La récente publication de documents relatifs au rite romain traditionnel par la congrégation pour la Doctrine de la foi (qui a succédé à la commission Ecclesia Dei) suscite des remous dans l’Eglise – où certains auraient aimé pouvoir dire que la liturgie traditionnelle était morte. Une lettre ouverte sur “l’état d’exception liturgique” a été publiée par Andrea Grillo, professeur de théologie sacramentaire à l’Université Saint-Anselme de Rome. Plusieurs théologiens et liturgistes l’ont signée (dont les Français Philippe Barras, Hélène Bricout, Pierre Vignon, Francois Cassingena-Trevedy et Isaïa Gazzola – la plupart venant de l’Institut supérieur de liturgie de l’Institut catholique de Paris).
Cette lettre ouverte a suscité la réponse suivante de Mgr Markus Graulich, Sous-Secrétaire du Conseil Pontifical pour les Textes Législatifs:
La Lettre ouverte, dans laquelle des spécialistes de la Liturgie demandent le retrait des deux décrets publiés par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 25 mars et le « retour » à la Congrégation pour le Culte Divin de tous les pouvoirs accordés à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en matière de liturgie, fait partie d’une série de polémiques, dont certaines n’ont pas été réglées chez les signataires de cette Lettre ouverte depuis la publication du Motu proprio Summorum Pontificum.
La Lettre ouverte contient diverses idées fausses (pour ne pas parler d’erreurs), qui suggèrent un manque de connaissance ou une connaissance idéologiquement déformée du sujet de la part des auteurs.
Le troisième paragraphe parle de « deux rites différents » : « le rite conciliaire et celui qui le nie ». Cette juxtaposition est en soi fausse et montre une ignorance de l’intention du pape Benoît XVI lorsqu’il a publié le Motu Proprio Summorum Pontificum : il n’a pas permis deux rites parallèles, mais deux expressions du même rite. À cet égard, il déclare à l’article 1 du Summorum Pontificum : « Ces deux expressions de la lex orandi de l’Église n’induisent aucune division de la lex credendi de l’Église ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain »
Dans les deux premiers tirets de la lettre, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se voit refuser la compétence pour émettre les deux décrets et est accusée de manquer de « compétences historiques, textuelles, philologiques et pastorales ». Cette accusation ignore deux choses : « La réglementation de la Sainte Liturgie… est de la compétence du Saint-Siège » (can. 838 §1 CIC), c’est-à-dire en règle générale de la Congrégation pour le Culte Divin. Cependant, le Pape est libre de confier cette matière à d’autres Dicastères du Saint-Siège. Par le Motu Proprio Summorum Pontificum (art. 12), le Pape Benoît XVI a confié la compétence de la forme extraordinaire du rite romain à la Commission Ecclesia Dei (aujourd’hui une section de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi), qui est incluse dans la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Les compétences spécifiques ont été définies plus en détail dans une Instruction du 30 avril 2011, qui a été approuvée par le Pape. Formellement et juridiquement, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a donc agi dans le cadre de ses compétences et a rempli le mandat qui lui a été confié. Sur le plan du contenu, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi est également compétente, soit par ses collaborateurs, soit par ses consultants, qui traitent de tous les sujets de nature théologique.
Le reproche suivant de la lettre ouverte, qui postule une division entre la lex orandi et la lex credendi dans l’Eglise et évoque le danger qu’il est inévitable « qu’une forme rituelle double et conflictuelle conduise à une division significative de la foi », méconnaît à la fois l’intention de Summorum Pontificum (cf. l’article précité n. 1) ainsi que le fait que le Missel de 1962 est une expression de la même foi que le Missel de Paul VI. Les deux décrets publiés aujourd’hui par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ne promeuvent pas la dualité mais – comme l’a demandé Benoît XVI – travaille à l’enrichissement mutuel des deux formes du rite romain. À ce sujet, Benoît XVI avait déclaré dans sa lettre d’accompagnement annexée au Motu Proprio Summorum Pontificum : « D’ailleurs, les deux Formes d’usage du Rite Romain peuvent s’enrichir réciproquement: dans l’ancien Missel pourront être et devront être insérés les nouveaux saints, et quelques-unes des nouvelles préfaces. La Commission « Ecclesia Dei », en lien avec les diverses entités dédiées à l’usus antiquior, étudiera quelles sont les possibilités pratiques ». C’est exactement ce qui s’est passé maintenant avec ces deux décrets ; ni plus ni moins !
Cette mesure ne se traduit donc pas par une rupture au niveau de l’Église, mais par un enrichissement dont de plus en plus de fidèles sont convaincus.
Il convient de signaler une dernière contradiction dans la lettre ouverte : les signataires déclarent : « il n’est plus logique de promulguer des décrets pour “réformer” un rite qui est fermé dans le passé historique, inerte et cristallisé, sans vie et sans vigueur. Il ne peut y avoir de réanimation de ce rite ». C’est précisément l’ajout de la forme extraordinaire (et non – comme le disent les signataires – le rite) qui montre clairement qu’elle n’est pas fermée dans le « passé historique », mais qu’elle peut se développer de façon organique. Le fait que la forme extraordinaire ne soit pas « sans vie ni sans vigueur » est démontré partout où on peut assister à une célébration eucharistique dans la forme extraordinaire du rite romain. Que cela convienne ou non aux soi-disant liturgistes.