Dom Louis-Marie de Geyer, abbé de Sainte Madelmeine du Barroux, nous propose une réflexion sur la règle de Saint-Benoit… et les droits (srutout les devoirs) des moines
Ne cherchez pas dans la Règle l’expression « les droits de l’homme », vous ne la trouverez pas. Les moines n’ont-ils alors aucun droit ? Formulé ainsi, aucun. Si ce n’est peut-être qu’au chapitre sur les choses impossibles il est dit que le moine a le droit de signaler au supérieur que l’ordre donné dépasse ses possibilités.
Mais pour comprendre la pensée de saint Benoît, la belle harmonie qu’il veut faire régner dans le cloître, prenons quelques exemples. Le moine a-t-il le droit de posséder un crayon, du papier et toute autre chose indispensable à sa vie contemplative ? Il semblerait que oui, car saint Benoît juge ces objets indispensables, mais il ne dit pas explicitement que le moine « a le droit » de les avoir à son usage, il dit que l’abbé « a le devoir » de les donner. Autre exemple : l’abbé a-t-il le droit d’être obéi par les moines ? Nulle part dans la Règle vous ne trouverez ce droit exprimé de façon aussi directe. Non, saint Benoît entend simplement que les moines ont le devoir d’obéir à leur supérieur. Les moines ont-ils le droit de garder leur rang en communauté et ont-ils le droit de recevoir la même affection de la part du père Abbé ? Saint Benoît dit non pas cela, mais que le supérieur a le devoir de ne pas troubler l’ordre sans raison et surtout de ne point faire acception des personnes. Saint Benoît insiste donc sur les devoirs mutuels et non sur les droits.
Cela semble tout à fait égal puisqu’à la fin les moines ont leur crayon, le père abbé est obéi et l’ordre est respecté. Mais ce n’est pas égal du tout, car l’esprit est tout différent et même aux antipodes dans l’une et l’autre formule. L’une, insistant sur les devoirs, favorise la charité, et l’autre, insistant sur les droits, favorise l’égoïsme. C’est finalement la différence entre la cité de Dieu, où l’amour de Dieu et des autres va jusqu’à la haine de soi, et la cité du diable, où l’amour de soi va jusqu’à la haine de Dieu et des autres.
Et c’est une des raisons pour lesquelles saint Benoît bannit tout murmure en communauté. En effet, les murmures sont souvent dus à la revendication de droits. Déjà, au début de la Règle, il se moque de ces soi-disant moines qui déclarent saint tout ce qu’ils désirent. Le moine ne doit jamais réclamer pour lui quoi que ce soit, ce qui exprime bien que l’âme du moine s’élève vers Dieu en pensant non pas à ses droits mais à ses devoirs.
Voilà une réflexion bien étrange de la part du Père abbé. Ces moines ne sont-ils pas aussi (et avant tout) des baptisés ? À ce titre il relève, comme tout baptisé catholique latin du Code de droit canonique de 1983 qui consacre tout un titre aux devoirs et droits de tous les fidèles (c. 208-223), quel que soit leur état de vie. Ceci sans compter les normes communes concernant la vie consacrée et celles plus spécifiques pour les instituts de vie religieuse.
Le risque de la position de dom L-M de Geyer est d’oublier que l’ordre bénédictin n’est pas l’Église mais participe à sa manière riche et féconde à la mission commune de cette dernière.
Il semble qu’une petite mise à jour canonique ne lui ferait pas de mal.