L’Homme Nouveau donne la parole à un moine de Triors pour commenter le discours adressé par le pape aux évêques du Mexique le 13 février à Mexico. Ces discours aux évêques en effet, qu’ils fussent prononcés au cours des visites ad limina ou des voyages apostoliques, indiquent bien la ligne qu’entend suivre le Pape. Un pape à la doctrine sûre selon le révérend père bénédictin.
Le Pape vient d’accomplir un voyage au Mexique durant lequel il prononça de nombreux discours importants, très fermes et doctrinalement très sûrs. Les lire donne un tout autre visage du Pape que celui transmis par les médias
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Sous le regard de Notre-Dame de Guadalupe, le Pape, reprenant un thème spirituel des plus importants, entend donner des consignes précises aux évêques pour promouvoir la Nouvelle évangélisation dans le cadre de l’Année de la miséricorde. Le mystère du regard de Marie, comme d’ailleurs celui de Jésus, est porteur de grandes leçons. Il est d’abord une marque de la tendresse miséricordieuse de Dieu pour tous les hommes. L’Ancien Testament nous montre en effet deux visages de la tendresse de Dieu : l’un plus masculin traduit par le terme Hesed, l’autre plus féminin qui reprend l’image du sein maternel foyer de miséricorde, comme on le voit dans l’épisode du jugement de Salomon : « c’est elle la mère ». Ce côté maternel de la miséricorde est source pour nous d’une grande confiance, car une mère n’abandonne jamais ses enfants. Et Marie, au besoin en répandant des larmes, ne cesse de nous avertir de détourner notre regard de ce qui n’en vaut pas la peine. Et le sein maternel de Marie allaite ses enfants afin qu’ils ne boivent pas aux fontaines crevassées qui répandent partout les méfaits de la mondanité et de la technologie avancée, quand celle-ci n’est plus orientée vers Dieu.
Le regard de Marie conduit chacun de nous au regard de Jésus. Pourquoi ? Le Pape en donne plusieurs raisons. D’abord, c’est un regard capable de tisser, image heureuse pour exprimer le sens et le rôle de la Tradition. Il faut savoir retrouver nos racines chrétiennes, souvent humbles et obscures comme les fils d’un tissu. Le regard de Marie est aussi attentif, proche et toujours en éveil. Avec elle, il n’est pas possible d’être tiède, ce qui nous prémunit du danger d’être « vomi » par le Seigneur (cf. Apocalypse). Soyons donc toujours charitables et jamais distants ou hautains. Enfin, le regard de Marie est un regard d’ensemble et d’unité. Le chrétien n’est jamais un isolé ou un membre mort. Il fait partie de la communion de l’Église et peut ainsi porter des fruits. C’est l’occasion de rappeler que l’on ne se sauve jamais seul, mais toujours en famille et en Église. Ah qu’il est beau le mystère de la communion des saints ! Nous restons des hommes et Satan cherche toujours quelqu’un à dévorer. Il est bon alors de se souvenir de la phrase clé de la pastorale du Pape à l’égard des époux : « Cassez des assiettes tant que vous voulez, mais chaque soir pardonnez-vous ». Il le redit ici d’une façon différente aux évêques. Le défi de l’évangélisation est grave et difficile. Regardons Marie et Jésus lumière du monde et alors nous n’aurons rien à craindre. Et nous entendrons Marie nous dire : « Ne suis-je pas ici, moi qui suis ta mère ».
Le discours du Pape :
Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer le lendemain de mon arrivée dans ce pays, que je viens moi aussi visiter, suivant les traces de mes Prédécesseurs. Je ne pouvais pas ne pas venir ! Le Successeur de Pierre, appelé du lointain sud latino-américain, pouvait-il se priver de l’opportunité de poser son regard sur la « Vierge Brune » ? Je vous remercie pour m’avoir accueilli dans cette Cathédrale, « petite maison », « petite maison »agrandie mais toujours « sacrée », qu’a demandée la Vierge de Guadalupe, et pour l’aimable mot de bienvenue que vous m’avez adressé.
