Commentaire du Discours de Benoît XVI à La Sapienza qu’il ne put prononcer face à l’opposition de certains syndicats étudiants lui déniant le droit intellectuel d’être en ce lieu.
15 janvier 2008
De la raison théorique à la raison pratique et de la raison pratique à la raison théorique : la voix de la raison éthique.
S’adressant à l’ensemble du monde universitaire, par l’intermédiaire de son discours à La Sapienza, Benoît XVI, cherche à instaurer le dialogue avec le monde traditionnellement considéré comme celui de la raison. Rappelant l’origine de l’université et son histoire, le pape tente d’entraîner les universitaires encore plus avant, au-delà du simple dialogue. Il cherche à tourner leur regard dans la direction même qui est la sienne propre, en même temps que la raison d’être même (historiquement) de l’université : la vérité. Au monde de la raison, et au nom de cette raison, il parle de vérité, de la Vérité. L’argumentation qui est la sienne va lui permettre, par un double mouvement de la raison théorique à la raison pratique et de la raison pratique à la raison théorique, de se positionner comme ‘voix de la raison éthique’.
Il rappelle, en effet, que la raison (théorique) a pour but la recherche de la vérité. On peut lire sans peine, derrière ces lignes, la pensée aristo-thomiste sur le travail de l’intelligence pour, à partir de l’être qui se présente à elle, en saisir la vérité, par une contemplation de l’être et au-delà de la vérité. Cette recherche profondément inscrite dans l’homme, dans chaque homme, s’est développée d’une façon particulière dans le monde universitaire, ou plus exactement a développé le monde universitaire occidental médiéval. Ce rappel permet au pape de replacer l’Église et la foi chrétienne sur l’axe raison – vérité. C’est en effet dans un monde chrétien que ce lieu de la raison qu’est l’université, ce temple de la recherche de la vérité, a vu le jour. Preuve que la foi chrétienne a à voir avec la vérité tout comme avec la raison, ce qui permet au souverain pontife de se dire une voix de la raison. Allant plus loin, le pape affirme être une voix de la raison qui a une autorité certaine, autorité que lui confèrent des siècles de réflexion, de recherche de la vérité. Car la recherche de la vérité n’est pas un chemin facile, au contraire, et le pape insiste sur le caractère fastidieux de ce travail sans cesse repris, jamais achevé. C’est un chemin que parcourt la raison aidée en cela par l’expérience. (Et nous touchons déjà ici la raison pratique) L’héritage des siècles de sagesse chrétienne constitue une expérience inégalée que l’homme seul ne pourra jamais atteindre. Aussi l’Église et la foi chrétienne sont-elles de plein droit sur cet axe qui relie la raison à la vérité pour ce double motif que l’Église peut apporter comme contribution son expérience pluriséculaire et qu’en elle le monde même de la recherche de la vérité par la raison a vu le jour. Dans le cadre de la raison théorique, le pape situe même l’Église, de par cette recherche de la Vérité, dans le domaine de la sagesse, celle-là même qui peut contempler la vérité.
Toutefois, comme le constate Benoît XVI avec saint Augustin, le simple savoir, le simple fait de connaître la vérité, rend triste. Or – et ici le pape se distingue tout de suite de la simple recherche rationnelle – l’homme ne cherche pas la vérité pour elle-même, mais parce qu’il espère y trouver le bonheur. Or ce bonheur, cette béatitude de l’âme, est précisément la contemplation de la Vérité. La connaissance de la vérité a pour but la connaissance du Bien, parce que cette connaissance du Bien doit, peut, nous rendre bons. La raison théorique à son plus haut niveau ouvre la juste raison pratique et, peut-on dire, seule elle la rend possible et juste. Le pape affleure ici ce domaine de la raison pratique qu’est la prudence, comme il nous introduisait plus haut au corollaire de la raison théorique qu’est la sagesse. C’est pourquoi, dès le début de son message, le pape se positionne comme voix de la raison éthique de l’humanité. Si la vérité se recherche et se contemple, elle n’est jamais simplement théorique : parce qu’elle vise au bonheur, elle inclut aussi un agir et un agir conforme à la vérité. Aussi le Saint Père décline-t-il, autour de la vérité, la raison éthique en quatre aspects qui sont donc ceux de la raison pratique : prudence, liberté et bonification de l’homme, maîtrise de la sensibilité par la vérité, guérison de la sensibilité par la vérité. La vérité, rejointe par la raison spéculative éclairée par l’expérience de la tradition, vient éclairer la raison pratique pour un agir conforme à la vérité afin de pouvoir, par un agir rationnel (donc libre et prudent), rejoindre le bien, c’est-à-dire se conformer au vrai par une bonification personnelle.
Cependant la vérité est difficile à atteindre, et se conformer au bien demeure ardu ; ainsi la raison, plutôt que vers la vérité, peut-elle orienter l’agir de l’homme vers l’intérêt ou l’utile. Et le rôle du pape, voix de la raison éthique, est alors de remontrer sans cesse le visage de la vérité et le chemin qui y conduit. C’est pour cela qu’il inscrit la foi et l’histoire chrétiennes dans ce mouvement intrinsèquement humain de recherche de la vérité. Ce point est essentiellement commun aux hommes, chrétiens ou non, mais les chrétiens, pour nourrir et soutenir le travail de la raison, disposent de quelque chose de plus qui est la foi. La foi ne supprime pas la raison ni ne l’absorbe, elle l’alimente. Le pape souligne ici les deux modes de connaissance de la vérité : celui de la philosophie et celui de la théologie. Ils ne s’excluent pas mais se complètent, tout en pouvant cheminer séparément. Mais la vérité étant toujours plus que ce que l’homme peut en percevoir et la raison étant faite pour l’infini, la théologie va beaucoup plus loin que ce que peut apporter la philosophie, ne serait-ce que parce qu’elle considère Dieu lui-même, ‘raison – amour’. Plus que le simple fait de savoir, la théologie ouvre, par une relation personnelle à la vérité – bien – Dieu, au bonheur que cherche l’homme. En cela le pape n’est pas en effet la simple voix de la raison ou de la vérité, mais de la raison éthique, c’est-à-dire celle qui conduit au bonheur, par l’ouverture de la raison à plus grand, par la transformation par la raison éthique (pratique-prudence) de l’être même de l’homme, lui ouvrant ainsi les portes du bonheur, qui n’est autre que la contemplation de la vérité divine. Et ainsi la raison pratique conduit et nourrit à son tour la raison théorique la plus haute.
Par-là, le pape tient à montrer à la fois l’importance de la démarche raisonnable de la foi, l’importance de la raison dans la vie éthique et, par cette voie, l’accession au bonheur. Nous touchons là à un point très important de la béatitude, qui n’est autre que ce lien étroit entre contemplation et vertu qu’Aristote développe dans l’Éthique à Nicomaque.
Et ainsi le successeur de Pierre s’insère de plein droit dans ce monde universitaire, dans le monde du savoir, qui depuis quelques siècles cherche à se démarquer de la foi qu’il considère comme contraire à la raison, parce qu’il a confondu raison et science positive et rejeté toute idée de métaphysique. Fidèle successeur de saint Pierre, Benoît XVI rappelle aux chrétiens, et à qui en douterait, que l’on peut, que l’on doit rendre compte de sa foi, comme l’Église l’a fait de tout temps. Il n’est donc pas incongru pour lui de se retrouver dans un monde universitaire, au contraire. La raison ainsi comprise va de concert avec la foi.
Cyril Brun
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