle. Elle a réitéré ses propos dans l’émission « C à vous », diffusée le 5 janvier sur France 5, en affirmant que l’Etat et les collectivités publiques devront « choisir » et « se [recentrer] sur un patrimoine notoire », en opposition aux églises du XIXe siècle « qui n’ont pas un grand intérêt ».
Cette déclaration a provoqué un flot de réactions opposées. En effet, on ne peut être que consterné de voir l’Etat se dédouaner, alors que les églises ont clairement été accaparées durant la Révolution Française et dans les années de laïcisme fondamentaliste. Retirez une église d’un village, et c’est son âme qui s’en va, en même temps que l’histoire de toute la paroisse, avec ses joies et ses deuils, les prières qui ont été portées en ce lieu depuis des siècles. Mais en prenant un certain recul, plusieurs éléments sont à prendre en considération.
Premièrement, si l’Eglise avait gardé ses édifices, il n’est pas certain qu’elle s’en serait mieux sortie pour les entretenir et les sauvegarder. Car l’Eglise, c’est l’institution mais pas seulement. C’est aussi chacun de nous. Lorsqu’on analyse la situation actuelle, il est peu probable que l’Eglise aurait fait mieux en gardant la propriété des édifices.
De la responsabilité des fidèles
Pour commencer, rappelons les textes : au terme de l’article 13, dernier alinéa de la loi de 1905 (ajouté par la loi du 13 avril 1908) il est indiqué que « l’État, les départements, les communes pourront engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi ».
Les communes «pourront engager les dépenses nécessaires »: il s’agit d’une possibilité mais en aucun cas une obligation (on peut à juste titre trouver cela révoltant, mais ce sont les textes). Cette possibilité devient une obligation en cas «d’offre de concours » suffisante des fidèles. Dans l’hypothèse où des réparations sont indispensables pour laisser une église communale ouverte au public, «l’offre de concours » (participation financière) des fidèles ou du curé, si elle est suffisante, s’impose à la commune. Obligée de l’accepter, elle est tenue de faire les travaux. Les communes sont responsables en cas d’accidents dus au défaut d’entretien, comme le stipulent de nombreux arrêts de jurisprudence, ce qui doit les conduire à ne pas négliger cet entretien. Cet engagement financier possible de la commune concerne l’entretien et la conservation des églises ; ces deux notions ont été largement interprétées par les collectivités propriétaires et par l’autorité de tutelle.
Aujourd’hui, nous voyons que si en bien des lieux des bénévoles s’activent pour nettoyer, restaurer et faire en sorte que les lieux de cultes vivent, ce n’est pas le cas partout, loin de là. Et même des chapelles qui il n’y a pas si longtemps ont été relevées avec passion et dévouement voient leur avenir désormais incertain, parce que peu de monde se soucie de ce patrimoine.
Regardons donc avec le recul un certain panorama : les paroisses sont de moins en moins fréquentées en France. D’un autre côté, le nombre de vocations ne permet pas d’assurer la desservance de tous les clochers par des prêtres sur-sollicités, obligeant à revoir les plannings des messes. A l’instar des chapelles qui n’ont qu’une à deux messes par an, les églises paroissiales de nombreuses petites communes accueillent une messe par mois et pour d’éventuelles funérailles. Parfois, s’il reste encore des bénévoles, l’église est ouverte tous les jours. Sinon, elle reste porte close, invitant le visiteur à passer son chemin. S’il voulait voir Jésus, c’est rapé.
Comment voulons-nous que l’Etat s’active dans l’entretien du patrimoine ou sa restauration, si nous mêmes, qui sommes les utilisateurs de ces lieux de cultes, ne sommes pas à même de nous en saisir et de le mettre en valeur ? Attendre que l’Etat fasse tout relève d’une même vision d’un Etat-providence. Même si un jour ces édifices ont été confisqués et que désormais l’Etat se doit veiller à ce patrimoine, rappelons-nous que sommes l’Eglise et que nous sommes donc ceux qui devons assurer l’avenir, en prenant soin de nos églises et de nos chapelles. C’est la responsabilité des paroissiens de s’engager dans cette « offre de concours » stipulée dans la loi si nous voulons obliger les communes aux travaux de restauration et d’entretien.
