Editorial de Mgr Olivier de Germay, évêque d’Ajaccio :
“Indépendamment de la religion, le jeûne connait aujourd’hui une sorte d’engouement. Jeûner devient « tendance ». Ils sont de plus en plus nombreux à participer à des stages de jeûne, dans le but, entre autres, de « détoxifier » l’organisme. Peut-être cette mode est-elle à mettre en lien avec le décalage grandissant entre ceux qui souffrent de ne pas assez manger, et ceux qui meurent des suites d’une alimentation trop riche. Quoi qu’il en soit, le jeûne possède de nombreuses vertus.
Le jeûne est tout d’abord un exercice d’ascèse comme il en existe dans la plupart des spiritualités ou sagesses. En permettant une plus grande maitrise des désirs, il aide à grandir en liberté intérieure. Celui qui n’est pas capable de renoncer à certains des désirs qui surgissent en lui, ou à en différer la réalisation, prend le risque d’être un éternel addict insatisfait.
Ce n’est pas en étant en possession de toutes nos facultés que nous pouvons faire la volonté de Dieu, mais en accueillant sa grâce au creux de nos fragilités.
Mais le jeûne proposé par l’Eglise, tout particulièrement pendant le carême, est davantage qu’un simple exercice d’ascèse. Il nous met tout d’abord dans une situation de faiblesse, nous évitant ainsi l’illusion de nous croire capables de réaliser par nous-mêmes ce que le Seigneur attend de nous. Ce n’est pas, en effet, en étant en possession de toutes nos facultés que nous pouvons faire la volonté de Dieu, mais en accueillant sa grâce au creux de nos fragilités. Bien des saints en ont fait l’expérience, à commencer par le bon larron suspendu à sa croix, ou encore saint Paul à qui Jésus dit : « ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12,9). Cette faiblesse acceptée avec humilité et remise avec confiance entre les mains de Dieu permet de devenir des pauvres de cœur et de laisser Dieu agir. Le jeûne joint à la prière devient ainsi une véritable arme spirituelle pour résister à la tentation.
Le jeûne nous met également dans une situation de manque. Il nous évite ainsi d’être comme celui dont parle le psalmiste : « on t’applaudit car tout va bien pour toi » (Ps 48,19). Le risque est bien réel, en effet, lorsque nous ne connaissons pas d’épreuve particulière, de mettre en place un système de satisfactions qui masquent notre soif de Dieu. Ayant ainsi l’illusion d’être comblés, nous ne sommes plus des chercheurs de Dieu, nous ne sommes plus dans l’attente du Bien-aimé. Or « des jours viendront où l’Epoux leur sera enlevé ; ce jour-là, ils jeuneront » dit Jésus (Mc 2,20). Le jeûne fait de nous des veilleurs, il nous met dans l’attente de la Rencontre. Le manque créé par le jeûne nous rappelle l’existence en nous d’un vide intérieur que Dieu seul peut combler ; il nous aide à rechercher « les réalités d’en haut » (cf. Col 3,1). Le jeûne redonne à nos vies un horizon eschatologique.
La tradition de l’Eglise nous met en garde contre un jeûne excessif dans lequel on donnerait plus d’importance à la performance qu’à la disposition intérieure qu’il suggère. Cependant, lorsqu’il va au-delà d’une simple privation ponctuelle, le jeûne nous permet d’imaginer ce que c’est qu’avoir faim. Il nous incite ainsi à moins gaspiller et surtout à partager avec ceux qui manquent du nécessaire.
Car, malgré toutes ses vertus, ne l’oublions pas, le jeûne n’est qu’un moyen. Il n’a de sens que dans la mesure où il nous aide à aimer davantage notre prochain : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug (…) ; n’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, (…) ne pas te dérober à ton semblable ? » (Is 58,6.7) Alors, jeûnons, mais surtout, convertissons-nous !
Attention à ne pas oublier l’accent circonflexe…