Alors que le pape François et le patriarche Cyrille viennent de signer une retentissante déclaration commune, Charles Montmasson revient sur l’histoire chaotique des relations entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident.
Il est de coutume, dans les livres d’histoire, de dater le « schisme d’Orient » de 1054. Pourtant, y regarder de plus près, l’épisode de juillet 1054 n’est qu’un des nombreux rebondissements d’une incompréhension grandissante que vient compliquer, à l’extrême, des situations politiques en constante évolution. Depuis longtemps, la Ville Éternelle n’est plus que la capitale symbolique de l’Empire romain, sans qu’elle n’ait pour autant rien perdu de son prestige. Pourtant les empereurs lui préfèrent d’autres villes impériales, plus centrales, comme Ravenne, Nicomédie ou bien entendu Constantinople. Mais, lorsqu’à la fin du IIIème siècle, Dioclétien institue la Tétrarchie, Rome devient la capitale de la partie occidentale de l’Occident. C’est cette partie de l’empire qui s’effondre en 476 sous la pression des Goths. Contrairement au raccourci en vogue, il ne s’agit pas de la fin de l’empire, mais de la chute de sa partie occidentale. Odoacre dépose Romulus Augustule et pose un signe significatif en renvoyant les insignes impériales à l’empereur de Constantinople.
Cependant et malgré la déferlante barbare, l’Occident reste terre d’empire. Les chefs barbares cherchent à s’inscrire dans la légitimité du pouvoir impérial. Childéric, le père de Clovis est rex, titulature officielle de l’empire. Clovis se glisse dans cette même légitimité. La tentative de Justinien le Grand (mort en 565) de reconstituer l’unité de l’empire s’inscrit dans cette continuité impériale. Mais s’il parvient à reprendre pied dans le sud de l’Italie (ce qui n’est pas sans rappeler ce qui se passera en 1054), à soumettre les wisigoths d’Andalousie, il est le dernier empereur à avoir tenté cette réunification autour de la mare nostrum. Ses successeurs prendront acte de la rupture, laissant alors deux mondes se construire indépendamment voire concurremment, les empereurs conservant le titre et une autorité théorique sur les deux parties de l’empire.
Mais Charlemagne reprend à son compte l’héritage de Romulus Augustule en fondant l’empire au titre significatif de Romain germanique. En sacrant Charlemagne empereur, le pape fait un choix de rupture avec l’empereur. Désormais la papauté s’appuiera sur le bras armé du saint empire romain germanique. Cela n’a guère d’influence directe sur les relations entre les églises d’Orient et d’Occident, sinon d’accentuer la rupture géographique et historique entre deux mondes regardant chacun de leur côté.
Parallèlement à ces évolutions politiques, la papauté n’a eu de cesse de renforcer son pouvoir et sa prééminence sur l’ensemble de l’Occident, tandis qu’en Orient, les patriarches continuaient de s’occuper chacun de son patriarcat. Grégoire Ier, nommé par l’empereur et approuvé par les évêques, comme le voulait la tradition, s’émancipa peu à peu du pouvoir qui ne se pressait pas pour défendre la ville. Le pape prit alors l’initiative de traiter avec les lombards ariens, sans tenir compte de l’empereur. Pour la première fois un pape s’opposait à l’empereur sur des questions juridiques et politiques. Bien que se reconnaissant sujet de ce dernier, le pape étendait de plus en plus son pouvoir sur l’ensemble des Églises et s’opposa au titre de patriarche œcuménique que revendiquait, depuis peu, le patriarche de Constantinople. C’est dans la continuité de cette opposition politique et de la pression des invasions que le pape fit le choix de Pépin le Bref, ce qui lui valut la constitution des États pontificaux.
En Orient, la situation n’était guère plus simple et les patriarches, très proches du pouvoir impérial étaient souvent faits et défaits. Plusieurs schismes locaux contribuèrent à déstabiliser les patriarcats. A ce sujet, il faut bien garder à l’esprit la multitude de schismes et d’hérésies qui secoua tout l’empire dès avant l’édit de tolérance de 313. Ce qui change après l’édit de Milan c’est l’intervention de l’empereur dans ces conflits qui perturbent sérieusement la paix de l’empire.
Les conciles dits œcuméniques sont réunis par l’empereur qui les finance et les préside dans le but de calmer les violences et les affrontements autour de questions théologiques qui créent schismes, anathèmes, expulsions et occupations d’églises. Les décisions conciliaires ont force de loi et ceux qui ne s’y plient pas sont exilés. Tout cela, non dans un esprit de persécution, mais de paix civile. Ainsi et selon la tradition de l’Église catholique (c’est-à-dire universelle) de l’époque, les grandes décisions de foi faisaient l’objet de décisions conciliaires (ou synodales, le mot à l’époque désigne la même réalité, l’un étant latin l’autre grec).
Aussi, lorsque le patriarche de Rome, autrement appelé le pape, commença à s’ingérer