Sachant qu’ici se trouve le cœur secret de chaque mexicain, j’entre sur la pointe des pieds comme il convient d’entrer dans la maison ainsi que dans l’âme de ce peuple, et je vous suis profondément reconnaissant de m’ouvrir la porte. Je sais qu’en contemplant les yeux de la Vierge, j’atteins le regard de votre peuple qui, en elle, a appris à se manifester. Je sais qu’aucune autre voix ne peut exprimer avec autant de profondeur le cœur mexicain comme la Vierge peut m’en parler ; elle protège ses plus hautes aspirations, ses espérances les plus cachées, elle recueille ses joies et ses larmes ; elle comprend ses nombreuses langues et leur répond avec la tendresse de Mère, parce que ce sont ses propres enfants.
Je suis heureux de vous rencontrer, ici dans les environs du « Mont du Tepeyac », comme à l’aube de l’évangélisation de ce Continent et, s’il vous plaît, je vous demande de me permettre d’exprimer tout ce que j’ai à vous dire en partant de la Guadalupana. Comme je voudrais que ce soit elle-même qui vous exprime, jusqu’au plus profond de vos âmes de Pasteurs et, par vous, à chacune de vos Églises particulières présentes dans ce vaste Mexique, tout ce qui s’écoule intensément du cœur du Pape.
Comme le fit saint Juan Diego et comme le firent les générations successives des enfants de la Guadalupana, le Pape également, depuis longtemps cultivait le désir de la regarder. Mieux, je voulais, moi-même, être sous son regard maternel. J’ai beaucoup réfléchi sur le mystère de ce regard et je vous prie d’accueillir ce qui jaillit de mon cœur de Pasteur en ce moment.
Un regard de tendresse !
Avant tout, la « Vierge Brune » nous enseigne que l’unique force capable de conquérir le cœur des hommes est la tendresse de Dieu. Ce qui enchante et attire, ce qui fait fléchir et vainc, ce qui ouvre et déchaîne, ce n’est pas la force des instruments ou la dureté de la loi, mais la faiblesse toute-puissante de l’amour divin, qui est la force irrésistible de sa douceur et la promesse irréversible de sa miséricorde.
Un remuant et important homme de lettres, (Octavio Paz), a dit qu’à Guadalupe, on ne demande plus l’abondance des récoltes ou la fertilité de la terre, mais qu’on y cherche un sein à travers lequel les hommes, toujours orphelins et déshérités, sont à la recherche d’un abri, d’un foyer.
Des siècles après l’évènement fondateur de ce pays et de l’évangélisation du Continent, le besoin de sein qui fait languir le cœur du peuple qui vous a été confié s’est-il estompé, est-il oublié ?
Je connais la longue et douloureuse histoire que vous avez traversée, non sans répandre beaucoup de sang, non sans de fortes et déchirantes convulsions, non sans violence et incompréhensions. Avec raison, mon vénéré et saint Prédécesseur, qui, au Mexique, se sentait comme dans sa maison, a voulu rappeler que : «[son] histoire est traversée, comme des fleuves parfois occultes mais toujours abondants, par trois réalités qui se rencontrent à certains moments et qui à d’autres révèlent leur différences complémentaires, sans jamais se confondre entièrement: l’ancienne et riche sensibilité des peuples autochtones qui aimèrent Juan de Zumárraga et Vasco de Quiroga, que beaucoup de ces peuples continuent à appeler pères, le christianisme enraciné dans l’âme des Mexicains et la rationalité moderne, d’origine européenne, qui a tant de fois voulu exalter l’indépendance et la liberté» (Jean-Paul II, Discours lors de la cérémonie de bienvenue au Mexique, le 22 janvier 1999).
Et dans cette histoire, le sein maternel qui a continuellement engendré le Mexique, même si parfois il paraissait un« filet qui recueillait cent cinquante-trois poissons » (Jn 21, 11) ne s’est jamais révélé stérile, et les fractures menaçantes se sont toujours résorbées.
C’est pourquoi je vous invite, à repartir de ce besoin de sein qui émane de l’âme de votre peuple. Le sein de la foi chrétienne est capable de réconcilier le passé souvent marqué de solitude, d’isolement et de marginalisation, avec l’avenir continuellement relégué à un lendemain qui s’esquive. Ce n’est que dans ce sein qu’on peut, sans renoncer à sa propre identité, «[découvrir] la profonde vérité de la nouvelle humanité, dans laquelle tous sont appelés à être fils de Dieu » (Id., Homélie à l’occasion de la canonisation de saint Juan Diego).
