Dire que ce texte est “réconfortant” serait quelque peu inconvenant en raison de la gravité du sujet qu’il aborde, mais il l’est quand même par l’esprit de vérité qui l’a suscité. Il est rare de lire une analyse aussi imparable venant d’un membre du clergé diocésain. L’abbé Henri Vallançon, curé de la paroisse Notre-Dame-de-Cenilly – onze communes, douze cochers… – du diocèse de Coutance, l’a fait paraître dans le quotidien La Manche libre du 4 octobre dernier
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Une nouvelle fois, l’Église est entachée par le scandale de nombreux prêtres à travers le monde ayant pratiqué des actes sexuels sur des mineurs.
Le même scénario se répète à chaque fois : des déclarations de honte et de repentance sont produites par les autorités catholiques, avec une note appuyée de compassion pour les victimes et des promesses de réforme pour l’avenir. Évidemment, l’efficacité de la réaction perd de sa force au fur et à mesure, car nous suivons, apeurés, un rythme qui nous est imposé : c’est seulement depuis que les victimes organisent leur riposte juridique que nous disons prendre conscience de la gravité de ces actes délictueux ! Il nous faut la pression des médias pour esquisser un commencement de réaction. Incapable de juger à temps les coupables et de leur appliquer les sanctions appropriées, l’institution ecclésiastique ne se détermine plus guère à partir d’un jugement objectif sur les fautes selon son droit canonique et sa doctrine théologique, mais elle se contente d’organiser avec des experts laïcs des communications de crise.
La ruine de l’autorité morale de l’Église qui en résulte la détruit de l’intérieur : elle n’existe que pour être le témoin crédible de la révélation divine. Prêtres qui vivons au contact des gens, nous sommes atteints au cœur : si nous avons perdu leur confiance, notre ministère est impossible.
Ce qui me frappe dans les réactions officielles, c’est leur impuissance à s’élever au-delà du registre émotionnel et à identifier les causes du mal. La pédophilie de ces prêtres viendrait de leur « cléricalisme » et de leur « séparation », de leur prise excessive de distance vis-à-vis des autres, etc. On se rapproche le plus possible des arguments qui conviennent aux médias, pour négocier leur indulgence.
Outre que tous les cas que je connais contredisent ces explications, la question de fond me semble la suivante : comment est-il possible que la conscience d’un prêtre soit si profondément obscurcie qu’il en vienne à poser des actes aussi graves ?
Depuis quelques décennies, un mouvement général de sécularisation du prêtre s’est emparé du clergé, un climat anti juridique et anti doctrinal s’est développé au profit de postures soi-disant pastorales, les signes distinctifs visibles ont été abandonnés dans l’habit et dans le comportement. Malaise autour des concepts de loi et de dogme, effacement des justes frontières dans les relations humaines… Comment, dans ces conditions, le prêtre peut-il garder vive la conscience qu’avec l’onction sacerdotale reçue au jour de son ordination, il est un être consacré, mis à part par le Christ pour être totalement dédié à Son service ? Peu à peu, tout se banalise. Si ce qui est le plus sacré se désacralise, le plus grave devient anodin.
Depuis quelques décennies, au catéchisme, dans les séminaires diocésains, dans les homélies se sont radicalement estompées de la formation de la conscience morale : une définition claire du péché originel, à cause duquel nul ne peut être sauvé sans la grâce de Dieu que confèrent les sacrements ; la possibilité du péché mortel, dont la conséquence est la damnation éternelle ; l’existence d’actes intrinsèquement pervers, indépendamment de l’intention de celui qui les pose ; la nécessité de l’ascèse et du sacrement de pénitence pour lutter contre le mal ; l’obéissance à la volonté de Dieu et l’acceptation de tous les sacrifices à consentir pour ne jamais la transgresser ; la place d’honneur faite à la vertu de chasteté, dans le mariage comme dans le célibat consacré ; la mise en garde vis-à-vis du monde et de ses sollicitations qui souillent la pureté de l’âme…
Tant que les hommes d’Église ne renoueront pas avec la prédication de ces vérités évangéliques, ils se laisseront eux-mêmes corrompre par le mal qu’ils ne combattent plus et entraîneront dans leur dérive ceux auxquels ils s’adressent.
Bravo pour cette belle analyse. Rien à ajouter.
Bonjour,
Je me permets de vous faire parvenir un édito que j’ai rédigé dans mon journal paroissial sur la question du scandale des prêtres
L’Eglise catholique et certains de ses prêtres
L’actualité médiatique nous présente pêle-mêle un certain nombre de faits graves (récents et parfois très anciens) liés aux actes et aux silences coupables de membres de l’Eglise catholique. Il y a tout juste cinquante ans, celle-ci a subi de plein fouet la révolution culturelle de Mai 68. Certes, tous les maux dont l’Eglise souffre ne viennent pas uniquement de cette période. Mais dans sa Lettre aux catholiques d’Irlande (19 mars 2010), le pape Benoît XVI n’hésita pas alors, à décrire dans les grandes lignes les causes de l’affaiblissement des consciences qui en résulta. Les faits honteux qui nous viennent du Chili, d’Irlande, de Pennsylvanie, de France et d’ailleurs ne font que mettre en lumière le constat énoncé le 29 juin 1972 par le bienheureux pape Paul VI : « Par quelque fissure, les fumées de Satan sont entrées dans le temple de Dieu. »
L’Eglise catholique n’est malheureusement pas la seule institution touchée mais elle est la plus facile à pointer du doigt. Depuis que je suis prêtre, j’ai reçu la confidence de bon nombre de personnes abusées au sein même de leur famille. Dans d’autres religions des scandales identiques sont aussi dénoncés. Loin de nous disculper, ceci nous montre que ce mal profond est lié à une sorte de pollution des consciences dont on commence à peine à mesurer l’ampleur. Sur le site valeursactuelles.com, Jean-Paul BRIGHELLI publiait le 15 mars 2018 l’article : Les collégiens saisis par la pornographie. L’auteur y affirme, qu’il y a six ans : « l’âge moyen — garçons et filles mêlés — du premier visionnage de film porno était de douze ans ! »
Curieusement, ceux qui reprochent le plus à l’Eglise catholique son discours « moral anti libertaire » basé sur une sexualité humanisante fondée sur la différence des sexes et l’anthropologie biblique, sont les mêmes qui aujourd’hui tirent à boulet rouge sur les défaillances de certains de ses membres.
Dans bien des situations on a fréquemment utilisé les expressions : « pas d’amalgame », « faisons la différence entre la justice médiatique et la justice civile », « présomption d’innocence », etc. Oserons-nous en tant que chrétiens et personnes de bonne foi dirent qu’il ne faut pas jeter le bébé (de la foi) avec l’eau du bain (de la juste colère), que la sainteté de l’Eglise et la Vérité de son message sur le Christ n’empêchent malheureusement pas le péché de ses membres. « Il est inévitable qu’arrivent les scandales ; cependant, malheureux celui par qui le scandale arrive ! » (Matthieu 18, 7).
A l’aube de cette rentrée paroissiale, je remercie tous ceux qui continueront à manifester à leurs prêtres leur confiance et qui prieront pour eux, même pour ceux qui ont lourdement fauté. Le 1er octobre à 20h, lors de la veillée en l’honneur de Ste Thérèse de L’Enfant Jésus, en l’église de Masevaux, nous porterons dans la prière cette actualité douloureuse de l’Eglise.
Abbé Frédéric Flota
Analyse juste et sensée. Je signe des 2 mains. Marie-Véronique