Mgr Jean-Pierre Batut, évêque de Blois et l’un des rédacteurs du document épiscopal Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique sur la prochaine élection présidentielle, et Jacques Julliard, journaliste, historien et essayiste, auteur notamment de Les Gauches françaises. 1762-2012, débattent dans Famille chrétienne de la politique. Extraits des propos de Mgr Batut :
Mgr Jean-Pierre Batut – La France a toujours considéré que non seulement elle avait une mission universelle, mais que cette mission universelle devait comme s’imposer naturellement aux autres pays, et que notre vie politique avait de ce fait un impact sur le reste du monde. La globalisation a eu pour effet de nous dégriser. Chez nous, la désillusion est d’autant plus forte que nous avons l’impression de ne plus avoir prise sur l’Histoire. […]
Dans l’Évangile de saint Jean, Jésus répond à Pilate : « Mon royaume ne provient pas de ce monde. » Beaucoup de chrétiens ont compris : « Mon royaume n’est pas de ce monde », alors que le texte grec dit : « ne provient pas ». Cela veut dire que, même si son origine n’est pas ce monde, le Royaume est déjà présent ici-bas dans la mesure où le Christ est rendu présent. L’Évangile ne parle pas d’un système politique en particulier, mais du comportement des disciples du Christ. Ils ont une vocation politique – au sens le plus noble du terme – qui consiste à féconder et à habiter les réalités de ce monde. Le texte de Vatican II sur « L’Église dans le monde de ce temps » a développé ce thème d’une manière qui reste très actuelle : ceux qui ont la tentation de jeter l’anathème sur la politique ne vont pas au bout de leur vocation baptismale.
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Je pense que le rapport de la tradition musulmane à l’autorité politique est fondamentalement différent de celui de la tradition chrétienne. L’islam est une religion bien sûr, mais c’est aussi une loi, dont les prescriptions fondent la vie de la communauté. Du coup, on ne peut pas dire avec précision si c’est une communauté religieuse ou une communauté politique, ou les deux en même temps.
Notre laïcité, qui s’est constituée dans la confrontation avec la tradition chrétienne, se retrouve très démunie pour faire face à l’interpellation que lui adresse l’islam. Durcir la laïcité, en faire une laïcité de combat, c’est répondre à côté de la question posée, et causer des dommages collatéraux au modus vivendi qui existe avec les confessions chrétiennes et juive. […]
Je redoute une crispation de la laïcité, que certains comprennent comme un athéisme d’État, avec l’idée que les religions ne jouent aucun rôle positif dans la société et ne sont rien d’autre que des facteurs de violence. Ayant fait toute ma scolarité dans l’école publique à Paris, j’ai gardé le souvenir d’une laïcité apaisée où l’instituteur et le curé (les deux personnages qui m’ont le plus marqué dans mon primaire), un saint laïc et un saint tout court, agissaient dans le même sens pour éduquer les enfants que nous étions. Quand mes parents m’ont inscrit en 6e au lycée Buffon, il y avait en bas de la fiche d’inscription : « L’élève suivra-t-il le cours d’instruction religieuse ? » ; et dans l’affirmative, on devait cocher « catholique, protestant, israélite ». C’était l’administration du lycée qui transmettait à l’aumônerie concernée les inscriptions des élèves. À la fin de l’année, c’était le proviseur qui venait nous remettre les prix de catéchisme ! Cette laïcité demeure un souvenir éminemment positif de mon enfance et de mon adolescence.