Claves, site de formation de la Fraternité Saint-Pierre, a interrogé le RP Louis-Marie de Blignières, fondateur et prieur de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier, sur l’été 1988 et son contexte particulier.
Claves propose sur plusieurs jours cette série de 5 entretiens pour comprendre cette période clef.
Pourquoi vous exprimez-vous sur cette période ?
Il se trouve que j’ai été témoin d’assez près des événements de cet été-là. D’une part, comme ami et soutien des fondateurs de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, canoniquement érigée le 18 octobre 1988, notamment des abbés Denis Coiffet, Joseph Bisig, Gabriel Baumann, Patrick du Faÿ et Philippe Tournyol du Clos. D’autre part, comme fondateur (en septembre 1979) de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, qui a reçu un statut canonique le 28 octobre 1988.
Par ailleurs, depuis quelques années déjà, des prêtres, des religieux et des laïcs de la jeune génération m’interrogent sur la crise dans l’Église, sur l’histoire du traditionalisme et sur cette période cruciale de 1988. Sur ces thèmes, l’ignorance de beaucoup (notamment des jeunes attirés par les rites traditionnels) est aussi grande que leur désir de savoir. Les questions de ce « libre entretien » rassemblent et synthétisent les interrogations d’un grand nombre de personnes de tous âges et se répartissant sur divers positionnements dans l’Église.
Pour le contexte historique général et le déroulement des faits, on dispose maintenant d’une chronique suivie, fruit d’un labeur consciencieux, avec le récent livre d’Yves Chiron. Dans les lignes qui suivent, je vais concentrer mon témoignage sur la façon dont ceux qui étaient en désaccord avec la décision de Mgr Lefebvre ont vécu les événements, ainsi que sur leurs motivations théologiques.
Je précise que j’ai connu la plupart des personnes dont je parle ci-dessous, notamment l’abbé V.-A. Berto (théologien de Mgr Lefebvre à Vatican II) et Jean Madiran. J’ai aussi bien connu Mgr Lefebvre dans toutes les années 1970 et 1980. J’ai été ordonné prêtre par lui en août 1977 et je lui garde admiration et gratitude pour ses grandes qualités épiscopales et sa vraie charité apostolique.
Quel était le contexte du traditionalisme avant cet été 1988 ?
Le traditionalisme est né en réaction à la crise dans l’Église. Les causes de cette crise se préparent dès l’après-guerre, mais la crise elle-même se manifeste de façon aiguë après le concile Vatican II, notamment dans le domaine de la doctrine de la foi, de la catéchèse et de la liturgie. L’existence de cette crise est un fait bien documenté, qui n’est aujourd’hui plus guère remis en question, à la différence du déni qui a marqué les années 60 et 70. Il faut noter d’ailleurs que bien des catholiques (et même certains non-catholiques) ont réagi contre la diminution des vérités de la foi, contre le primat de la pastorale sur la doctrine, et contre la décadence de la liturgie. On pourra se reporter, à titre d’exemples parmi beaucoup d’autres, aux livres de Jacques Maritain ou d’Étienne Gilson, et à la pétition présentée à Paul VI par des artistes et écrivains de haut niveau pour le maintien de la liturgie traditionnelle (qui a abouti en 1971 à l’indult dit « Agatha Christie »).
Le traditionalisme se dessine dans les années 50, avec notamment la lutte contre les nouvelles méthodes catéchétiques, l’opposition à la résurgence d’une théologie imprégnée de modernisme, le combat contre les influences marxistes au sein de l’Église. On peut dire qu’il se concrétise en deux temps :
- À l’issue du concile, par la position exprimée dans la revue Itinéraires (position qui était aussi celle de l’abbé V.-A. Berto, qui fut au concile le théologien de Mgr Lefebvre), énonçant le principe de recevoir les actes du concile « en les interprétant dans l’esprit et à la lumière des enseignements antérieurs du magistère » ;
- En 1969 et 1970, lorsque la nouvelle messe est introduite de façon à supprimer l’ancienne, avec les réactions dont le Bref Examen critique du Nouvel Ordo Missæ, présenté par les cardinaux Ottaviani et Bacci, est le plus connu.
Depuis cette date, la question de la possibilité de la réception du concile à la lumière de la tradition, et le jugement critique sur la réforme liturgique, ont constitué (avec de nombreuses et importantes nuances) les deux pôles du positionnement traditionaliste.