Inclinez-vous donc, frères, délicatement et avec respect, sur l’âme profonde de votre peuple, descendez en faisant attention et déchiffrez son mystérieux visage. Le présent, fréquemment dissous dans la dispersion et la fête, n’introduit-il pas aussi à Dieu qui est uniquement et pleinement présent ? La familiarité avec la douleur et la mort ne sont-elles pas des formes de courage et des chemins vers l’espérance ? Percevoir que le monde doit être toujours et seulement sauvé n’est-ce pas un antidote contre l’autosuffisance arrogante de ceux qui croient pouvoir se passer de Dieu ?
Bien entendu, en raison de tout cela, un regard capable de refléter la tendresse de Dieu est nécessaire. Soyez, par conséquent, des Évêques au regard limpide, à l’âme transparente, au visage lumineux. N’ayez pas peur de la transparence. L’Église n’a pas besoin de l’obscurité pour travailler. Veillez à ce que vos regards ne soient pas obscurcis par les pénombres du brouillard de la mondanité ; ne vous laissez pas corrompre par le matérialisme trivial ni par les illusions séductrices des accords [conclus] en dessous de la table ; ne mettez pas votre confiance dans les « chars et les chevaux » des pharaons actuels, car notre force est la « colonne de feu » qui divise les eaux de la mer en les fendant en deux, sans grand bruit (Ex 14, 24-25).
Le monde dans lequel le Seigneur nous appelle à accomplir notre mission est devenu très complexe. Et cela, bien que l’arrogante idée du « cogito », qui ne niait pas qu’il y ait au moins un roc sur le sable de l’être, soit aujourd’hui dominée par une conception de la vie, jugée par beaucoup, plus que jamais, vacillante, errante et affaiblie parce que sans substrat solide. Les frontières si fortement invoquées et soutenues sont devenues perméables à la nouveauté d’un monde dans lequel la force de certains ne peut plus se maintenir sans la vulnérabilité des autres. L’irréversible caractère hybride de la technologie rend proche ce qui était lointain, mais malheureusement, il éloigne ce qui devrait être proche.
Et précisément c’est dans ce monde même que Dieu vous demande d’avoir un regard capable de saisir l’interrogation fusant du cœur de votre peuple, l’unique qui a dans son calendrier une « fête du cri ». À ce cri, il faut répondre que Dieu existe et est proche à travers Jésus. Que seul Dieu est la réalité sur laquelle on peut construire, car « Dieu est la réalité fondatrice, non pas un Dieu seulement pensé ou hypothétique, mais bien un Dieu au visage humain »(Benoît XVI, Discours inaugural de la Ve Conférence générale du CELAM, 13 mai 2007).
Dans vos regards, le peuple mexicain a le droit de trouver les traits de ceux qui « ont vu le Seigneur » (cf. Jn 20, 25), de ceux qui ont été avec Dieu. C’est l’essentiel. Ne perdez donc pas du temps et des énergies dans les choses secondaires, dans les commérages et les intrigues, dans les vains projets de carrière, dans les plans vides d’hégémonies, dans les clubs stériles d’intérêts ou de coteries. Ne vous laissez pas entraîner par les rumeurs et les médisances. Introduisez vos prêtres dans cette compréhension du ministère sacré. Nous autres, ministres de Dieu, la grâce de « boire le calice du Seigneur », le don de protéger la part de son héritage qui nous est confiée, nous suffit, même si nous sommes des administrateurs inexpérimentés. Laissons le Père nous assigner la place qui nous a été préparée (Mt 20, 20-28). Pouvons-nous vraiment nous occuper d’affaires autres que celles du Père ? En dehors des « affaires du Père »(Lc 2,48-49), nous perdons notre identité et, de manière coupable, nous rendons vaine sa grâce.
Si notre regard ne témoigne pas d’avoir vu Jésus, alors ses paroles dont nous faisons mémoire ne représenteraient que des figures rhétoriques vides. Peut-être exprimeraient-elles la nostalgie de ceux qui ne peuvent pas oublier le Seigneur, mais de toute façon, elles ne seraient que le balbutiement d’orphelins près du tombeau. Des mots en fin de compte incapables d’empêcher que le monde soit abandonné et réduit à sa propre puissance désespérée.
