La Tribune de l’Art donne un exemple de la remarquable réactivité des administrations chargées du suivi et de la protection des Monuments Historiques en France. Il s’agit d’un monument funéraire de Pierre Dauvet du XVIIe siècle, réalisé par le sculpteur Michel Bourdin, qui a été dépouillé en 1987 de ses putti (des angelots), ainsi qu’une tête de mort et des os entrecroisés, peut-être trop funèbres pour les innovations religieuses de l’époque.
Sauf que les éléments soi-disant “déposés en lieu sûr” n’ont pas été perdus et – comme souvent – vendus ou volés en douce. La DRAC a donc constaté, en 2021, ce vandalisme, et porté plainte pour vol. Mieux vaut tard que jamais.
La Tribune de l’Art s’empresse d’ailleurs de les dédouaner : “nous ne pouvons mettre en cause ici les conservateurs. En sous-effectif permanent, il leur est impossible de contrôler tout et de s’apercevoir de toutes les disparitions, d’autant que celle-ci a certainement eu lieu peu après 1987, alors qu’aucune des personnes en poste n’était encore là, et qu’une simple visite de l’église, où le monument n’apparaît pas incomplet si l’on ne connaissait pas son état antérieur […] ne permet pas forcément de voir que des éléments ont disparu. S’il y avait des fonctionnaires à mettre en cause, ce sont ceux qui, à l’époque, étaient en charge de suivre le chantier de restauration, à condition d’ailleurs qu’ils aient été avertis de celui-ci et qu’il n’ait pas été mené sans qu’ils en soient prévenus“.
Et d’enfoncer le clou : “cela pose plus largement la question de la formation du clergé et des maires à la gestion de leur patrimoine. C’était bien en effet à ceux-ci, d’abord, de veiller sur ce patrimoine, et de porter plainte immédiatement en cas de disparition. Localement, le vol était connu puisque c’était l’explication qui nous avait été donnée lors de notre visite à l’inaccessibilité de ce monument. Il est absolument anormal que celui-ci n’ait jamais été signalé à la DRAC“.
L’exemple donné par la Tribune de l’Art ne reflète qu’une toute petite pointe d’un immense iceberg. En réalité, du fait des innovations religieuses liées au Concile, voire le précédant, appliquées au rouleau compresseur par le clergé, les églises françaises ont été massivement dépouillées de leurs retables, tabernacles, maîtres-autels – sauf les parties basses souvent massives et déplacées dans d’autres chapelles, stalles, tribunes, chaires, bancs de communion, statuaire etc.
A de rares exceptions près, les Monuments Historiques n’ont jamais été prévenus, et quand ils l’ont été, ils se sont mis en travers et ont tenté de limiter ou d’empêcher le massacre – c’est ainsi que l’église Notre-Dame de Recouvrance d’Orléans, dépouillée de sa chaire et de son banc de communion qui avaient pourtant traversé sans casses les deux bombardements de 1940 et 1944, a toujours son orgue de choeur bien que muet et ses stalles.
Une seule lettre bien tournée de 1955, réclamant au curé de l’époque, tout heureux d’avoir installé dans son église du XVIe des chauffages radiants et des luminaires modernes, comme il écrivait à son évêque, des photos de l’ensemble des éléments avant et après démontage, leur numérotation et un plan du local où il comptait les entreposer, avait suffi à le faire changer d’avis.
Sans oublier l’extermination feutrée du contenu des sacristies, des soutanelles rouges aux ornements dorés parés d’orfrois, les dais, les tentures noires ou brodées de blasons, l’orfévrerie ancienne et ainsi de suite. Une petite partie a été sauvée par les traditionnalistes qui se sont développés à partir des années 1970, le reste a été jeté, découpé en bois de chauffage parfois, voire est parti à l’étranger.
Depuis une vingtaine d’années la tendance s’inverse et l’on voit croître les tentatives de muséifier, ou de tenter de mettre en valeur ce qui n’a pas encore été vendu ou perdu. Qui sait seulement où sont les puttis de l’église icaunaise de Saint-Valérien?