Dans le premier numéro de la revue Cardinalis, un long article d’Andrea Gagliarducci est consacré au Motu Proprio Traditionis Custodes. Un autre est consacré au courant traditionnel en France.
Traditionis Custodes, qui a réagi et qui n’a pas réagi
« Ne vous appelez pas traditionalistes. Appelez vous catholiques ». Le mot de passe était arrivé à l’une des dernières réunions du Motu Proprio Summorum Pontificum. Alors que circulait déjà la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui examinait les applications du document avec lequel Benoît XVI avait libéralisé la célébration selon le rite ancien, le monde traditionnel tentait de trouver une nouvelle cohésion, et surtout de montrer qu’il n’était pas en contradiction avec l’Église catholique. En effet, leur but était précisément d’affirmer qu’utiliser le Missel de Jean XXIII, en poursuivant ce que Benoît XVI avait appelé la « forme extraordinaire » du rite, ne signifiait pas nécessairement être en dehors de l’Église catholique. Au contraire, ils se sentaient catholiques et unis au pape, même si le rite qu’ils utilisaient n’était pas celui qui avait été mis au monde par Paul VI après le concile Vatican II.
Le motu proprio Traditions Custodes du pape François a mis en péril la perception de soi en tant que catholique. Avec ce motu proprio, publié le 16 juillet, le pape François révoque effectivement toutes les concessions au rite ancien accordées par Jean-Paul II et Benoît XVI avant lui. Le Vetus ordo n’est plus considéré comme une forme extraordinaire. Quiconque souhaite continuer à célébrer selon l’uso antiquior doit demander l’autorisation à l’évêque, qui doit consulter le Saint-Siège avant de l’accorder.
Le pape François souligne qu’il n’y a qu’un seul rite et qu’en abolissant tous les autres, il ne fait ni plus ni moins que ce que saint Pie V a fait après le concile de Trente. Avant tout, le pape François note que les concessions de Jean-Paul II et de Benoît XVI à l’ancien rite avaient pour but de créer une plus grande unité dans l’Église, et en particulier de surmonter le schisme avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pie V (les « Lefevbrians »), qui a eu lieu concrètement en 1988, avec l’ordination de quatre évêques sans le mandat de Rome.
Dans une lettre adressée à tous les évêques pour expliquer sa décision, le pape François écrit notamment qu’il a été « attristé que l’usage instrumental du Missale Romanum de 1962 soit souvent caractérisé par un rejet non seulement de la réforme liturgique mais du Concile Vatican II lui-même, en affirmant, avec des affirmations infondées et insoutenables, qu’il a trahi la Tradition et la « vraie Église » ».
Sur cette base, il est difficile pour un catholique qui aime l’usage de l’uso antiquior de se défaire de l’étiquette de traditionaliste. Il est catholique, mais il n’est guère considéré comme tel. Exactement ce que Jean-Paul II et Benoît XVI voulaient éviter.
Pour toutes ces raisons, la réaction des cardinaux du monde entier au motu proprio du pape François ne doit pas surprendre. Naturellement, certains l’ont appliqué servilement, mais la majorité a plutôt essayé de trouver un terrain d’entente. C’est-à-dire : ne pas aller contre les paroles du Pape, mais voir dans les indications du Pape une possibilité de ne pas perdre les communautés de fidèles qui célèbrent avec l’uso antiquior, mais qui représentent un grand réservoir de catholicisme, à un moment où au contraire beaucoup ont peur d’être catholiques et de le montrer.
De ces controverses naissent les positions prises par les évêques du monde entier qui, en essayant de ne jamais contredire le Pape, trouvent néanmoins le moyen de maintenir la célébration selon l’usage antiquior.
Et pas seulement. Plusieurs cardinaux ont pris une position claire sur la décision du Pape. Certains ont même appelé à la désobéissance civile, tandis que d’autres ont tenté de jouer les médiateurs entre les mots durs du pape et la situation qui pourrait se présenter. Le mot d’ordre, dans ce cas, était « pragmatisme ». Et, face au pragmatisme, il n’y a pas de cardinaux conservateurs et progressistes. Il y a, au contraire, des cardinaux qui doivent s’occuper de leur troupeau. Et le troupeau de nombreux cardinaux compte plusieurs fidèles qui utilisent le rite de saint Jean XXIII.
Pour cette raison, les positions des cardinaux sur le motu proprio du pape peuvent être divisées en deux catégories.
La première est la catégorie de ceux qui ont pris une position claire pour défendre des principes. Il s’agit avant tout de cardinaux libres de tout poids institutionnel, et donc en quelque sorte plus « libres » de pouvoir dire précisément ce qu’ils pensent. En bref, ils peuvent parler, et ils le font, en des termes très clairs. Ce sont les cardinaux Sarah, Mueller, Brandmueller, Zen.
La deuxième catégorie est celle de ceux qui s’occupent encore d’un troupeau. Ils gèrent encore un diocèse et ne veulent pas aller à l’encontre des décisions du Pape. Mais ils ne veulent pas non plus perdre des noyaux de fidèles nombreux, et ils ne l’ont jamais voulu, même lorsqu’ils ont vu les dérives nées dans le mouvement traditionnel.
Ses dérives ne jugent pas une idée, et les gens ne vont pas toujours dans la même direction. Les cardinaux-évêques le savent et agissent en conséquence. Néanmoins, ils ont des groupes de fidèles, même importants, qui veulent célébrer selon la coutume antique et font tout pour continuer à le faire. Les cardinaux Zuppi et Nichols appartiennent à cette catégorie.
A ces deux catégories, certains ont décidé de suivre le Pape jusqu’à interdire les célébrations selon l’usage antiquior. Comme le cardinal Gregory à Washington à l’occasion d’un grand pèlerinage traditionnel qui se terminera par la messe célébrée selon le rite de Saint Pie V dans le National Shrine de Washington DC par l’archevêque Thomas Gullickson, ancien nonce en Ukraine.
Plus généralement, il n’est pas facile de trouver un cardinal qui a appliqué motu proprio du pape François mot à mot. Mais, comme toujours, le pape François laisse formellement aux évêques une certaine discrétion pour gérer les situations. Il l’avait fait avec Amoris Laetitia lorsqu’il avait ensuite laissé aux évêques la possibilité de décider comment appliquer l’appel. On se souvient qu’à l’époque, l’archevêque Charles J. Chaput, alors à la tête de l’archidiocèse de Philadelphie, avait établi des directives qui réaffirmaient l’enseignement traditionnel de l’Église. Contesté, il a réaffirmé que le pape avait laissé aux évêques le soin de décider. Il avait décidé avec le peuple de Dieu après avoir fait le discernement approprié.