Je pense à la nécessité d’offrir un sein maternel aux jeunes. Que vos regards soient capables de croiser leurs regards, de les aimer et de saisir ce qu’ils cherchent avec ce courage avec lequel beaucoup, comme eux, ont quitté barques et filets sur l’autre rive de la mer (Mc 1, 17-18), ont abandonné des bancs d’extorsions en vue de suivre le Seigneur de la vraie richesse (Mt 9, 9).
Je suis préoccupé par beaucoup d’entre eux, qui, séduits par la puissance du monde, exaltent les chimères et se revêtent de leurs macabres symboles pour commercialiser la mort en échange de trésor qu’en fin de compte les mites et la rouille dévorent, et qui incite les voleurs à percer les murs (cf. Mt 6, 20). Je vous demande de ne pas sous-évaluer le défi moral et anticivique que représente le narcotrafic pour la jeunesse et pour toute la société mexicaine, y compris l’Église.
La proportion du phénomène, la complexité de ses causes, l’immensité de son extension comme une métastase qui dévore, la gravité de la violence qui désagrège, tout comme ses connexions néfastes, ne nous permettent pas à nous, Pasteurs de l’Eglise, de nous réfugier derrière des condamnations génériques, une espèce de nominalisme. Mais tout cela exige un courage prophétique ainsi qu’un projet pastoral sérieux et de qualité, pour contribuer, progressivement, à resserrer ce délicat réseau humain, sans lequel tous, nous serions dès le départ vaincus par cette insidieuse menace. En commençant d’abord par les familles ; en nous approchant et en embrassant la périphérie humaine et existentielle des territoires dévastés de nos villes ; en impliquant les communautés paroissiales, les écoles, les institutions communautaires, les communautés politiques, les structures de sécurité ; c’est seulement ainsi qu’on pourra se libérer totalement des eaux dans lesquelles malheureusement se noient tant de vies, que ce soit la vie de celui qui meurt comme victime, que ce soit celle de celui qui devant Dieu aura toujours du sang sur les mains, même s’il a les poches pleines d’argent sale et la conscience anesthésiée.
Tournant le regard vers Marie de Guadalupe, je dirai une deuxième chose : Un regard capable de tisser
Dans le manteau de l’âme mexicaine, Dieu a tissé, avec le fil des empreintes métisses de son peuple, le visage de sa manifestation dans la « Vierge Brune ». Dieu n’a pas besoin de couleurs ternes pour peindre son visage. Les desseins de Dieu ne sont pas conditionnés par les couleurs et par les fils, mais ils sont déterminés par l’irréversibilité de son amour qui veut avec persistance s’imprimer en nous.
Soyez, par conséquent, des Évêques capables d’imiter cette liberté de Dieu en choisissant ce qui est humble pour rendre visible la majesté de son visage et de faire vôtre cette patience divine en tissant, avec le fil fin de l’humanité que vous trouvez, cet homme nouveau que votre pays espère. Ne vous laissez pas guider par le vain désir de changer de peuple comme si l’amour de Dieu n’avait pas assez de force pour le changer.
Redécouvrez, en effet, la constance sage et humble avec laquelle les Pères de la foi de ce pays ont su introduire les générations successives dans la sémantique du mystère divin. D’abord, en apprenant, et ensuite, en enseignant la grammaire nécessaire pour dialoguer avec ce Dieu, caché durant les siècles de leur recherche et fait proche dans la personne de son Fils Jésus, qu’aujourd’hui tant de personnes reconnaissent dans la figure ensanglantée et humiliée, comme symbole de leur propre destin. Imitez sa condescendance et sa capacité de s’abaisser. Nous ne comprendrons jamais assez le fait qu’avec les fils métis de notre peuple Dieu a tissé le visage par lequel il se fait connaître ! Jamais, nous ne lui serons assez reconnaissants de s’être abaissé, de cette « synkatabasis ».