Il nous revient, à nous catholiques, de nous bouger pour faire vivre, et pas seulement pour la messe, ces lieux sacrés, en les nettoyant régulièrement, en les ouvrant, en les entretenant, en les restaurant, en allant y prier, en invitant les voisins et les visiteurs à y prier. En proposant des rendez-vous culturels, sans oublier le spirituel.
Restaurer et entretenir : pour y faire quoi ?
A l’origine, ces lieux ont été érigés pour assurer le culte dû à Dieu. Restaurer le patrimoine pour en faire des musées – avec une vision « harpagon » de ce patrimoine qui est plus un témoignage de foi qu’une collection de richesse – n’est pas une solution d’avenir. On ferme nos églises à double tour par peur de vols et de dégradations. Et après ? Finalement, on pourrait presque trouver un rapprochement entre les pyramides d’Egypte et nos églises. En guise de pharaon, Jésus-Eucharistie (s’il est encore là !) est enfermé parmi des richesses que seuls quelques initiés peuvent entrevoir. Sinon, c’est un caveau vide qui n’attendra que les pillards.
A nous catholiques, de nous bouger pour faire vivre, et pas seulement pour la messe, ces lieux sacrés, en les nettoyant régulièrement, en les ouvrant, en les entretenant, en les restaurant, en allant y prier individuellement et en groupe, en invitant les voisins et les visiteurs à y prier. En proposant des rendez-vous culturels, sans oublier le spirituel. Des initiatives existent déjà : les chapelles chantantes, les priants des campagnes, etc…
Et si vous n’avez vraiment pas de temps à consacrer pour l’édifice le plus proche de votre domicile, alors peut-être pouvez-vous aider financièrement un comité de chapelle local ou une association qui contribue à la sauvegarde du patrimoine (Breiz Santel, l’Oeuvre de St Joseph, Urgence Patrimoine, etc…)
Enfin, si vous êtes prêtre ou avez une responsabilité paroissiale, sachez faire confiance aux bénévoles, même s’ils ne sont pas toujours des piliers de paroisse. Ils sont là pour restaurer un patrimoine qui les touche et c’est déjà beaucoup, alors que nous sommes si nombreux à nous dédouaner de ces pierres qui tombent. D’autant – et cela est souvent négligé – qu’une pastorale dédiée peut se faire et porter de nombreux fruits. Eux aussi, ce sont les périphéries.
Qu’en est-il des associations du type « Les amis de… » qui s’organisent fréquemment pour conserver, entretenir et animer l’édifice du culte?
Un rappel important qui montre bien les responsabilités propres pour ceux qui l’oublieraient : en réalité, ces associations n’ont aucun titre (légal, réglementaire ou jurisprudentiel) à agir. Elles ne sont en effet ni propriétaire, ni affectataire, ni mandataire du Ministère de la Culture. Elles n’ont aucun pouvoir propre. Dès lors, leur rôle, souvent fort utile (car qui s’en chargerait sinon ?), doit s’articuler clairement avec celui des partenaires légaux. Il n’est pas question d’oeuvrer sans concertation.
L’affectataire (donc le curé de la paroisse) doit être membre de droit statutaire de telles associations ; son accord express doit être recueilli pour tout ce qui concerne l’édifice du culte. Seule la commune peut engager des travaux d’entretien et de conservation de l’édifice. Il est essentiel de respecter ce cadre légal afin d’éviter d’encourir des responsabilités considérables notamment en matière immobilière et en matière d’assurance de personnes et/ou de biens. (source : site de la CEF)
« S’il n’y a plus de culte et si elles ne servent à rien d’autre, nos églises vont mourir » a déclaré à la presse le Père Blot, prêtre spécialiste des églises et du patrimoine religieux du diocèse de Rennes.
Ainsi, si tous les cathos se bougeaient ensemble pour leurs églises et chapelles, celles qui sont d’un patrimoine notoire et celles qui le sont moins, alors il n’y aurait plus de raison de les raser ou de les transformer en restaurants, salles de sports et autres brasseries.
Si par contre vous faites partie de ceux qui ne font rien pour elles, alors ne soyez pas étonnés qu’un jour, parce que les murs ou la charpente menacent de s’effondrer, un bulldozer vienne écraser les pierres que vos aïeux ont aimées. A cet instant, il sera déjà trop tard pour réagir.
Autrement dit, pendant que les français se plaignent, se récriminent et se divisent dans l’adversité, les Bretons répondent – bougez-vous !