Dans la dernière Lettre des Amis du Monastère du Barroux (n°178, 11 juin), Dom Louis-Marie revient dans son éditorial sur la bénédiction abbatiale de Dom Marc, abbé de la jeune Abbaye Sainte Marie de la Garde (à côté d’Agen), fondation de Sainte Madeleine.
Le 24 juin prochain, en la fête de la nativité de saint Jean-Baptiste, aura lieu la bénédiction abbatiale de Dom Marc, élu premier abbé de l’abbaye Sainte-Marie de la Garde en février dernier. La liturgie de la bénédiction prévoit le rite de la procession d’offrande, geste sacré qui nous vient de l’Église antique. À cette époque, il était impensable de se présenter à la célébration de l’Eucharistie les mains vides. Les fidèles, par ces dons, faisaient une vraie oblation, une part active au seul sacrifice du Christ.
Saint Cyprien, évêque de Carthage, reproche à une femme riche de venir les mains vides : « Tu crois célébrer le dimanche, toi qui viens le dimanche sans sacrifice, toi qui enlèves la part du sacrifice que le pauvre offre. »
Saint Augustin, dans ses Confessions, affirme que sa mère, sainte Monique, apportait chaque jour son offrande à l’autel. Dans le commentaire du psaume 129, il explique la profondeur de la spiritualité de ce geste : « Il (le Christ) a reçu de toi ce qu’il devait offrir pour toi, de même que le prêtre reçoit de tes mains ce qu’il doit offrir pour toi quand tu veux apaiser Dieu sur tes péchés. » « Il est devenu notre sacrifice dans sa passion ; dans sa résurrection, Il a renouvelé ce qui en lui avait reçu la mort, et l’a offert à Dieu comme prémices, et Il a dit : tout ce que j’avais reçu de toi est maintenant consacré à Dieu ; j’ai offert à Dieu des prémices qui viennent de toi ; espère dès lors qu’en toi s’accomplira ce qui est accompli tout d’abord dans ces mêmes prémices. »
La procession des offrandes, dans l’ancien rite, a été conservée pour les ordinations, la consécration des vierges, ainsi que la bénédiction abbatiale et la consécration des évêques. La suppression progressive des offrandes de pain, de vin, de cierges et autres — car les offrandes se sont diversifiées de façon étonnante, jusqu’au don de tout un domaine par Henri II, un empereur germanique du XIe siècle, lors d’une nuit de Noël — tient à plusieurs raisons pratiques : les abus, l’apparition des hosties de petite dimension, la multiplication des messes basses, et à une raison théologique : la réduction des processions d’offrandes met davantage en valeur l’unicité du sacrifice du Christ. Les dons en nature ont donc été remplacés par la quête, qui permet à l’Église de pourvoir au culte et à la vie du clergé, et la procession des offrandes s’est réduite aux gestes de l’acolyte et du sous-diacre (ce dernier, lors des messes solennelles, élève la patène devant l’autel). Si la liturgie a gardé le rite de l’offrande d’un cierge pour les ordinations et, pour les abbés et les évêques, l’offrande en plus de deux pains avec deux tonneaux de vin décorés d’or et d’argent, c’est pour manifester à quel point il convient que ces pasteurs fassent le don d’eux-mêmes, participent au sacrifice du Christ par leur propre oblation, signifiée de façon symbolique. Ce que le Seigneur a prescrit dans le Lévitique pour tout membre du peuple élu : « On ne se présentera pas devant moi les mains vides » vaut tout particulièrement pour les pasteurs du troupeau.
La secrète, l’oraison qui vient achever la procession d’offrande, comme la collecte à la fin de la procession d’entrée et la postcommunion à la procession de la communion, élèvent l’âme dans le grand mystère de Dieu et de son alliance. Elle établit un admirable commerce entre l’âme et Dieu. Dans la secrète de la bénédiction abbatiale, le consécrateur demande à Dieu de recevoir ces dons et de protéger son serviteur par sa miséricorde. Oui, admirabile commercium, et c’est notre prière pour Dom Marc.
† F. Louis-Marie, o.s.b., abbé