Suite à l’article sur la synodalité de l’Église, les évêques évoquant saint Cyprien de Carthage dans une citation non adaptée au contexte, voici un extrait de ma thèse sur cette citation. Il ne s’agit pas de “remettre à leur place les évêques”, mais de “corriger” un point maladroit.
“l’évêque est dans l’Église et l’Église dans l’évêque”
Non seulement l’Église et l’évêque ne font qu’un mais « l’Église repose sur les évêques et sa conduite obéit à la direction de ces mêmes chefs ». L’évêque parle au nom de l’Église . Ce qui devient très compréhensible dans la mesure où l‘évêque est sacramentum Christi. Si l’Église corps mystique repose sur le Christ, alors l’Église sacramentum repose sur l’évêque. C’est pourquoi, retourner à l’Église c’est être en communion avec les évêques . Aussi, qui se sépare de l’évêque se sépare de l’Église , car qui se sépare du Christ se sépare de l’Église et réciproquement. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le lien charnel, parce que sponsal entre l’évêque tête et le reste du corps. Ce qui touche l’Église le touche non seulement comme épouse, mais comme époux. À maintes reprises Cyprien fait état de sa douleur personnelle ou de sa joie : «Je tressaille de joie en vous félicitant[ …]. L’Église votre Mère est fière ». Mais Cyprien insiste : « De la joie commune, la part de l’évêque est plus grande ; l’honneur d’une Église est l’honneur de son chef ». Parce que c’est l’honneur du Christ époux. « Je triomphe plus que les autres de votre retour à la paix . » L’éclat rejaillit sur l’évêque en tant qu’il est la visibilité du Christ tête et donc par là de l’ensemble du corps. C’est à double titre que l’évêque vit au rythme du corps. Comme tête nous venons de le dire, mais aussi comme membre. C’est le principe de la communion telle que saint Paul l’entend, c’est pourquoi la chute des uns rejaillit en souffrance sur les autres . Combien plus la tête ressent ce que le corps ressent. « Car le pasteur ressent encore plus les blessures de son troupeau que les siennes .» L’évêque a part à l’honneur des confesseurs et leur gloire est sa gloire . Mais à l’inverse les lapsi sont une partie de sa chair arrachée et tombée .
Or l’affaire de Felicissimus pour Cyprien ne se résuma pas à autre chose : « Il tente de séparer les brebis des pasteurs, les enfants du père, de disperser les membres du Christ ». Ce qui est contraire à la nature même de la fonction épiscopale qui pour Cyprien est très clairement définie : « C’est à cela que nous tendons et que nous devons tendre : faire régner autant que nous le pouvons cette unité que le Seigneur nous a transmise par ses apôtres et dans la mesure de nos forces, rassembler l’Église ». Si l’évêque est sacrement du Christ, du fait même du lien Église Christ et Christ évêque, l’Église sacramentum unitatis, concerne éminemment l’évêque. En tant qu’époux, non seulement il reçoit l’épouse, mais en la recevant, il garantit son unicité et donc son unité. Ce qui vaut pour Pierre, est indivis pour les autres apôtres. Ils sont sacrement d’unité comme Pierre, sur qui l’Église est fondée et donc unifiée. Dès lors, du fait même du signe, ce qu’est l’Église l’évêque l’est également, en tant qu’il est évêque et non en tant qu’il est homme. Ce que révèle le cas d’Évariste. « Evaristus d’évêque qu’il était avant n’était même plus demeuré simple fidèle. […] Éloigné de son siège et de son peuple et sorti de l’Église du Christ ». C’est la dignité épiscopale qui porte le sacramentum Christi et de ce fait le sacramentum unitatis. Et l’évêque doit se conformer à l’exigence de la dignité épiscopale pour l’endosser comme on endosse un manteau et non à la manière du baptême. (Ici notons que Cyprien n’avait pas notion de caractère indélébile du sacrement de l’ordre que définira saint Augustin) Il en va de même, du reste, pour le diacre et donc probablement pour le prêtre . « Nicostratus ayant perdu son saint office de diacre après avoir soustrait par un larcin sacrilège l’argent de l’Église… » Si l’excommunication ne fait pas perdre l’union sponsale, mais signifie sa défigure par le péché, en revanche le péché fait perdre la dignité du clerc de façon définitive. Il est impossible ensuite de la retrouver. Cyprien sur ce point sera intransigeant.
Cette dignité épiscopale, porte donc le sacramentum et, de ce fait, les attributs mêmes de l’Église et donc du Christ tête. Si l’Église est Église de Dieu, les évêques également sont évêques de Dieu . L’épiscopat, comme l’Église est divin . Il est voulu et institué par Dieu , tout comme l’évêque est choisi par Dieu, fut-ce via le suffrage du peuple . Si l’Église est une alors l’épiscopat est un, tant dans sa visibilité locale que dans sa visibilité universelle qu’explicite la collégialité . Une seule épouse, un seul époux et réciproquement.
Remarquons enfin que dans le cas de l’épiscopat, une intervention divine est nécessaire. Si tout le monde est appelé à être l’épouse et à vivre uni à l’époux pour devenir fils, seuls certains sont appelés à être le sacrement de l’époux. Personne ne peut s’attribuer cette dignité, ni y prétendre, c’est un choix exclusif de Dieu, pour tenir sa place de pasteur et d’époux. Ce choix est ratifié par les autres sacramentum Christi que sont les évêques , au même titre que le baptême demande la ratification de l’époux par le truchement de l’Église visible dans les évêques. Mais les évêques, sont également garants de l’intégrité de l’époux et peuvent donc, le cas échéant, démettre l’homme qui a failli de la dignité épiscopale. Car revêtir le manteau épiscopal comporte des exigences fortes qui ne sont autres que celles de la configuration au Christ et de la conformité au signe. Aussi, comme l’Église, l’évêque doit-il être sans tare et sans tâche . C’est-à-dire non seulement mis à part pour demeurer signe du royaume, mais aussi, exemple de sainteté .
Fort de cette double exigence d’élection divine ratifiée par les autres évêques et de sainteté de vie, alors l’élu reçoit de Dieu le pouvoir lié à la dignité épiscopale, c’est-à-dire le pouvoir même du Christ sanctifiant. « C’est nous qui, par la permission divine, abreuvons le peuple de Dieu […], nous qui gardons les fontaines de vie .» Cette mise à part qui confère le pouvoir n’est pas un privilège, mais une permission accordée par Dieu à des hommes de sanctifier le peuple en son nom. Le pouvoir épiscopal est donc d’abord un pouvoir divin par participation, en vertu d’une dispense spéciale et de ce fait conditionnée à la mission même du Christ et de l’Église . Autre raison théologique de la restriction de la grâce à l’Église. C’est un acte juridique divin qui échappe à l’homme et à l’Église elle-même. En dehors de la permission divine, le sacramentum Christi ne se distingue en rien de n’importe quel fidèle, lui-même sacramentum Christi dès lors qu’il est membre du corps ecclésial. L’intervention divine confère à la dignité épiscopale un pouvoir divin qui met l’évêque en position d’époux agissant au nom de l’époux et prolongeant donc la mission du Christ sauveur. Cette ‘ordination ’ recouvre donc l’homme élu et approuvé d’une dignité qui lui confère le pouvoir de tenir la place même du Christ. Ce qui signifie que l’évêque est pour les hommes le Christ présent, il fait pour eux ce que le Christ est venu faire. Il actualise la mission du Christ prêtre, prophète et roi et à ce titre, il offre le sacrifice, il est signe du royaume et gouverne son peuple. À ce titre il est grand prêtre et pasteur, sacerdos et episcopos.