« Pour être juste suffit-il d’obéir aux lois ? » Tel est l’un des sujets du bac de philo de cette session de juin 2016.
La justice n’est pourtant pas le thème le plus à la mode. D’une part la justice en France est largement discréditée et, d’autre part, on parle plus volontiers d’égalité et de tolérance que de justice. En d’autres termes, il est rarement demandé d’être juste aux jeunes (et moins jeunes) de nos jours. Pourtant, ceux-ci ont une cuisante conscience de l’injustice. Par effet miroir, ils ont une certaine intuition de la justice. Intuition qu’ils sont, à raison du reste, loin de mettre en rapport avec les lois.
La question, telle qu’elle est posée, suppose une large clarification des termes et du rapport entre eux, pour éviter l’amalgame et le contre sens. Mettre « être juste » en face de « lois » au pluriel crée déjà un risque de confusion et de lecture rapide. Notre société met, de nos jours, une distance entre être juste et la justice (celle des tribunaux), laquelle se réfère directement aux lois. La justice, comme vertu, c’est-à-dire celle qui permet de qualifier le juste ou l’injuste, ne se réfère pas aux lois, mais aux droits ou au droit au singulier. Il convient donc de préciser les termes et les concepts. La justice qui s’appuie sur les lois est une justice légale qui peut être dite juste en ce qu’elle respecte la loi et injuste au regard de celle-ci. Par exemple, si la loi prévoit de punir les voleurs, il est injuste qu’un jugement ne punisse pas les voleurs, étant saufs le contexte et les circonstances dites atténuantes, lesquelles, du reste, sont aussi prévues par ladite loi. Mais si la loi décide que le vol ne doit pas être puni, il est injuste au regard de la loi de punir. En ce sens, un juge juste est celui qui agit en obéissant à la loi. Mais celui, non juge, qui se contente de respecter la loi dans sa vie quotidienne est-il pour autant juste ? Contractuellement oui. Il est réputé juste, dans la mesure où le juste est celui qui ne tombe pas sous le coup des injustices que définissent les lois. En ce sens, un criminel aux yeux de la loi est celui qui n’a pas respecté ce qui était dû contractuellement par les lois et l’ensemble de ce qui les entoure, comme les jurisprudences.
Mais nous n’avons posé là que le rapport entre justice et loi, à savoir ce qu’il en est de la justice légale, celle décidée et imposée par la loi. Cette justice légale décide de ce qui est juste et injuste ou plus exactement de ce qui est justice et injustice. Car l’injuste n’est pas exactement l’injustice. L’injuste est ce qui n’est pas juste, tandis que l’injustice est l’acte par lequel nous commettons l’injuste, à savoir l’acte transgressif aux yeux de la loi. Aussi la loi ne définit-elle pas l’injuste, mais sanctionne l’injustice, à savoir la transgression de la règle commune décidée par le législateur. Finalement, obéir à la loi n’est pas être juste, mais ne pas transgresser la justice légale ce qui est totalement différent.
Car être juste n’est pas ne pas être injuste, mais pratiquer la justice. Dans le sens de la justice légale, le juge qui applique la loi est un juste juge. Celui qui la transgresse est injuste. Il y a donc, dans le rapport juste/lois, plusieurs niveaux à distinguer. Celui du juge qui rend la justice selon les critères de la loi. Celui du citoyen lambda qui vit selon les règles ou les transgresse. Le premier pourra être juste ou injuste au regard de la justice légale qu’il est chargé d’appliquer. Le second commettra ou non des injustices selon les normes légales en vigueur. Celui qui transgresse la loi peut être considéré comme posant des actes contraires à la loi, tandis que celui qui respecte la loi sera considéré comme posant des actes conformes à la loi. Le juge sera injuste par rapport à la loi elle-même qu’il est chargé d’appliquer. Celui qui transgresse la loi, en revanche ne sera pas injuste, mais aura commis une injustice envers une tierce personne lésée. Ce qui veut dire que l’injustice, comme la justice, ne portent pas sur les lois, mais sur l’acte posé et ses conséquences concrètes. Nous ne sommes pas injustes parce que nous avons transgressé la loi, nous sommes injustes parce que nous avons lésé une personne, qu’elle soit réelle ou morale.
Car la justice, prise comme absolu, c’est-à-dire en dehors du cadre législatif, n’est pas référée aux lois, mais au droit. En rigueur de termes, la justice c’est rendre ce qui est dû à qui cela est dû. En sens inverse, l’injustice revient à priver de ce qui est dû celui à qui cela est dû. Prenons un exemple. Un homme pour vivre doit manger à sa faim. Il est juste qu’il mange à sa faim car cela est dû à sa dignité d’être humain. Il est donc injuste qu’il soit privé de ce droit. De la même manière, dans un contrat passé entre deux personnes, il est injuste de ne pas respecter les termes du contrat qui sont dus aux signataires.
La véritable question n’est donc pas l’obéissance aux lois, mais le respect de ce qui est dû. Pour que la justice légale soit une justice réelle, il convient que la loi soit juste, à savoir qu’elle soit conforme à la réalité de ce qui est dû. Le législateur n’est pas là pour définir le juste et l’injuste, mais pour promulguer des lois visant à faire respecter la justice, à savoir ce qui est dû à chacun.
Aussi « être juste » dépasse de beaucoup l’obéissance aux lois et peut même parfois s’opposer aux lois, si elles sont injustes. C’est le cas bien connu d’Antigone qui se rebelle contre son oncle, lequel a promulgué une loi injuste au regard de la loi de justice absolue. Ainsi, non seulement pour être juste il ne suffit pas d’obéir aux lois, mais « être juste » n’a à voir avec les lois que de façon secondaire, c’est-à-dire en tant que les lois expriment la justice. La justice prime sur les lois, parce que la justice concerne la vérité de l’être humain. On est juste parce qu’on rend ce qui est dû à chaque être humain.
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