Deux mille cinq cent kilomètres. C’est la distance de sécurité que les autorités chinoises ont cru bon de mettre entre Mgr Shao Zhumin, désormais évêque de Wenzhou, et Ma’ao, village natal de Mgr Zhu Weifang, décédé le 7 septembre dernier à l’âge de 89 ans. En éloignant ainsi le jeune évêque de 53 ans,
les autorités l’ont empêché de célébrer la messe de funérailles de Mgr Zhu, un geste qui aurait posé aux yeux de tous le fait que Mgr Shao est l’évêque en titre de cet important diocèse de la province du Zhejiang.
Ce 13 septembre au matin, la police avait pris des dispositions pour que l’affluence à la messe de funérailles soient la plus limitée possible. Les autorités avaient contingenté l’assistance à 400 personnes seulement pour la cérémonie religieuse, et à 3 000 personnes pour la procession qui devait suivre. En réalité, selon les informations de l’agence Ucanews, la petite église du village de Ma’ao était pleine à craquer avec quelque 600 fidèles – dont une quarantaine de prêtres de Wenzhou et des diocèses voisins – et la procession qui a accompagné l’urne contenant les cendres de Mgr Zhu de l’église jusqu’au cimetière a rassemblé 5 000 personnes, dont des catholiques issus de la partie « clandestine » de l’Eglise locale. Aucun prêtre de la partie « clandestine » n’a toutefois pu assister à la messe ou à la cérémonie au cimetière.
Un évêque opportunément en voyage
L’absence la plus notable aux obsèques de Mgr Zhu a été celle de Mgr Shao. On se souvient qu’en 2007, en vue de favoriser l’unité entre les communautés « officielle » et « clandestine », Rome avait nommé évêque de Wenzhou Mgr Zhu, avec comme évêque coadjuteur Mgr Shao. Mgr Zhu était issu de la communauté « officielle » et Mgr Shao de la communauté « clandestine », et il était entendu qu’au décès de Mgr Zhu, Mgr Shao prendrait la tête de l’ensemble du diocèse de Wenzhou, un diocèse dynamique de quelque 120 000 fidèles. A l’époque, Pékin accepta la nomination par le pape de Mgr Zhu comme évêque mais n’a jamais reconnu celle de Mgr Shao.
Cette non-reconnaissance par Pékin du statut épiscopal de Mgr Shao explique la « disparition » de ce dernier. En effet, alors que Mgr Zhu vivait ses derniers jours et face à l’aggravation de son état de santé, la police avait pris les devants dès le 23 août dernier en retirant Mgr Shao de la circulation. Au moins trois autres prêtres « clandestins », dont le chancelier du diocèse, furent ainsi « mis au vert », l’un étant envoyé dans la lointaine province du Yunnan, l’autre au Fujian et le troisième à Hangzhou, capitale du Zhejiang.
Selon une source ecclésiale locale, Mgr Shao et les trois prêtres devraient « réapparaître » demain, 14 septembre, l’objectif recherché par la police – à savoir les empêcher d’assister ou de présider les funérailles de Mgr Zhu – étant atteint. Avant même cette éventuelle réapparition, deux photos sont apparues sur le compte personnel de Mgr Shao sur le réseau social WeChat. Datées du 7 septembre, les photos montrent Mgr Shao aux côtés d’une personne présentée comme un laïc devant le « Guide National Geopark », un parc national situé dans la lointaine province du Qinghai, à 2 500 km au nord-ouest de Wenzhou. La légende des photos est ainsi formulée : « Un voyage dans le nord-ouest de la Chine pour apprécier la grandeur et la beauté de la Création. »
L’unité de l’Eglise
A l’agence Ucanews, un prêtre de Wenzhou explique que l’apparition de ces photos a « pour objet de montrer que l’évêque va bien et que des fidèles peuvent lui rendre visite ». Une autre source ecclésiale estime que les autorités, en donnant au voyage de Mgr Shao un air de normalité, cherchent à semer la discorde entre les communautés « officielle » et « clandestine » et rendre ainsi plus difficile la recherche de l’unité de l’Eglise.
Au cœur de l’actualité autour de la mort et des obsèques de Mgr Zhu, les manœuvres déployées par les autorités ne laissent pas d’intriguer. Celles-ci interviennent en effet alors que Pékin et Rome négocient un possible accord au sujet de la vie de l’Eglise en Chine, notamment le mode de désignation de ses évêques. Pour le Saint-Siège, Mgr Shao, coadjuteur de Mgr Zhu, est devenu automatiquement évêque de Wenzhou à la mort de ce dernier. Pour Pékin, la « mise au vert » de Mgr Shao dans un parc national du Qinghai ne signifie pas autre chose que le refus de reconnaître sa qualité d’évêque à Mgr Shao. Etant donné le caractère sensible des négociations entre Rome et le gouvernement chinois, il est très peu probable que le « voyage » de Mgr Shao ait été une initiative des seules autorités locales ; Pékin y aura forcément donné son assentiment.
Le 12 septembre au soir, une messe de requiem a été célébrée pour Mgr Zhu. Elle était présidée par le P. Ma Xianshi, prêtre « officiel » que Mgr Zhu avait désigné il y a quelques années pour administrer le diocèse. Dans son homélie, le P. Ma a dit la chose suivante : « Là où sont les évêques, là est l’Eglise. Un évêque est le signe visible de la communion épiscopale. Mais le diocèse de Wenzhou a continué de souffrir de la division en dépit des efforts déployés par les évêques, et la pleine communion reste à parachever. Nous prions Dieu et demandons l’intercession de Mgr Zhu pour que l’unité se fasse au sein de l’Eglise de Wenzhou. »
Source : Eglises d’Asie