Voici l’entretien de Alain Christnacht au Monde.
N’oubliez pas au passage de signer la pétition demandant la nomination d’un autre président.
L’Eglise catholique a choisi Alain Christnacht pour présider la commission nationale d’expertise contre la pédophilie
Il a été l’homme de bien des missions difficiles. C’est peut-être pour cela qu’Alain Christnacht a été choisi par la Conférence des évêques de France (CEF) pour présider la commission nationale d’expertise contre la pédophilie annoncée le 12 avril. L’épiscopat réagissait ainsi aux révélations sur d’anciennes affaires mettant en cause des prêtres, et à la pression de victimes qui accusent l’Eglise catholique d’inertie, voire d’aveuglement lorsque des accusations d’actes pédophiles sont portées à sa connaissance.
Ce haut fonctionnaire de 69 ans a été, au cabinet de Lionel Jospin à Matignon, l’un des artisans des accords de Nouméa de 1998, qui ont ouvert la voie au processus d’autodétermination du territoire, avant de gérer les négociations en Corse. En juin 2015, il était devenu le quatrième directeur de cabinet de Christiane Taubira au ministère de la justice, mais Jean-Jacques Urvoas, le nouveau garde des sceaux, l’a remplacé. La présidence de l’UCPA et sa présence au conseil d’administration des Scouts et guides de France lui donnent une connaissance des problématiques liées à la lutte contre la pédophilie dans des organisations de jeunesse.
Quel sera le rôle de cette commission ?
Nous ne sommes ni des juges ni des médecins. Nous serons là pour conseiller les évêques. Depuis une quinzaine d’années, l’Eglise catholique a donné pour consigne très claire de saisir la justice quand il y a une suspicion suffisante de pédophilie à l’encontre d’un prêtre ou d’un laïc. C’est ce qu’ont fait tout récemment l’évêque de Cayenne et l’évêque d’Orléans. Quand la justice est saisie, notre rôle consistera à proposer aux évêques qui nous demanderont conseil les mesures conservatoires à prendre pour éviter, pendant le temps de l’instruction judiciaire, tout risque de récidive. Nous essaierons de tendre au risque zéro pour les mineurs.
L’éducation nationale, quand elle a des soupçons suffisants, saisit la justice et suspend l’enseignant. Quel est l’équivalent de la suspension d’un enseignant dans l’Eglise ? Suspendre un prêtre, ce n’est pas nécessairement ce qu’il faut faire. Ce qu’il faut, c’est minimiser les risques. Si le prêtre est aumônier d’un groupe de jeunes, bien entendu on le suspendra de cette fonction-là. Mais s’il est en paroisse, il peut aussi être en contact de jeunes. Que prévoir alors ? Et si on le change d’affectation, il faut prévenir ses nouveaux responsables de la raison pour laquelle on le fait. Le secret peut être dangereux.
Interviendrez-vous aussi hors procédure judiciaire en cours ?
C’est possible. Car on voit que remontent des affaires très anciennes. La justice peut avoir été saisie et la peine purgée. Il se peut aussi que la justice ait considéré qu’il y avait prescription. Dans ces cas-là, la commission pourra donner des conseils sur le sort à réserver au prêtre concerné. Si, bien sûr, la justice a confirmé la réalité des faits.
Conseillerez-vous sur l’opportunité ou non de saisir la justice ?
Ce ne sera pas à nous de dire s’il faut ou non saisir la justice. Ce serait une responsabilité très forte qui nous serait transférée et une régression pour l’Eglise. C’est à l’évêque de décider. Nous pourrons aussi être utiles en dégageant progressivement une sorte de ” jurisprudence ” sur les mesures préventives ou post-condamnation que l’on peut prendre dans différents cas de figure. Cela dépend de l’âge du prêtre, du rapport à la jeunesse dans ses fonctions…
Ce qu’on voit bien à travers les différents cas, c’est que le problème essentiel, pour l’Eglise, est sa vitesse de réaction. Au fond, c’est ça qui est le plus reproché par exemple au diocèse de Lyon. On ne peut pas sauter sur la première rumeur mais il faut prendre des mesures de précaution. Car si les faits sont avérés, il y a le risque qu’ils continuent et ça, c’est insupportable.
On sait que la tendance à la récidive est très forte. Il ne suffit pas de dire, ce qui a été longtemps la tentation psychologique dans l’Eglise, ” faites des efforts, repentez-vous “. Il y a eu une sous-estimation de la force de la pulsion.
Que direz-vous dans les cas anciens où les prêtres sont morts ?
Je ne vois pas trop ce que nous pourrions dire car le risque de récidive et la menace sur des mineurs n’existent plus, il appartient alors aux cellules que l’épiscopat a décidé de généraliser d’écouter les victimes qui se manifestent aujourd’hui. Si elle n’a pas agi alors qu’elle avait des éléments pour le faire, l’institution peut faire son autocritique.
Vous n’avez donc pas vocation à être saisi par des victimes ?
Non, cela risquerait aussi de déresponsabiliser les structures d’Eglise. La justice doit être saisie par les gens qui ont directement connaissance de l’infraction. Les victimes auront un site qui leur permettra de s’orienter.
Comment allez-vous composer la commission ?
Elle pourrait comprendre un magistrat judiciaire, juge des enfants ; un pédopsychiatre ou psychologue, sachant qu’il ne s’agira pas d’examiner le cas d’un point de vue médical – il n’y aura pas de rencontre avec l’auteur des faits ; un animateur de mouvement de jeunes ; et peut-être un représentant des parents. Je pense que nous dégagerons assez vite une sorte de grille, de typologie pour agir. Nous aurons aussi la mission d’harmoniser les pratiques entre les diocèses.
Propos recueillis par, Cécile Chambraud
Source : Le Monde du 22 avril 2016