Je vous demande un regard d’une délicatesse singulière pour les peuples indigènes, pour eux ainsi que pour leurs fascinantes cultures souvent méprisées. Le Mexique a besoin de leurs racines amérindiennes pour ne pas être réduit à une énigme irrésolue. Les indigènes du Mexique attendent encore qu’on reconnaisse effectivement la richesse de leur contribution et la fécondité de leur présence pour assumer cette identité qui fait de vous une Nation unique et non seulement une parmi d’autres.
On a souvent évoqué le présumé destin inachevé de cette Nation, le « labyrinthe de la solitude » dans lequel elle serait emprisonnée, la géographie comme destin qui la piège. Pour certains, tout cela serait un obstacle au projet d’un visage unitaire, d’une identité adulte, d’une position singulière dans le concert des nations et d’une mission partagée.
Pour d’autres, l’Église au Mexique serait également condamnée à choisir entre subir l’infériorité à laquelle elle a été reléguée dans certaines périodes de son histoire, comme lorsque sa voix a été étouffée et qu’on a cherché à limiter sa présence, ou à s’aventurer dans les fondamentalismes pour réacquérir des certitudes provisoires – comme ce fameux « cogito » – en oubliant d’enraciner dans son cœur la soif d’Absolu et le fait qu’elle est appelée dans le Christ à réunir tous et non seulement une partie (cf. Lumen gentium, 1, 1).
Ne vous lassez pas en revanche de rappeler à votre peuple combien sont puissantes les racines anciennes qui ont permis la vivante synthèse chrétienne de communion humaine, culturelle et spirituelle qui a été forgée ici. Souvenez-vous que les ailes de votre peuple se sont déjà déployées plusieurs fois au-dessus de nombreuses vicissitudes. Préservez la mémoire du long chemin parcouru jusqu’à présent – soyez deuteronomiques – et sachez susciter l’espérance de nouveaux objectifs, car demain sera une terre « riche de fruits » même s’il nous confronte à des défis non négligeables (Nm 13, 27-28).
Que vos regards, posés toujours et uniquement sur le Christ, soient capables de contribuer à l’unité de votre peuple ; de favoriser la réconciliation de ses différences et l’intégration de ses diversités ; de promouvoir la solution de ses problèmes endogènes ; de rappeler le haut niveau que le Mexique peut atteindre s’il apprend à s’appartenir avant d’appartenir à d’autres ; d’aider à trouver des solutions partagées et durables à ses misères ; de motiver la Nation tout entière à ne pas se contenter de moins que ce qu’elle espère de la façon mexicaine d’habiter le monde.
Une troisième réflexion : Un regard attentif et proche, pas endormi
Je vous prie de ne pas tomber dans la paralysie de donner de vieilles réponses aux questions nouvelles. Votre passé est une source de richesses à creuser qui peut inspirer le présent et illuminer l’avenir. Malheur à vous, si vous vous endormez sur vos lauriers ! Il ne faut pas mépriser l’héritage reçu, sauvegardez-le par un travail constant. Vous êtes assis sur les épaules de géants : évêques, prêtres, religieux, religieuses et les laïcs, fidèles « jusqu’au bout », qui ont offert la vie pour que l’Eglise puisse accomplir sa propre mission. Du haut de ce podium, vous êtes appelés à lancer un large regard sur le champ du Seigneur pour planifier la semence et attendre la récolte.
Je vous invite à vous fatiguer, à vous fatiguer sans peur dans la mission d’évangéliser et d’approfondir la foi à travers une catéchèse mystagogique qui sache faire trésor de la religiosité populaire de vos gens. Notre temps demande une attention pastorale aux personnes et aux groupes, qui espèrent pouvoir aller à la rencontre du Christ vivant. Seule une courageuse conversion pastorale – et j’insiste, conversion pastorale – de nos communautés peut retrouver, générer et nourrir les disciples actuels de Jésus (Document d’Aparecida, 226, 368, 370).
Par conséquent, nous autres pasteurs, il nous faut surmonter la tentation de la distance – et je laisse à chacun de vous le soin de faire la liste des distances qui peuvent exister en cette Conférence épiscopale ; je ne les connais pas, mais surmonter la tentation de la distance – et du cléricalisme, de la froideur et de l’indifférence, du triomphalisme et de l’autoréférentialité. Guadalupe nous enseigne que Dieu a un visage familier, proche, que la proximité et la bienveillance, le fait de s’incliner, de s’approcher, peuvent plus que la force, que n’importe quelle force.
