Le Chanoine Laurent Jestin, ICRSP, revient sur le motu proprio Traditionis Custodes dans le dernier numéro de Catholica (n°153, automne 2021) intitulé “Liturgie: fin d’une tentative de conciliation” (dont vous trouvez un extrait ci-dessous).
L’énoncé simple et lapidaire de cet article initial (les livres liturgiques issus de Vatican II sont « la seule expression de la lex orandi du rite romain ») pourrait n’apparaître que comme un contre-pied, sans portée particulière, du motu proprio précédent, Summorum pontificum, publié en 2007 par Benoît XVL Ce dernier posait en effet deux expressions ou formes de l’unique rite romain, l’une ordinaire, l’autre extraordinaire. On pourrait s’arrêter ici… sauf que vient une question: que signifie, pour le missel promulgué par saint Pie V – l’ancien, ou vetus ordo – cette disparition, dans la lex orandi, d’une expression, la seconde, l’extraordinaire ? Car c’est un fait patent, et c’est de ceci dont nous voulons partir : le vetus ordo ne reçoit plus aucune qualification dans Traditionis custodes. Une analyse assez rapide montrera que loin d’être le produit d’une rédaction maladroite, fautive ou même volontairement brutale, cette omission a un sens précis. Elle porte en fait une signification double, que nous voudrions mettre au jour, pour – disons-le tout de suite – en contester l’exactitude : premièrement, le missel ancien n’aurait plus d’existence autonome, il serait dans une dépendance totale du nouveau missel, ce qui appelle sa disparition ; en second lieu, cette dépendance se doublerait d’une opposition avec le principe qui a présidé à la réforme voulue par le concile Vatican IL Commandée par le mouvement ordinaire de la tradition liturgique, la disparition du missel ancien serait aussi rendue positivement nécessaire par l’affirmation de la participation de l’assemblée comme réalité centrale de la liturgie.
La lettre du pape François accompagnant son motu proprio dénonce une interprétation large de Summorum pontificum – non conforme à l’intention de Benoît XVI, est-il écrit, ce qui est contestable -, celle d’n une utilisation parallèle n des deux missels, d’une sorte d’équivalence autorisant un libre choix des prêtres ou des assemblées. Cette situation anarchique – nous reviendrons plus loin sur ce terme -, poursuit la lettre, a été L’occasion, voire a suscité des atteintes à la communion dans l’Église, à travers critiques ou refus du concile Vatican II. Après quatorze années d’application de Summorum pontificum, force est de constater, conclut-elle, que la communion dans l’Église exige la réaffirmation la plus claire que le novus ordo est, seul, l’expression ordinaire de la liturgie.
Un détour est ici nécessaire pour entendre comme il convient ce dernier adjectif. Summorum pontificum n’était pas d’une grande clarté conceptuelle en raison justement de l’ambiguïté du sens à donner à cet adjectif « ordinaire » et à son correspondant « extraordinaire », pour qualifier les deux formes évoquées du rite romain. Fallait-il entendre le premier comme un synonyme de « commun » ? Dès lors, la distinction des deux formes aurait renvoyé à un usage plus ou moins répandu de l’un ou l’autre missel, Ou, plus proche de l’étymologie latine, « ordinaire » faisait-il référence à 1’ordo, à ce qui lui est conforme ? La forme « extraordinaire » aurait ainsi été ce qui se trouvait sur les bords, à la marge de l’ordo. Mais alors la formule du premier article de Summorum pontificum : « expression extraordinaire de la lex orandi », sonnerait presque comme un oxymore en associant « extraordinaire » à « lex ». À moins que, par antiphrase, cela ne désignât un autre ordo… D’ailleurs, en pratique, la réception du motu proprio de Benoît XVI a oscillé, selon les lieux et les évêques, entre, au plus large, un quasi « parallélisme rituel » (Grillo, 21 juillet 2021), et, au plus strict, une logique de concession aussi peu généreuse que durant la période précédente. Traditionis custodes, en rejetant qu’il y ait deux formes, pose que le missel de Paul VI est ordinaire dans les deux sens du terme, et ce de manière exclusive, sans qu’une place – quelle qu’elle soit – puisse être accordée à une autre expression.