Notre confrère Paix Liturgique dans sa lettre n°650 publie son panorama de la tradition en France et s’interroge sur ce que représente le traditionalisme français mais aussi quelles sont ses racines.
Des racines profondes
Souvent, à l’étranger mais aussi parfois en France, on limite la réaction des catholiques français aux bouleversements conciliaires et postconciliaires à la figure de Mgr Marcel Lefebvre, premier archevêque de Dakar et supérieur général des Spiritains au moment du Concile. Pourtant, bien avant que Mgr Lefebvre ne se décide en 1970 à fonder la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X pour la préservation et la restauration du sacerdoce catholique, de nombreux français prêtres et laïcs avaient manifesté leurs craintes et leur refus face aux réformes modernistes.
La réaction sacerdotale a eu plusieurs aspects. Un aspect intellectuel tout d’abord avec la publication de nombreux textes critiquant les erreurs néo-modernistes – pensons par exemple au travail du RP Calmel, théologien dominicain, ou à celui de l’abbé de Nantes, fondateur de la Contre-Réforme Catholique, dont on peut dire qu’il fut le premier « résistant » traditionaliste. Un aspect militant ensuite avec des prêtres comme l’abbé Coache ou le P. Barbara qui emmèneront des centaines de fidèles en pèlerinage à Rome au début des années 70 pour y manifester leur attachement à la messe de saint Pie V. Un aspect local enfin avec de très nombreux curés qui, dans chaque diocèse, s’efforcèrent de conserver voire de restaurer dans leur paroisse tout ce que le souffle conciliaire emportait. Malheureusement la plupart d’entre eux furent persécutés, parfois très cruellement, par leur hiérarchie et leurs confrères jusqu’à ce qu’ils cessent de vivre leur vie catholique comme ils l’avaient reçue et qu’elle avait existé depuis des temps immémoriaux. Seuls quelques « curés témoins », la plupart du temps en zone rurale, parvinrent à traverser ces années de plomb mais, lorsque ils étaient contraints de cesser en raison de l’âge ou parce que rappelés vers le Seigneur, leur œuvre disparaissait très rapidement laissant les fidèles attachés à ce que ces prêtres avaient maintenu dans un isolement quasi total…
Dans les communautés religieuses aussi, des réactions précédèrent celle de Mgr Lefebvre. Il faut bien entendu mentionner le rôle joué par l’abbaye bénédictine de Fontgombault et sa première « fille », Notre-Dame de Randol, qui conservèrent la messe traditionnelle jusqu’en 1974 et celui de dom Gérard Calvet, fondateur d’un prieuré bénédiction à Bédoin, dans le Vaucluse (et qui fondera plus tard, l’Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux) sans omettre certains Pères de Saint-Vincent de Paul. Sans oublier que, côté féminin, les dominicaines du Saint-Esprit (Pontcalec), d’une part, et d’autre part, accompagnant l’œuvre de Mgr Lefebvre, les deux rameaux des dominicaines enseignantes du Saint-Nom-de-Jésus (Fanjeaux et Brignoles), ont concouru à préserver, à travers l’éducation catholique des jeunes filles, l’essence même de la famille catholique.
À côté de clercs la mobilisation des fidèles eut une importance immense car ces laïcs disposaient de plus de liberté pour agir et réagir même si, à plusieurs moments, se croyant encore aux heureux temps de l’Eglise d’avant le Concile, les autorités essayèrent d’user de la force ou d’un droit devenu totalement anachronique du fait de ce Concile, pour faire taire ces esprits libres et indépendants par menaces de sanctions canoniques…
Plus d’un demi-siècle après cette sombre période, il faut rendre un hommage particulier à Jean Madiran qui, à la tête de la revue Itinéraires, joua, avec courage, intelligence et obstination, un rôle décisif dans le « grand refus » du nouvel Ordo et de l’abandon du catéchisme et de la falsification de l’Ecriture. D’autres personnalités eurent un rôle éminent, tels, entre autres, Michel de Saint-Pierre, Louis Salleron, Jacques Perret, ou des personnalités inspirées et inspirantes comme Henri et André Charlier, et aussi Jean Ousset qui, même si il ne s’impliqua pas directement dans les questions religieuses et liturgiques, permis cette réaction par le terreau humain qu’il contribua à former. Essentielle fut également la création d’Una Voce par Georges Cerbelaud-Salagnac, en 1964, comme celle du mouvement des Silencieux de l’Église de Pierre Debray. Sous l’angle militant nous nous souvenons de L’Alliance Saint-Michel qui en première ligne lutta contre les abus les plus criants. Il faut citer aussi la création des Scouts d’Europe en 1958 (qui à l’époque étaient clairement engagés dans l’opposition aux nouveautés religieuses) et celle du MJCF, en 1967, que nous avons rappelée dans notre lettre 614.
NB : Illustrations : Ordinations sacerdotales IBP 2018, ordinations sous-diaconales FSSPX 2016