Comme l’enseigne la belle tradition de Guadalupe, la « Vierge Brune » protège les regards de ceux qui la contemplent, reflète le visage de ceux qui la rencontrent. Il faut apprendre qu’il y a une chose d’unique dans chacun de ceux qui, à la recherche de Dieu, nous regardent. Il nous revient de ne pas nous rendre imperméables à ces regards, de garder en nous chacun d’eux, de les conserver dans le cœur, de les sauvegarder.
Seule une Église qui sait garder le visage des hommes qui vont frapper à sa porte est capable de leur parler de Dieu. Si nous ne déchiffrons pas leurs souffrances, si nous ne nous rendons pas compte de leurs besoins, nous ne pourrons rien leur offrir. La richesse que nous avons ne coule que lorsque nous rencontrons la petitesse de ceux qui mendient et, précisément, cette rencontre se réalise dans notre cœur de Pasteurs.
Et le premier visage que je vous supplie de protéger dans votre cœur est celui de vos prêtres. Ne les laissez pas exposés à la solitude et à l’abandon, en proie à la mondanité qui dévore le cœur. Soyez attentifs et apprenez à lire [dans] leurs regards pour vous réjouir avec eux lorsqu’ils sentent la joie de raconter ce qu’ils « ont fait et enseigné » (Mc 6, 30), et également pour ne pas reculer lorsqu’ils se sentent un peu abattus et ne peuvent que pleurer parce qu’ils « ont renié le Seigneur » (Lc 22, 61-62), et aussi, pourquoi non, pour les soutenir, en communion avec le Christ, quand l’un ou l’autre, déjà abattu, sortira avec Judas « dans la nuit » (Jn 13, 30). Que jamais, dans ces situations, ne manque votre paternité, en tant qu’évêques, à vos prêtres. Encouragez la communion entre eux ; promouvez leurs dons ; intégrez-les dans les grandes causes, car le cœur de l’apôtre n’a pas été fait pour des choses petites.
Le besoin de familiarité habite dans le cœur de Dieu. Notre Dame de Guadalupe ne demande, en effet, qu’une « petite maison sacrée ». Nos peuples latino-américains comprennent bien le langage diminutif – « petite maison sacrée » – et très volontiers l’utilisent. Peut-être ont-ils besoin de diminutif parce qu’autrement ils se sentiraient perdus. Ils se sont adaptés au fait de se sentir diminués et sont habitués à vivre dans la modestie.
L’Eglise, lorsqu’elle se réunit dans une majestueuse Cathédrale, ne pourra s’empêcher de se comprendre comme un « petite maison » dans laquelle ses enfants peuvent se sentir à l’aise. On se maintient devant Dieu seulement si on est petit, si on se sent orphelin, si on est mendiant. Le protagoniste de l’histoire du salut est le mendiant.
« Petite maison » familiale et en même temps « sacrée », car la proximité est remplie de la grandeur toute-puissante. Nous sommes les gardiens de ce mystère ! Peut-être avons-nous perdu ce sens de l’humble mesure divine et nous sommes fatigués d’offrir aux nôtres la « petite maison » dans laquelle ils se sentiront en intimité avec Dieu. Il se peut également qu’ayant découvert un peu le sens de sa grandeur, on ait perdu une partie de la crainte révérencielle envers cet amour. L’homme ne peut accéder à l’endroit où Dieu habite, sans y être admis et il n’y entre qu’en ôtant ses sandales (cf. Ex 3, 5) pour confesser sa propre insuffisance.
Et ce fait d’avoir oublié d’« ôter les sandales » pour entrer, n’est-il vraisemblablement pas à la racine de la perte du sens de la sacralité de la vie humaine, de la personne, des valeurs essentielles, de la sagesse accumulée au long des siècles, du respect de la nature ? Sans récupérer, dans la conscience des hommes et de la société, ces racines profondes, il manquera, même au travail généreux en faveur des droits humains légitimes, la sève vitale qui peut provenir uniquement d’une source que l’humanité ne pourra jamais se donner elle-même.
Et, toujours en regardant la Mère, pour terminer : Un regard d’ensemble et d’unité
Ce billet a été publié dans L’Homme Nouveau, je commande le numéro